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qu'on ne lui aurait pu demander. On fut très étonné de le voir revenir quelque temps après, avec quatre ou cinq cents hommes de ses sujets, tous porteurs de bâtons durcis au feu, dont ces peuples se servaient pour remuer la terre. Il demanda qu'on leur marquât un terrain pour le cultiver, et il fit faire, en très peu de jours, un défrichement que des gagistes espagnols, dit Herrera, n'eussent pas fait pour trente mille ducats.

La générosité de Barthélemi, à l'égard de la fille de Mayobanex, avait beaucoup fait espérer aux Indiens pour le chef lui-même : prières, larmes, présents, tout fut employé par eux pour le sauver, et tout fut inutile. L'Espagnol crut devoir faire un exemple qui retînt les autres petits princes dans la soumission. Après avoir rendu la liberté à toute la famille du rebelle, il le fit conduire lui-même à la capitale, où son procès fut instruit dans les formes, et suivi de son exécution à mort.

Les choses étaient en cet état, lorsque Colomb, parti du port de San-Lucar, le 30 mai 1498, découvrit l'île de la Trinité le 2 août, et enfin le continent d'Amérique, qu'il prit pour une île; la disette des vivres, et le mauvais état de ses vaisseaux l'empêchèrent de poursuivre sa reconnaissance, et, le 22 août 1498, il débarqua à la capitale de l'île Espagnole, au milieu des acclamations de tous ceux de la colonie qui étaient demeurés fidèles à sa cause.

Informé de ce qui s'était passé pendant son ab

sence, il fit en vain tous ses efforts pour étouffer la rébellion, et gagner Ximenès, auquel il offrit même un sauf-conduit. Le traître ne profita de cette faveur que pour tromper l'amiral, et lui débaucher encore quelques soldats.

Roldan avait de nombreux amis à la cour d'Espagne, et les succès de Colomb lui avaient fait des ennemis implacables. On tourna contre lui les faits de la lutte qu'il soutenait contre cet insolent compétiteur. La cour, prévenue par les calomnies de toute espèce semées contre l'amiral, le rappela, et envoya dans la colonie Dom François de Bovadillo, commandeur de l'ordre de Calatrava, avec une commission d'intendant suprême de la justice : c'était, disait-on, dans le décret royal, pour déférer à la demande qu'avait faite l'amiral, d'un tribunal qui jugerait de son différend avec Roldan; eť on ajoutait qu'en conséquence, on ne pourrait laisser dans la colonie, à l'arrivée du grand-juge, un homme qui, comme Colomb, était revêtu de deux charges aussi importantes que celles d'amiral et de vice-roi.

A son arrivée, Bovadillo, maître de la ville et de la citadelle de San-Domingo, se fit reconnaître en qualité de gouverneur-général, et envoya à Colomb une lettre du roi et de la reine, conçue en ces termes : « Dom Christophe Colomb, notre amiral « dans l'Océan, nous avons ordonné au comman« deur Dom François de Bovadillo, de vous dire,

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« de notre part, bien des choses; et nous vous en

joignons d'y ajouter foi, et d'exécuter ce qu'il << vous déclarera en notre nom. A Madrid, ce 26 « mai, 1499. Moi, le Roi; moi, la Reine. »

Très surpris à la lecture d'une lettre, dans laquelle on ne lui donnait plus, comme à l'ordinaire, le titre de vice-roi; mais résolu d'obéir, Colomb se rendit auprès de Bovadillo; celui-ci, sans le voir et l'entendre, le fit enlever et enfermer dans la citadelle, les fers aux pieds. C'est dans cet état que l'homme dont le génie venait d'agrandir le monde, fut conduit en Espagne avec ses deux frères, Barthélemi et Diègue. Bovadillo avait ordonné qu'à leur arrivée à Cadix, on mit les prisonniers, avec tous les papiers de la procédure irrégulière qu'on avait commencée, entre les mains de l'évêque de Cordoue, et de Gonzalo Gomez de Cervantez, parent du commandeur, tous deux ennemis déclarés des trois frères. Le vaisseau qui portait Colomb, mouilla devant Cadix le 25 de novembre.

