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capables de soumettre des rebelles, si toutefois on devait en trouver à Saint-Domingue.

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Quant à vous, citoyen général, je vous avoue qu'il m'en coûterait de vous compter parmi les rebelles. Je vous préviens que si aujourd'hui vous ne m'avez pas fait remettre les forts Picolet, Belair et toutes les batteries de la côte, demain, à la pointe du jour, 15,000 hommes seront débarqués.

Quatre mille débarquent en ce moment au fort Liberté; 8,000 au port Républicain; vous trouverez ci-jointe ma proclamation; elle exprime les intentions du gouvernement français; mais rappelez-vous que, quelque estime particulière que votre conduite dans la colonie m'ait inspiré, je vous rends responsable de tout ce qui arrivera. »

«Le général en chef de l'armée de Saint-Domingue, et capitaine-général de la colonie. >> Signé LECLERC.

La lettre de Leclerc ne produisit pas plus d'effet que les prières des municipaux; la journée se passa sans que l'effet suivit les menaces du capitaine-général. Le lendemain on apprit que des vents contraires avaient forcé l'escadre de prendre le large, et cette nouvelle redoubla l'inflexibilité du commandant du Cap, quoique déjà la proclamation suivante du premier consul et une autre signée de Leclerc se fussent répandues dans la ville, par les

soins même de Télémaque, maire du Cap, noir tout dévoué à la France, et qu'elle fussent accueillies avec ardeur par un grand nombre d'habitants.

Le premier consul aux habitants de SaintDomingue.

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Quelles que soient votre origine et votre couleur, vous êtes tous Français, vous êtes tous libres et tous égaux devant Dieu et devant les hommes.

« La France a été, comme Saint-Domingue, en proie aux factions et déchirée par la guerre civile et par la guerre étrangère; mais tout a changé : tous les peuples ont embrassé les Français, et leur ont juré la paix et l'amitié; tous les Français se sont embrassés aussi et ont juré d'être tous des amis et des frères; venez aussi embrasser les Français, et vous réjouir de revoir vos amis et vos frères d'Europe.

« Le gouvernement vous envoie le capitaine-général Leclerc; il amène avec lui de grandes forces pour vous protéger contre vos ennemis et contre les ennemis de la république. Si l'on vous dit : Ces forces sont destinées à vous ravir la liberté ; répondez: La République ne souffrira pas qu'elle nous soit enlevée.

« Ralliez-vous autour du capitaine-général : il vous apporte l'abondance et la paix; ralliez-vous autour de lui. Qui osera se séparer du capitainegénéral sera un traître à la patrie, et la colère de

la république le dévorera comme le feu dévore vos cannes desséchées.

« Donné à Paris, au palais du gouvernement, le 17 brumaire an X de la république française (8 novembre 1801). »

Le premier consul, Signé BONAparte.

Christophe résistait toujours et faisait les préparatifs les plus vigoureux de défense. Ceux des habitants qui n'étaient point disposés à combattre, avaient même reçu de lui l'ordre de céder le terrain, aux troupes actives. En effet, il ne fallait plus compter sur la suite des négociations; du sang venait d'être versé pour la première fois entre les deux partis. Le général Rochambeau était débarqué dans la baie de Mancenille, et l'entrée du fort Dauphin avait été forcée par les canons de l'es cadre qui portait ce chef. Cette première attaque avait décidé la guerre. La municipalité du Cap elle-même, quand les noirs, chassés des postes envahis, se replièrent vers ses murs, ne songea plus qu'à la défense et à la conservation de la cité; mais les ordres donnés par Christophe ne lui permirent plus même de veiller sur ses toîts. Les soldats, disposés en ligne, de telle sorte que rien ne pouvait demeurer derrière eux, firent évacuer une à une toutes les maisons, et, quand elles furent vides, ils commencèrent de nouveau leur promenade, une torche à la main, et portant la flamme partout où ils es

péraient que le vent la propagerait avec plus de célérité. Au milieu de la nuit, l'explosion succèssive des poudrières qui sautaient en l'air, vint annoncer aux habitants fugitifs que les troupes de Christophe faisaient enfin leur retraite sans rien laisser derrière eux que des cendres et des flammes.

Peu de temps après que le jour fut venu éclairer ces scènes de désolation, on vit une partie de l'escadre française se diriger vers la ville, où personne ne se trouvait pour la recevoir; ni la garde des forts pour lui disputer le passage, ni les habitants pour implorer son appui ; cependant ces derniers ne tardèrent pas à revenir de toutes parts, avec la municipalité de leur ville. Les commandants français les reçurent à bras ouverts, mais ils ne purent leur rendre ce qu'ils avaient perdu. On estime à plus de cent millions de francs la valeur des propriétés de tout genre que dévora ce second incendie.

Ainsi la guerre se trouvait engagée avec fureur, sans que les moyens de conciliation auxquels les instructions de Leclerc lui ordonnaient de recourir, eussent encore pu être tentés.

Les deux fils aînés de Toussaint-Louverture avaient accompagné l'expédition, avec leur précepteur Coisnon, directeur de l'institution dans laquelle ils avaient été élevés.

Leclerc avait l'ordre précis de faire parvenir par eux la lettre que le premier consulécrivait à leur père. Mais la frégate qui les portait ne put toucher terre

que le 7 février, trois jours après l'incendie du Cap. On les dirigea sur l'habitation d'Enneri, où on supposait qu'ils trouveraient leur père; celui-ci n'y arriva que deux jours après eux. Sa joie fut grande en revoyant ses deux fils; il les embrassa. L'un des jeunes enfants prit alors la parole, et raconta à son père les bontés que le gouvernement français avait eues pour lui et pour son frère, et l'entrevue du premier consul avec eux avant leur départ. Jusqu'à cette partie de l'entretien la figure du général noir s'était animée de toute l'expression de la joie; mais dès lors elle ne présenta plus que l'impassibilité froide et inaltérable de l'homme d'état. La lettre du premier consul fut remise par Coisnon à Toussaint-Louverture avec la boîte d'or qui la contenait: celui-ci y jeta d'abord avidemment les yeux ensuite il la relut plus lentement. Voici quelle était cette lettre, chef-d'œuvre de politique, et qui eut sans doute prévenu bien des maux pour la France si les événements eussent permis qu'elle arrivât plus tôt à sa destination.

:

Bonaparte, premier consul de la République francaise à Toussaint-Louverture, genéral en chef de l'armée de Saint-Domingue.

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Citoyen général, la paix avec l'Angleterre et toutes les puissances de l'Europe, qui vient d'asseoir la république au plus haut degré de grandeur, met le gouvernement à même de s'occuper de la

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