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en jugea autrement dès la première entrevue qu'il eut avec le général rebelle, puisqu'il se rendit maître de sa personne par trahison, et qu'il l'envoya au Cap chargé de fers.

Une commission, toute composée de noirs ou d'hommes de couleur, fut appelée à juger Charles Belair et sa femme, prisonnière avec lui: à l'unanimité ils furent condamnés à mort l'un et l'autre ; et, passés ensemble par les armes le jour même, ils moururent sous le feu des soldats de leur caste, dont pas un ne murmura de remplir cet horrible devoir.

Ces victimes ne furent pas les seules trois cents des noirs de l'Artibonite qui avaient suivi le chef insurgé, furent massacrés par Dessalines, qui vengeait alors les blancs dans le sang noir, comme peu de mois auparavant il vengeait ceux de sa couleur dans le sang européen.

Ce fut bientôt le tour du Nord à sentir le fléau d'une nouvelle insurrection. Le noir Sylla qui, lors de l'embarquement de Toussaint, avait seul tenté d'opérer un soulèvement, reparut de nouveau avec plus de succès. En même temps un second Macaya, et un autre chef plus habile, nommé Sans-Souci, organisaient la révolte sur tous les points; et, plus redoutable encore que ces ennemis, la peste dévorait les soldats de la France à mesure que la mer les apportait dans l'île. Vingt officiers généraux avaient déjà succombé sous les coups de ce fléau terrible;

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des corps entiers, arrivés depuis peu de semaines avaient disparu sans combat. Cependant les chefs des troupes régulières paraissaient rester fidèles, et c'était beaucoup; car les soldats noirs, accoutumés au climat, étaient les seuls adversaires qu'il fût possible alors d'opposer aux rebelles.

Mais bientôt ces derniers auxiliaires devaient manquer, et devenir des ennemis cruels. Le décret du 30 floréal, qui déclarait l'esclavage maintenu dans les colonies réservées à la France par le traité d'Amiens; des nouvelles alarmantes pour l'exécution de ce décret, venues de la Guadeloupe et de la Martinique; un entretien du premier consul avec le célèbre Grégoire, dans lequel le chef de la République française avait dit, « que son plus grand souhait était de voir par toute l'Europe les amis des noirs la tête couverte d'un crêpe funèbre », et enfin le récit faux ou vrai d'un trafic fait à Santo-Domingo même, sur la personne de quelques hommes de couleur déportés de la Guadeloupe, vinrent alarmer ces chefs. Le premier d'entre eux qui déserta fut le chef de brigade Pétion, homme de cœur et de tête, et dont la défection fut d'un mauvais présage pour les Français, parce qu'ils connaissaient la prudence de ce chef, et qu'ils regardèrent dès ce moment comme redoutable le parti pour lequel il n'avait pas craint de se déclarer.

Le mulâtre Clervaux, président de la commission qui venait de décider la mort de Charles Belair, fut

facilement engagé par Petion à déserter à son tour, le 16 septembre 1802, et menaça le Cap, commis la veille à sa garde. La garnison blanche de la place, réduite par la peste à 200 hommes et à quelques soldats de garde nationale, fit bonne résistance; mais, pendant qu'elle tenait bravement tête à un ennemi armé, les soldats placés sur les vaisseaux qui étaient en rade, massacraient sur leurs ponts et jettaient à la mer plus de douze cents prisonniers sans armes, amenés le matin à leur bord pieds et poings liés, après s'être rendus à discrétion. Dans la nuit du 17 septembre, Christophe, qui était demeuré « spectateur bénévole, » comme il le disait luimême, de l'action engagée entre les deux partis, alla se joindre à la troupe de Clervaux, qui s'était retiré sur la Grande-Rivière. Son exemple fut suivi peu de jours après par Dessalines; et une dernière défection, celle de Toussaint Brave, abandonna les Français aux seules forces blanches que la contagion eût épargnées, 2,200 hommes à peu près, seul débris d'une armée de plus de 34,000 combattants. 24,000 avaient succombé, et 8,000 attendaient la mort dans les hôpitaux. Bientôt la maladie ne respecta pas même le capitaine-général; dès le moment de l'arrestation de Toussaint-Louverture, sa santé était languissante, et dans les complots imputés au chef noir, on l'avait montré surtout comme coupable d'avoir calculé sur la mort prochaine du général français.

