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Ces dispositions étaient relatives à la culture et à la propagation des cannes à sucre, que Pierre d'Atença avait le premier apportées des Canaries. Un nommé Gonzalès, avait, de son côté, construit un moulin à sucre. Cette nouvelle branche d'industrie réussit plus qu'on n'avait pu l'espérer, et en peu de temps on put s'apercevoir dans toute l'île que l'or des mines n'était pas la seule source de richesses dans les nouvelles Indes. Malheureusement les barbaries atroces exercées depuis longtemps sur les malheureux Indiens, continuaient de porter leurs fruits. En 1502, une insurrection, provoquée par l'état misérable où la tyrannie espagnole avait réduit ce qui restait de naturels, éclata dans le royaume d'Hyguey, et ne fut que difficilement comprimée par Esquibel, officier envoyé avec quatre cents hommes contre les révoltés, et qui, après une lutte opiniàtre, put enfin élever un fort sur leur territoire.

L'année suivante, la colonie fut menacée d'un danger plus grand, s'il faut en croire les mesures qu'adopta le gouverneur général Ovando. Le royaume de Xaragua était encore infesté par ceux des complices de Ximenès, qui avaient échappé à la vigilance du gouvernement. Anacoana, reine de la contrée, s'était d'abord déclarée pour les Espagnols; mais la conduite atroce de ces hôtes avait bientôt changé son dévouement en haine. On la soupçonna d'avoir prêté l'oreille aux complots que les

Européens fugitifs tramaient contre la colonie. Rien ne transpira cependant des informations qu'Ovando reçut à cet égard; même, ce gouverneur annonça son projet de visiter la province de Xaragua, pour y recueillir les tributs dus à la couronne de Castille. Trois cents fantassins et soixante-dix chevaux l'accompagnaient dans sa promenade, que signalèrent en tous lieux des fêtes offertes par Anacoana et par les siens. La reine avait invité à ces réunions tout ce qu'elle avait de noblesse; tout son peuple s'y prssait en foule. Au milieu d'une de ces fêtes, les soldats parurent en ordre de bataille, et tandis que l'infanterie fermait toutes les issues, le gouverneur, à la tête de ses cavaliers, se portait vers le palais de la reine, tranquille au milieu de sa cour, et qui ne fut point alarmée de leur venue. Mais l'infortunée fut faite aussitôt prisonnière, tous ceux des siens qui ne périrent point dans les flammes que les Espagnols propageaient de toutes parts, furent passés au fil de l'épée, et Anacoana elle-même, emmenée par le vainqueur, perdit la tête sur un échafaud le troisième jour de sa captivité.

La vengeance tirée par les Espagnols de la prétendue conspiration des Xaraguans est certaine : la conspiration n'a jamais été prouvée. Quoi qu'il en soit, ce grand acte de cruauté, si ce n'est même un crime gratuit, aurait suffi pour ternir le caractère d'Ovando.

Du reste, vraie ou fausse, cette révolte ne fut

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pas la dernière qui fit prendre les armes aux Espagnols sous l'administration de ce gouverneur. En 1506, une rébellion nouvelle éclata dans la province d'Hyguey. Après la première expédition d'Esquibel, le gouvernement avait promis aux insulaires plus qu'il ne voulut leur accorder : ceux-ci se plaignirent d'abord, et des plaintes ils en vinrent à agir; le fort bâti par les Espagnols, sur leur territoire, fut rasé, et la garnison massacrée. Esquibel fut de nouveau envoyé contre eux. La résistance ne fut pas moins opiniâtre qu'elle l'avait été trois ans plus tôt, et enfin, la prise du cacique Cotubanama mit un terme à la guerre. Ce dernier rejeton de la race royale haytienne trouva, comme la reine de Xaragua, la mort sous la main du bourreau, après avoir vu succomber une partie de son peuple sous les coups des tyrans d'Europe. En 1507, il ne res

tait déjà plus, dans toute l'île Espagnole, que soixante mille indigènes, c'est-à-dire la seizième partie à peu près de ce qu'on y en avait trouvé quinze ans auparavant.

Il s'en fallait de beaucoup qu'un aussi faible nombre pût suffire aux travaux exigés par la cupidité des concessionnaires. Ovando imagina de proposer au roi de transporter dans la colonie tous les habitants des îles Lucayes, les premières que Colomb eût découvertes. C'était, ajoutait-on, pour appuyer la demande, le seul moyen de travailler à la conversion de ces idolâtres, auxquels on ne pouvait sans danger

envoyer des missionnaires, d'ailleurs, déjà trop peu nombreux dans la métropole des Antilles.

Le roi, toujours favorablement prévenu pour la gestion du gouverneur, et qui d'ailleurs dut être gagné par le pieux motif qu'on mettait sous ses yeux, donna son consentement, et une flottille fut équipée pour cette première expédition, qui devait être imitée bientôt et surpassée sur des côtes plus lointaines. On rougit pour l'humanité en lisant à quelles fourberies on eut recours pour engager ces pauvres insulaires à quitter leur patrie. On allait, disait-on, les mener dans une région délicieuse habitée par les ames des parents et des amis dont ils pleuraient la mort: c'étaient ces êtres chers eux-mêmes, qui, par la bouche des nouveaux débarqués, les invitaient à venir les joindre dans leur beau séjour.

Quarante mille de ces malheureux se laissèrent séduire à de si touchantes promesses; mais, lorsque arrivés à l'île Espagnole, ils purent voir à quel point on les avait abusés, le chagrin en fit périr un grand nombre; d'autres osèrent tout entreprendre pour se sauver. On raconte qu'un bâtiment espagnol en rencontra une troupe, à cinquante lieues en mer, dans une pirogue, autour de laquelle ils avaient attaché des calebasses pleines d'eau douce! ils allaient débarquer sur la terre natale, lorsqu'ils furent enlevés par le navire, et replongés dans les horreurs de l'esclavage auxquels ils avaient si audacieusement échappé.

Au milieu de tant de désordres le gouverneur et les siens élevaient leur fortune. Le trésorier, Bernardin de Sainte-Claire, étalait surtout scandaleusement ses richesses; et un annaliste espagnol rapporte qu'un jour qu'il donnait une fête au gouverneur, on servit, en guise de sel, de l'or en poudre. Mais tant de folies et de malversations forçèrent enfin son protecteur d'en avertir la cour. Le roi envoya un officier nommé Davila, pour exiger les comptes du trésorier, qui se trouva redevable de soixante mille pesos d'or. Son bien fut saisi, et vendu à l'encan; mais Sainte-Claire, après que le roi fut payé sur la vente, se trouva encore fort riche; il ne perdit que sa charge, qui fut alors réunie à celle d'intendant de justice, sous le titre de trésorier-général.

Cependant les bras manquaient pour l'exploitatation des mines, il fallut songer à trouver de nouveaux ouvriers. Un habitant de l'île fit sans succès une descente à la Guadeloupe; en 1511 environ, il ne restait plus que quatorze mille Indiens chargés de tout le travail de la colonie, et cette race allait être tout-à-fait retranchée. Las-Casas, pour en sauver au moins les faibles restes, ouvrit l'avis de faire arracher aux côtes de l'Afrique de plus robustes esclaves. L'humanité suggéra cette idée au pieux prélat; il aurait mieux valų sans doute qu'il proposat de combler des mines dont l'or ne pouvait être extrait qu'au prix de la vie de tant

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