Le roi et la reine, instruits et indignés du traitement fait à un homme qui avait si bien mérité de la couronne, et d'un abus aussi révoltant de leur autorité, réparèrent, autant qu'il se pouvait, les torts de leurs agents. On rendit les trois captifs à la liberté; et le décret portait qu'on remettrait à chacun d'eux mille écus pour faire le voyage de Grenade, où la cour était alors; ils étaient invités à s'y rendre sans tarder.

Du reste, la conduite barbare et tyrannique de Bovadillo servit merveilleusement à la justification de Colomb. Quoique l'heureuse exploitation des mines d'or de Saint-Christophe (1) eût acquis à ce chef un très grand crédit, il fallut enfin ouvrir les yeux sur les cruautés de toutes espèces dont

(1) On se formera une idée de la richesse de ces mines, d'apres un trait rapporté par les historiens du temps, et qu'on retrouve dans une histoire authentique de l'île de Saint-Domingue.

« Un jour, dit cet historien, que les esclaves indicns déjeû<< naient sur le bord de la rivière Hayna, une femme s'étant aviséc « de frapper la terre du bâton qu'elle avait à la main, elle sentit quelque chose de fort dur; elle regarda, et vit que c'était de « l'or: elle le découvrit entièrement; et, surprise de la grosseur de

«

« ce grain, elle jeta un cri qui fit bientôt accourir François de Garay, lequel n'était pas fort loin.

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« Il ne fut pas moins surpris que l'avait été l'Indienne; et, « dans le premier transport de sa joie, il fit tuer un cochon, le « fit servir à ses amis sur ce grain, assez grand pour tenir la « bête toute entière; et il leur dit qu'il pouvait bien se vanter « que le Roi Catholique n'était pas servi en vaisselle plus riche « que lui.

«

«

<< Bovadillo acheta ce grain pour leurs Altesses; il pesait « 3600 écus d'or, et les orfèvres, après l'avoir examiné, jugèrent qu'il n'y en aurait pas plus de 300 de déchet à la « fonte. On y voyait, il est vrai, quelques petites veines de pierre ; mais ce n'était guère que des taches qui avaient peu « de profondeur. Enfin il ne s'est jamais vu, en aucun endroit, « un pareil grain; et l'on peut juger combien cette découverte << anima les espérances de ceux qui s'occupaient à la même re« cherche. Il fut englouti par les vagues en 1502, au milieu • d'une tempête qui fit périr vingt-un navires chargés d'or. »

il accablait les malheureux Indiens occupés à ce travail. On ne peut, sans éprouver un profond sentiment d'horreur, lire les détails affreux consignés dans les relations des Espagnols mêmes qui en ont été témoins.

Cet homme aussi injuste que cruel fut rappelé, on lui donna pour successeur Dom Nicolas Ovando, commandeur de l'ordre d'Alcantara, envoyé avec les instructions les plus sages, et qui débarqua à San-Domingo le 15 avril 1501. Ce gouverneur avait joui jusqu'au moment où il fut envoyé dans le Nouveau-Monde, d'une renommée d'intégrité et de modération qu'il soutint mal dans ce poste, où ces vertus étaient le plus nécessaires : les historiens de sa nation ont voulu excuser ses fautes, nous dirons même ses crimes, par la nécessité de sa position; mais ce n'est pas ainsi que le sang humain versé à grands flots peut s'excuser.

Cependant Colomb était demeuré en Europe: malgré sa justification authentique, et ses offres réitérées d'aller à la découverte de nouvelles terres, on cherchait en secret à traverser ses projets; l'amiral déclara alors publiquement que, las d'être à la merci de ses ennemis, il renonçait aux voyages et qu'il allait s'ensevelir dans le repos. Il reçut bientôt du roi Ferdinand la lettre suivante :

« Vous devez être bien persuadé du déplaisir <«< que nous avons eu de votre prison, puisque nous << n'avons pas différé un moment à vous mettre en

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