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colonie de Saint-Domingue. Nous y envoyons le général Leclerc, notre beau-frère, en qualité de capitaine-général, comme premier magistrat de la colonie. Il est accompagné de forces convenables pour faire respecter la souveraineté du peuple français. C'est dans ces circonstances que nous nous plaisons à espérer que vous allez nous prouver, et à la France entière, la sincérité des sentiments que vous avez constamment exprimés dans les différentes lettres que vous nous avez écrites.

« Nous avons conçu pour vous de l'estime, et nous nous plaisons à reconnaître et à proclamer les grands services que vous avez rendus au peuple français; si son pavillon flotte à Saint-Domingue, c'est à vous et aux braves noirs qu'il le doit.

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Appelé par vos talents et la force des circonstances au premier commandement, vous avez détruit la guerre civile, mis un frein à la persécution de quelques hommes féroces, remis en honneur la religion et le culte de Dieu, de qui tout

émane.

« La constitution que vous avez faite, en renfermant beaucoup de bonnes choses, en contient qui sont contraires à la dignité et à la souveraineté du peuple français, dont Saint-Domingue ne forme qu'une portion...

« Les circonstances où vous vous êtes trouvé, environné de tous côtés d'ennemis, sans que la métropole puisse ni vous secourir, ni vous alimen

ter, ont rendus légitimes les articles de cette constitution qui pourraient ne pas l'être; mais aujourd'hui que les circonstances sont si heureusement changées, vous serez le premier à rendre hommage à la souveraineté de la nation qui vous compte au nombre de ses plus illustres citoyens, par les services que vous lui avez rendus, et par les talents et la force de caractère dont la nature vous a doué. Une conduite contraire serait inconciliable avec l'idée que nous avons conçue de vous. Elle vous ferait perdre vos droits nombreux à la reconnaissance de la république, et creuserait sous vos pas un précipice qui, en vous engloutissant, pourrait contribuer au malheur de ces braves noirs dont nous aimons le courage, et dont nous nous verrions avec peine obligé de punir la rébellion.

« Nous avons fait connaître à vos enfants et à leur précepteur les sentiments qui nous animent, et nous vous les

renvoyons.

« Assistez de vos conseils, de votre influence et de vos talents, le capitaine-général. Que pouvezvous désirer? la liberté des noirs. Vous savez que dans tous les pays où nous avons été nous l'avons donnée aux peuples qui ne l'avaient pas. De la considération, des honneurs, de la fortune? Ce n'est pas après les services que vous avez rendus, que vous pouvez rendre encore dans cette circonstance, avec les sentiments particuliers que nous avons pour vous, que vous devez être incertain sur votre

considération, votre fortune, et les honneurs qui vous attendent.

par

« Faites connaître aux peuples de Saint-Domingue que la sollicitude que la France a toujours portée à leur bonheur, a été souvent impuissante les circonstances impérieuses de la guerre; que le's hommes venus du continent pour l'agiter et alimenter les factions étaient le produit des factions qui elles-mêmes déchiraient la patrie; que désor mais la paix et la force du gouvernement assurent leur prospérité et leur liberté. Dites-leur, que si la liberté est pour eux le premier des biens, ils ne peuvent en jouir qu'avec le titre de citoyens français, et que tout acte contraire aux intérêts de la patrie, à l'obéissance qu'ils doivent au gouverne ment et au capitaine-général, quien est le délégué, serait un crime contre la souveraineté nationale, qui éclipserait leurs services et rendrait Saint-Domingue le théâtre d'une guerre malheureuse où des pères et des enfants s'entr'égorgeraient. Et vous, général, songez que si vous êtes le premier de votre couleur qui soit arrivé à une si grande puissance, et qui se soit distingué par sa bravoure et ses talents militaires, vous êtes aussi devant Dieu et nous le principal responsable de leur conduite.

« S'il était des malveillants qui dissent aux individus qui ont joué le principal rôle dans les troubles de Saint-Domingue que nous venons pour rechercher ce qu'ils ont fait pendant les temps d'anar

chie, assurez-les que nous ne nous informerons que de leur conduite dans cette dernière circonstance, et que nous ne rechercherons le passé que pour connaître les traits qui les auraient distingués dans la guerre qu'ils ont soutenue contre les Espagnols et les Anglais, qui ont été nos ennemis.

Comptez sans réserve sur notre estime, et conduisez-vous comme doit le faire un des principaux citoyens de la plus grande nation du monde. » Paris, 27 brumaire an 10 ( 18 novembre 1801).

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Coisnon, profitant de l'émotion dans laquelle il voyait Toussaint-Louverture, après la lecture dé cette lettre, se hasarda à lui proposer de se rendre auprès du général Leclerc, qui lui offrait le grade de son premier lieutenant. Il n'obtint pas de réponse; et, après deux heures d'entrevue Toussaint partit, laissant à l'habitation d'Enneri ses deux fils et leur précepteur, auquel il promit pourtant d'envoyer le lendemain sa réponse au capitaine-général. Cette lettre ne vint que trois jours après le départ du chef noir; elle était apportée par l'instituteur Granville, blanc des Gonaïves, chargé de l'éducation du troisième fils de Louverture. Un ordre donné à Coisnon de ramener avec lui les fils de Toussaint, et une réponse de ce chef au premier consul accompagnaient cette lettre.

Leclerc renvoya de nouveau vers leur père les deux fils de Toussaint-Louverture, avec une dernière lettre où les plus brillantes promesses étaient mêlées aux menaces les plus sévères. Toussaint alors partagé entre sa tendresse paternelle et son honneur, prêt à sacrifier le premier de ces sentiments au second, ordonna à ses fils de décider entre la France et lui. L'aîné des deux, Isaac, après quelques moments d'hésitation, déclara qu'il allait retourner avec les Français. Le plus jeune, nommé Placide, se jeta au cou de son père pour ne le quitter jamais.

La lettre écrite par Toussaint à Bonaparte est un morceau du plus haut intérêt, que nous n'avons trouvé dans aucun des documents français recueillis par nous en grand nombre. Nous avons pu nous la procurer traduite en anglais, et nous n'avons aucun doute sur son authenticité. La traduction du texte anglais de cette pièce est autant. littérale qu'elle le puisse être, et ne doit s'éloigner en rien de l'original.

TOUSSAINT-LOUVERTURE, général en chef de l'armée de Saint-Domingue, à BONAPARTE, premier consul de la République française.

Citoyen Consul,

« Votre lettre m'a été remise par votre beaufrère, le général Leclerc, que vous avez nommé ca

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