Ce triste événement eut lieu dans la nuit du premier au deux novembre de l'année 1802. Madame Leclerc, qui avait accompagné son époux pour partager les triomphes qu'il avait espérés au commencement de la guerre, remonta avec sa dépouille mortelle sur le vaisseau qui devait la reporter en

France.

Nous avons raconté les événements de l'expédition de Leclerc, d'après des Mémoires particuliers, des pièces officielles, des documents communiqués par sir Barskett, et d'après les Mémoires de M. Pamphile-Lacroix, témoin oculaire. Nous ne pouvons nous refuser à laisser parler, sur ces mêmes événements, un homme qui ne fut étranger à aucune des scènes de ce drame sanglant; les pages suivantes sont extraites d'un manifeste publié en septembre 1814, par Christophe, alors roi d'Hayti, et menacé d'une nouvelle invasion des blancs.

Nous avions mérité les faveurs de la liberté, par notre attachement indissoluble à la mère-patrie. Nous lui en avons prouvé notre reconnaissance;

α

Quand, réduits à nos seules ressources, privés de toute communication avec la France, nous résistâmes à toutes les séductions; quand, inflexibles aux menaces, sourds aux propositions, inaccessibles à l'artifice, nous bravâmes la misère, la famine et les privations de tout genre, et que nous triomphâmes enfin de nos ennemis intérieurs et extérieurs,

« Nous étions loin alors de prévoir que douze ans après, pour prix de tant de persévérance, de tant de sacrifices et de tant de sang, la France voudrait nous priver de la manière la plus barbare, de la plus précieuse de nos possessions, de la liberté.

<< Sous l'administration du gouvernenr - général ToussaintLouverture, Hayti sortait de ses ruines, tout semblait promettre un heureux avenir. L'arrivée du général Hédouville changea entièrement la face des choses, et porta un coup mortel à la tranquillité publique. Nous n'entrerons pas dans le détail

de ses intrigues avec le général haytien Rigaud, auquel il persuada de se révolter contre son chef légitime. Nous dirons seulement qu'avant de quitter l'île, cet agent avait mis tout en confusion, en jetant parmi nous les brandons de la discorde, et en allumant la torche de la guerre civile.

«

Toujours zélé pour le rétablissement de l'ordre et de la paix, Toussaint - Louverture, par une administration paternelle, rendit aux lois, à la morale, à la religion, à l'éducation et à l'industrie leur énergie première. L'agriculture et le commerce étaient florissants: il favorisait les colons blancs, particulièrement ceux qui s'occupaient de nouvelles plantations; et les attentions qu'il prit pour eux, et sa partialité, allèrent si loin, qu'il fut hautement blâmé de leur être plus attaché qu'aux gens de sa couleur. Ce reproche n'était pas sans quelque fondement; car, quelques mois avant l'arrivée des Français, il sacrifia son propre neveu, le général Moïse, pour n'avoir pas suivi ses ordres relativement à la protection à accorder aux colons. Cet acte du gouverneur, et la grande confiance qu'il avait dans le gouvernement français, furent les principales causes de la faible résistance que les Français trouvèrent à Hayti. En effet, la confiance dans ce gouvernement était si grande, que le général avait licencié la plupart des troupes régulières, et les avait rendues à la culture des terres.

« Tel était l'état des affaires, tandis que l'on négociait la paix d'Amiens; à peine fut-elle conclue, qu'un armement formidable débarqua sur nos côtes une nombreuse armée, qui nous attaqua par surprise, quand nous nous croyions dans la plus grande sécurité, et nous plongea tout à coup dans un abîme de maux.

« La postérité aura peine à croire que, dans un siècle éclairé et philosophique, une entreprise si abominable ait pu être conçue. Du milieu d'un peuple intelligent, un essaim de barbares sortit tout à coup dans le dessein cruel d'exterminer une nation civilisée et paisible, ou de la charger de nouveau desfers d'un esclavage éternel.

Ce n'était pas assez d'employer la force; ils jugèrent néces

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