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duquel elle se trouve placée, je cours l'en retirer. J'apprends dans ma marche que le général agent s'est embarqué; j'en suis surpris et hâte mon arrivé au Cap, où je parvins, non sans beaucoup de peine, après avoir arrêté, soit par des prières, soit par des menaces, le torrent dont elle craignit d'être inondée; j'y fais mon entrée avec le 4° régiment ; alors la sécurité renaît, la joie succède à la consternation. Je dirige mes pas vers l'administration municipale, pour me concerter avec les magistrats du peuple. L'étonnement que m'avait causé le départ du général Hédouville se change en douleur, lorsqu'ils m'apprennent que cet agent, effrayé sans doute des dangers où il avait exposé la chose publique, désespérant de pouvoir l'en préserver avait pris le parti de s'éloigner, et que, pour colorer sa fugue pusillanime, il avait proclamé que je voulais l'indépendance.

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« La terreur s'étant accrue, plus de dix-huit cents personnes accompagnent l'agent dans sa fuite. « Il ordonne au sous-directeur de l'artillerie, le citoyen Gassonville, de faire enclouer les canons du fort Picolet et de l'arsenal. L'ordre s'exécute et ce moment sembla devenir le signal de tous les crimes; on criait déjà aux armes ; les troupes, rangées en bataille sur la place d'armes, s'agitent à ce cri; les chefs parviennent à les apaiser; si un coup de fusil fût parti dans cet instant, c'en était fait de la ville du Cap.

« Fort de ma conscience, je ne vous rappellerai pas, citoyens directeurs, tout ce que j'ai fait pour le triomphe de la liberté, la prospérité de SaintDomingue, la gloire de la république française ; je ne protesterai pas, auprès de vors, de mon attachement à la métropole, à mes devoirs; de mon respect à la constitution, aux lois de la république et de ma soumission au gouvernement; je vous en fis le serment, j'y suis fidèle, et ma conduite à venir, plus que tous les serments, vous prouvera que j'y serai toujours fidèle.

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Citoyens directeurs, j'ai dû hâter ma justification à vos yeux, du crime d'indépendance don't

on va m'accuser.

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Appuyé de la justice de ma cause, encore plus que de votre équité, je n'envoie pas auprès de vous un homme éloquent; le citoyen Caze n'est connu ici que par son attachement aux vrais principes; juste appréciateur d'un mérite que je ne dérobai pas, il abandonne ses intérêts pour me donner, en se chargeant de mes dépêches, une preuve de son attachement à la liberté d'un peuple qui la mérita.

« Si la défense de ma cause, celle de la liberté de mes frères, avaient besoin de l'astuce, de l'intrigue et d'une éloquence mâle pour triompher de leurs ennemis, je l'abandonnerais et gémirais sur la France; mais comme je suis persuadé qu'il suffit de présenter la vérité pour qu'elle soit saisie par un gouvernement républicain, je me contente de vous

faire l'exposition de ma conduite, de celle du général Hédouville, et me repose sur votre justice, sur le prononcé qui doit en résulter.

Aussitôt que j'ai eu rétabli la tranquillité publique, j'ai député auprès du commissaire Roume, votre délégué dans la partie ci-devant espagnole de cette île, pour le conjurer, au nom du salut public, de venir prendre les rênes du gouvernement abandonnées par le général Hédouville; persuadé que sa détermination sera conforme aux vœux de tous les bons Français, j'attends avec impatience son arrivée pour l'aider de tout mon pouvoir dans les importantes fonctions de sa nouvelle place.

« Salut et profond respect.

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Signé TOUSSAINT-Louverture.

Cap, le 22 brumaire, l'an 7 de la République française, une et indivisible.

Une conséquence des événements que nous venons de raconter était facile à prévoir; c'était une rupture imminente entre les nègres et les hommes de couleur.

Le commissaire Roume qui, après le départ d'Hédouville, avait pris le titre d'agent du Directoire: appela au Port-au-Prince les deux chefs de la colonie, dans la vue de concilier leurs opinions et de les amener à une franche et sincère réconciliation; mais le général Rigaud, blessé tout récemment dans son amour-propre par une division territoriale,

qui restreignait le département militaire du Sud réuni à son commandement, ne parut guère disposé à reconnaître Toussaint comme son chef; il alla même jusqu'à accuser le général noir de conspiration, il suspendit ses relations avec lui; et de cette première rupture à des initiatives sanglantes, il n'y avait pas loin pour ces hommes déjà depuis si long-temps

rivaux et ennemis.

Les hommes de couleur, effrayés de voir passer le commandement suprême entre les mains d'un Africain pur, vinrent en foule se ranger sous les drapeaux de Rigaud; de leur côté, les noirs s'armèrent, et les deux partis se montrèrent également acharnés. Les deux partis portaient également les couleurs de la France, et prétendaient combattre pour elle; les blancs n'étaient presque plus comptés pour rien dans cette querelle: selon leurs intérêts ou leurs opinions, ils se rangeaient d'un côté ou de l'autre; mais c'étaient des auxiliaires trop peu sûrs pour qu'on en fit grand cas.

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La guerre avait commencé sous les plus sanglants auspices, Rigaud avait fait impitoyablement massacrer, sans distinction d'àge, de sexe et de couleur, tout ce qui s'était trouvé au sac de Léogane, qu'on venait de distraire de son autorité. Toussaint, en ap prenant ce massacre était monté en chaire, et après avoir annoncé son départ et prédit ses succès, chûte de Rigaud et la ruine des hommes de couleur: « Je le vois, avait-il dit, je le vois au fond de vos

la

«ames, vous étiez prêts à vous soulever contre moi; « mais bien que toutes les troupes doivent en ce « moment quitter la partie de l'Ouest, j'y laisse «mon œil et mon bras: mon œil qui saura vous « surveiller, mon bras qui saura vous atteindre. >> Les hommes de couleur consternés sortirent de l'église pleins de stupeur, et se retirèrent dans leurs maisons; mais leurs frères du Sud défendirent avec orgueil, et souvent avec succès, les approches de leur territoire; tous ceux des agents de Toussaint qui tombaient au pouvoir de Rigaud, furent égorgés, sans que l'ennemi se lassât d'attaquer et d'exercer de cruelles représailles. Mais un événement imprévu faillit perdre Toussaint et le parti des noirs : il fut ourdi une vaste conjuration, dont les ramifications s'étendaient sur toute la portion de la colonie ou commandait Louverture. Ce complot échoua au moment de l'exécution, et ne fit qu'accroître le pouvoir de celui qu'il devait abattre.

Déjà les conjurés croyaient avoir poussé à bout leur entreprise, quand Toussaint, instruit de tout, ordonne en même temps l'arrestation et le supplice des traîtres, s'élance du Port-au-Prince vers le Nord, force le passage du pont de l'Esther, fond sur les hommes de couleur qu'il surprend, délivre les blancs prisonniers dans les quartiers des Gonaïves et du Gros-Morne, et vient s'emparer du môle SaintNicolas.

Les hommes de couleurs du Nord, qui avaient

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