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tous pris part au complot, furent horriblement persécutés et rien n'annonçait le terme de leurs malheurs, lorsque Toussaint-Louverture arriva inopinément au Cap; les captifs se persuadèrent qu'il venait décider leur mort: il invita tous les habitants à se rendre à l'église : toutes les autorités civils et militaires durent s'y trouver. La garnison noire bordait la place, et à la tête du piquet deservice dans l'église se trouvaient les hommes de couleurs, presqu'entièrement nuds et dans le plus grand abattement. Toussaint - Louverture se place à la tête de la troupe, prononce avec onction un pompeux éloge du pardon des injures, que tout bon chrétien doit pratiquer; et, pour être conséquent avec lui-même, il proclame à l'instant la grâce et la liberté de tous les mulâtres, faisant remettre à chacun d'eux des habits et un secours en argent pour aller rejoindre ses frères qui, disait-il, souffrent et les attendent avec impatience.

Cet acte inattendu de clémence produisit un enthousiasme général : les bénédictions accompagnèrent à la sortie de l'église celui qui en était l'auteur; la générosité de Toussaint n'eût pas cependant tout l'effet qu'à coup sûr il en avait attendu; les hommes de couleur qui n'avaient point encore déposé les armes continuèrent les hostilités. Pour leur opposer des combattants, on arma tous les blancs du Nord et de l'Ouest, qui n'osèrent refuser ce service.

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L'agent Roume, voyant que tous ses efforts pour éteindre le feu de cette guerre, étaient superflus, fit partir pour la France le chef de brigade du génie Vincent, chargé d'aller rendre compte au Directoire de la division malheureuse des deux principaux chefs de la colonie; mais la guerre n'en continua pas moins de part et d'autre avec un acharnement effroyable.

Mais le parti de Rigaud était à la longue accablé par le nombre; toutes les places lui furent successivement enlevées, et on l'avait repoussé jusqu'aux Cayes; enfin, il n'avait plus d'autre ressource contre l'ennemi, que de faire de tout le pays qu'il laissait derrière lui, une vaste solitude; et cette ressource, il en recommandait l'usage à ses subalternes avec tant d'exigence, qu'il leur ordonnait même de ne pas laisser après eux « un arbre qui n'eût les racines en l'air. »

Toussaint songeait à forcer son rival dans ses derniers retranchements, lorsqu'il apprit le retour de Vincent, faisant partie d'une députation envoyée par la France et composée en outre du commissaire de couleur Raymond et du général Michel. Les membres de cette députation étaient tous connus de Toussaint, et ce chefleur avait plus d'une fois témoigné de l'intérêt et de la confiance: cependant il s'assura de la personne des deux officiers blancs, afin d'apprendre s'ils n'avaient pas de mission secrète, et de connaître d'avance le contenu des dépêches dont

ils étaient porteurs. Le général Michel fut arrêté sur la route de Santo-Domingo au Cap: le chef de brigade Vincent, au Morne-Rouge sur celle de Santo-Domingo au Port-au Prince; la défiance de Toussaint était au comble, car un bruit accrédité par le gouvernement consulaire, s'était répandu qu'une flotte sortie des ports de France, sous le commandement du général Sahuguet et du contreamiral Gantheaume, et destinée réellement à renforcer les troupes de l'expédition d'Égypte, allait se diriger dans l'Océan du nord et sur Saint-Domingue.

Les députés arrivèrent cependant au Cap; ils donnèrent officiellement connaissance à ToussaintLouverture, des changements politiques que la révolution du 18 brumaire venait d'apporter dans le gouvernement de la métropole: ils lui apprirent en même temps que les consuls le confirmaient dans son emploi de général en chef de l'armée de SaintDomingue.

Cette confirmation le flatta peu; et il se plaignit de ce que le premier consul ne lui avait pas

écrit

lui-même; les pièces suivantes ne lui paraissaient pas assez pleines de bienveillance.

Paris, le 4 nivôse, l'an 8 de la République française,

une et indivisible.

« Les consuls de la république arrêtent ce qui

suit :

« ART. Ier Les citoyens Vincent, l'ingénieur

Raymond, homme de couleur, ex-agents, et le géral Michel, partiront sans délai; ils se rendront à Saint-Domingue.

«< 2. Ils seront porteurs de la proclamation cijointe.

«3. Le citoyen Michel sera mis à la disposition de l'agent du gouvernement Roume, pour être employé dans son grade, dans les troupes de SaintDomingue, sous les ordres du général ToussaintLouverture.

"

« 4. Le citoyen Raymond sera employé pour le rétablissement de la culture, sous les ordres de l'agent du gouvernement Roume.

5. Ces agents partiront de Paris au plus tard le 5 nivôse, et de Brest douze heures après leur arrivée dans cette ville.

« 6. Les mots suivants: Braves noirs, souvenezvous que le peuple français seul, reconnaît votre liberté et l'égalité de vos droits, seront écrits en lettre d'or sur tous les drapeaux des bataillons de garde nationale de la colonie de Saint-Domingue.

« Le ministre de la marine et des colonies est chargé de l'exécution du présent arrêté. »

Le premier consul, signé BONAParte. Par le premier le consul, le secrétaire-d'état,

Signé Hugues B. MARET.

Pour copie conforme, le ministre secrétaire de la

marine et des colonies, signé FORfait.

Paris, le 4 nivôse, l'an 8 de la République française, une et indivisible.

Les consuls de la république française aux citoyens de Saint-Domingue.

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Citoyens, une constitution qui n'a pu se soutenir contre des violations multipliées, est remplacée par un nouveau pacte destiné à affermir la liberté.

« L'article 91 porte que les colonies françaises seront régies par des lois spéciales.

« Cette disposition dérive de la nature des choses et de la différence des climats.

<< Les habitants des colonies françaises situées en Amérique, en Asie, en Afrique, ne peuvent être gouvernée par le même droit.

« La différence de habitudes, des mœurs, des intérêts, la diversité du sol, des cultures, des productions, exigent des modifications diverses.

« Un des premiers actes de la nouvelle législation, sera la rédaction des lois destinées à vous régir.

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Loin qu'elles soient pour vous un sujet d'alarmes, vous y reconnaîtrez la sagesse et la profondeur des vues qui animent les législateurs de la

France.

<< Les consuls de la république, en vous annonçant le nouveau pacte social, vous déclarent que les principes sacrés de la liberté et de l'égalité des

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