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de la liberté, aux philantropes de tous les pays, comme un signe éclatant de la bonté de Dieu qui, dans le cours de ses décrets immortels, leur avait donné l'occasion de briser leurs fers et de se constituer un peuple libre, civilisé et indépendant. Cette constitution si sage, mais qui devait, comme tant d'autres, être peu respectée, fut acceptée par l'empereur, et il fut ordonné qu'elle serait mise de suite à exécution.

La condition des cultivateurs était la même que sous le système de Toussaint: ils travaillaient pour des gages qui étaient fixés au quart des produits, et ces produits étaient abondants; on avait proscrit le fouet et toutes les peines corporelles.

La paresse était regardée comme un crime, mais seulement punie de prison; et l'on estimait aux deux tiers du travail forcé des temps d'esclavage, la somme de travail produite sous l'exercice du nouveau régime.

Il était arrêté que les noirs cultivateurs ne pouvaient travailler que dans les divisions où ils avaient été premièrement attachés; mais s'ils avaient quelques raisons pour changer, le commissaire ou l'officier du district leur en donnait la permission. La plupart des possessions étaient dans les mains du gouvernement comme confisquées; mais elles étaient louées pour une rente annuelle, et cette rente était généralement fixée suivant le nombre des cultivateurs, et non d'après l'étendue du sol.

Les mulâtres et les quarterons qui pouvaient démontrer quelque parenté, illégitime ou non, avec les blancs anciens propriétaires, étaient admis comme héritiers à posséder leurs biens. Les quarterons ou enfants de blancs et de mulâtres étaient très nombreux.

Les plantations de sucre ayant été entièrement détruites par la guerre, et les constructions nécessaires à la récolte de cette denrée n'ayant pas été relevées, la récolte en sucre fut très médiocre. La principale production fut le café; et on rapporte qu'en 1805, il en fut recueilli plus de trente millions de livres, c'est-à-dire la charge de cinquante navires ordinaires.

Le recensement fait en 1805 des habitants de l'île, dans la partie soumise à Dessalines, portait à 380,000 environ, le montant de la population ; mais à ce nombre on peut ajouter 20,000 ames à peu près qui, par dispersion ou pour toute autre cause durent ne pas être compris dans ce relevé. Dans ces 400,000 habitants environ, qui peuplaient Hayti à cette époque, les adultes mâles n'entraient que pour une bien faible part; le massacre les avoit principalement atteints; la majorité des cultivateurs étaient des femmes. Le mariage, solennisé suivant les règles de l'église romaine, était presque universel, et les devoirs que cet état impose étaient en général bien observés, malgré l'exemple de l'empereur.

L'armée régulière consistait en 15,000 hommes, dont 1,500 de cavalerie; ils étaient bien disciplinés et bien armés, mais mal habillés. L'uniforme était bleu avec revers rouge.

Tous les adultes mâles propres au service étaient exercés au maniement des armes pendant quelques jours, à quatre époques de l'année.

Depuis l'expulsion des Français, Dessalines avait eu soin depourvoir, par des lois, à ce que des émigrations ultérieures ne pussent diminuer la population de l'île ; et les peines les plus sévères étaient portées contre tous les émigrans, ou ceux qui auraient prêté la main pour favoriser leur projets de fuite.

C'était peu de pourvoir au maintien de la population dans l'île; des forces plus nombreuses que celles qu'on était en état de faire marcher pour la défense pouvaient arriver d'Europe à la première paix entre la France et l'Angleterre. Le nouvel empereur arrêta avec les principaux chefs un plan de défense, dont l'exécution, en cas de nécessité, fut dès lors garantie par une loi.

A la première apparence d'invasion, les villes, qui étaient toutes sur la côte, devaient être détruites, et l'armée noire se retirer dans les forts bâtis sur les positions avantageuses dans l'intérieur des terres. Ces positions avaient été heureusement choisies et solidement fortifiées; l'artillerie du Cap, qui consistait principalement en canons de bronze en

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grand nombre, avait été transportée sur ces forts, où de grands magasins de munitions étaient aussi rassemblés. Les versants des hauteurs et des ravines qui les entouraient, étaient plantés de bananiers, d'ignames et d'autres arbres assez abondants en fruits, pour qu'on eût calculé que les garnisons pourraient subsister sans pousser leurs sorties plus loin que la portée de leurs canons, et l'eau ne manquait pas aux environs de ces postes, souvent assez rapprochés les uns des autres pour qu'il fût im. possible de tourner leur ligne et de les attaquer sur tous les points à la fois.

Malgré tous ces soins et cet appareil de guerre, on était loin de négliger l'éducation; des écoles avaient été établies dans presque tous les districts, et les nègres voyant quel avantage ceux d'entre eux qui avaient reçu de l'éducation avaient pu en tirer, tenaient beaucoup à l'instruction de leurs enfants, et il n'en était guère qui n'apprissent au moins à lire et à écrire.

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Au moment de l'insurrection de 1791, l'empereur Jean-Jacques était esclave chez un propriétaire noir appelé Dessalines, et dont il prit le nom. Cet homme et fut témoin de vivait encore au Cap en 1805 l'avénement de son ancien serviteur. C'était un potier qui avait coutume de dire que l'empereur avait toujours été un chien entêté, mais un bon ouvrier. Dessalines lui gardait une grande affection, et le nomma son sommelier en chef.

Il répondait, à ceux qui lui demandaient pourquoi il ne lui avait point donné un poste plus honorable, qu'aucun autre n'aurait pu plaire autant à ce vieillard, grand amateur de vin, et qui buvait poureux deux ; car Dessalines, quoiqu'il eût la plus riche cave de l'île, n'usait guère que de l'eau à ses repas.

Ce chef ne savait pas lire, mais il avait appris à signer son nom; il employait un lecteur, et avait l'habitude d'écouter avec beaucoup d'attention les lectures qu'on lui faisait. On nous a raconté, qu'ayant entendu lire un discours de M. Wilberforce sur la traite des noirs, il ordonna que ce morceau fût imprimé dans la gazette du Cap.

Dessalines était petit, mais fortement constitué, d'une grande activité et d'un courage indomptable.

On pense que ses talents militaires étaient supérieurs à ceux de Toussaint; mais il était, sous tous les autres rapports, bien inférieur à ce chef infortuné. Il inspirait moins de respect que de crainte; pourtant il était ouvert et affable, et même généreux. Il était remarquable par d'étranges caprices, effet évident de sa vanité personnelle: tantôt il était couvert de broderies et autres ornements, et habillé avec magnificence, et souvent il paraissait en public avec les habits les plus mauvais qu'il pouvait trouver. Mais ce qui était encore plus singulier et plus ridicule, il avait l'ambition de paraître un danseur accompli; il avait toujours avec lui un

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