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et à entraîner dans sa défection tous les corps militaires de cette partie de l'île, dont la plupart étaient demeurés les zélés partisans de Rigaud, et prétendaient le venger.

Les habitants de Jacmel, protestèrent seuls, contre cette révolution; et la population de cette ville, les blancs en tête, envoya, par l'effet d'un un mouvement libre et spontané, une déclaration où elle exprimait ses regrets de voir cesser le gouvernement de Toussaint-Louverture.

Les choses ne se passèrent pas d'abord aussi paisiblement dans l'Est que dans le Sud. Paul Louverture, frère du général en chef, et qui commandait à Santo-Domingo, ayant refusé le débarquement au corps envoyé contre cette place, sous la conduite du général Kerversau, quelques habitants espagnols, mieux disposés pour les Français, s'étaient emparés, pendant la nuit, d'un fort qui leur livrait l'entrée de la ville; mais aucune chaloupe de l'escadrille n'avait pu mettre d'hommes à terre sur la côte escarpée de cette partie de l'île, et les bâtiments français s'éloignaient déjà dé la rade, quand soudain on leur fit des signaux pour les rappeler. Par les soins d'un évêque français, qui se trouvait depuis long-temps à Santo-Domingo, le mulâtre Clervaux, commandant à San-Yago, et Paul Louverture, venaient de se décider d'accepter le joug de la France. Ce fut le 20 février 1802 que cette reddition eut lieu.

Ces différentes défections ou ces défaites ne laissaient plus à Toussaint-Louverture que trois demibrigades et une partie de la population du Nord. Ce fut seulement quand sa situation parut désespérée, que ce chef, qui jusque-là avait semblé indécis, et n'avait agi qu'en se tenant toujours derrière les événements, commença à organiser ostensiblement son système d'hostilités. Alors le capitaine-général Leclerc publia la proclamation suivante :

Proclamation du général Leclerc.

«Habitants de Saint-Domingue, je suis venu ici, au nom du gouvernement français, vous apporter la paix et le bonheur; je craignais de rencontrer des obstacles dans les vues ambitieuses des chefs de la colonie: je ne me suis pas trompé ;

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« Ces chefs, qui annonçaient leur dévouement à la France dans leurs proclamations, ne pensaient à rien moins qu'à être Français: s'ils parlaient quelquefois de la France, c'est qu'ils ne se croyaient pas en mesure de la méconnaître ouvertement.

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Aujourd'hui leurs intentions perfides sont démasquées. Le général Toussaint m'avait renvoyé ses enfants avec une lettre dans laquelle il assurait qu'il ne désirait rien tant que le bonheur de la colonie, et qu'il était prêt d'obéir à tous les ordres que je lui donnerais.

« Je lui ai ordonné de se rendre auprès de moi,

je lui ai donné ma parole de l'employer comme mon lieutenant-général : il n'a répondu à cet ordre que par de phrases; il ne cherche qu'à gagner du temps.

J'ai ordre du gouvernement français de faire régner promptemement la prospérité et l'abondance ici si je me laissais amuser par des détours astucieux et perfides, la colonie serait le théâtre d'une longue guerre civile.

« J'entre en campagne, et je vais apprendre à ce rebelle qu'elle est la force du gouvernement français.

«Dès ce moment, il ne doit plus être aux yeux de tous les bons Français qui habitent Saint-Domingue, qu'un monstre insensé.

« J'ai promis aux habitants de Saint-Domingue la liberté. je saurai les en faire jouir. Je ferai respecter les personnes et les propriétés.

J'ordonne ce qui suit:

« Art. Ir. Le général Toussaint et le général Christophe sont mis hors la loi, et il est ordonné à tout citoyen de leur courrir sus, et de les traiter comme des rebelles à la Képublique française.

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20 & 2. A dater du jour où l'armée française aura occupé un quartier, tout officier, soit civil, soit militaire, qui obéira à d'autres ordres qu'à ceux des généraux de l'armée de la République française, que je commande, sera traité comme rébelle.

«3. Les cultivateurs qui ont été induits en er

reur, et qui, trompés par les perfides insinuations des généraux rebelles, auraient pris les armes, seront traités comme des enfants égarés, et renvoyés à la culture, si toutefois ils n'ont pas cherché à exciter des soulèvements.

« 4. Les soldats des demi-brigades qui abandonneront l'armée de Toussaint, feront partie de l'armée française.

« 5. Le général Augustin Clervaux, qui commande le département de Cibao, ayant reconnu le gouvernement français et l'autorité du capitainegénéral, est maintenu dans son grade et dans son commandement.

« 6. Le général chef de l'état-major fera, imprimer et publier la présente proclamation. >>

Le capitaine-général commandant l'armée de Saint-Domingue.

Signé LECLERC.

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Sept mille hommes de troupes nouvelles étaient arrivés sur deux escadres commandées par les contre-amiraux Gantheaume et Linois, et avaient renforcé les divisions du Nord. Avec ces secours se prépara sérieusement à pousser Louverture de position en position. Les Français ne tardèrent pas à devenir maîtres du môle Saint-Nicolas; le quartier de Jean-Robel tomba aussi bientôt en leur pouvoir; et, au bout de peu de jours, tandis que le

général en chef lui-même était battu par Rochambeau, il ne comptait plus dans son armée qu'un seul général qui, pour quelque temps encore, tint tête à l'ennemi.

Ce brave homme était le noir Maurepas, .commandant du Port-de-Paix, et qui avait brûlé cette place avant de la rendre. Une colonne de douze cents hommes, sous les ordres du général Humbert; quinze cents soldats de troupes fraîches qui vinrent la renforcer, n'avaient pu le repousser ou envelopper sa troupe, à peine égale en nombre, Enfin la division Desfourneaux et quinze cents hommes de la division Hardy firent contre-marche, et, descendant la gorge des Trois-Rivières, lui coupèrent toute retraite. C'est dans cette position critique qu'il apprit la nouvelle de la défaite de ToussaintLouverture, et qu'il se rendit au capitaine-général Leclerc, sur la promesse que son grade lui serait conservé.

Cet événement semblait devoir achever la ruine de Toussaint, par l'atteinte qu'il portait à son crédit.

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Saint-Marc était encore au pouvoir du commandant de l'Ouest, Dessalines; le général Boudet se dirigea du Port-au-Prince sur cette ville, que les noirs n'espéraient plus défendre, mais dont ils ne voulaient laisser à l'armée d'occupation que le sol et les ruines.

Le 6 ventose (24 février), à deux heures du ma

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