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couleur, qui était, depuis 1784, agent de sa caste à Paris. Ces commissaires trouvèreut la colonie dans un état presque prospère, ou qui donnait de grandes espérances de prospérité. Au lieu de profiter des dispositions dans lesquelles il trouvait les esprits, et de la bienveillance particulière avec laquelle il fut reçu, pour réunir tous les partis, Santhonax préféra soulever de nouveau les passions. Il commença par se débarrasser de deux de ses collégues, Giraud et Leblanc. Les deux autres ne lui portaient point ombrage; l'ancien commissaire civil, Roume, était chargé d'aller résider auprès de l'audience de Santo Domingo, jusqu'à l'entière cession de la partie espagnole acquise à la France par le traité de Bâle; et Raymond lui semblait un homme faible et facile à gouverner.

Il avait conçu le projet de dominer les hommes de couleur par les lois : son premier acte fut de publier une proclamation qui mettait le commandant Villate hors la loi ; il nommait en même-temps ; Toussaint-Louverture général de division, pour la conduite distinguée qu'il avait tenue pendant les derniers troubles.

Ces mesures irritèrent au dernier point les hommes de couleur et surtout le général Rigaud, qui, toujours prévenu contre les noirs, ne voyait qu'avec la plus grande jalousie Toussaint-Louverture élevé à un grade supérieur. Le Sud lui obéissait presque entièrement il s'opposa, ainsi que les

siens, à l'arrestation du président Pinchinat, ordonnée dans le même temps par Santhonax. Les. délégués de la commission crurent alors qu'un appel franchement adressé à ce chef mulâtre l'attacherait par l'honneur à leurs intérêts. Tandis qu'il se tenait envers eux comme sur la défensive, ils demandèrent son assistance dans une attaque contre la Grande-Anse; ils croyaient trouver d'ailleurs dans cette expédition une diversion utile au mécontentement excité par l'ordre porté contre Pinchinat. Mais Rigaud, sans vouloir prendre part à une action dont le succès eût relevé la fortune de ceux qu'il regardait comme les ennemis de sa caste, se retira snr Tiburon; et, peu de temps après, sollicité de nouveau d'arrêter une révolte des noirs, qui s'étaient soulevés aux Cayes, il prit le brusque parti de se jeter dans le fort de l'Islet, occupé par les insurgés, dont l'audace s'en accrut. Il allait peut-être rompre avec la France, pour sortir de la position dangereuse où il s'était placé, lorsque le commissaire Santhonax et le général de Laveaux furent nommés par la colonie députés au CorpsLégislatif. Il pensa que par leur départ, le commissaire mulâtre Raymond demeurerait seul à Saint-Domingue. Alors, conçevant l'espérance de lui faire embrasser ses intérêts, et que la retraite de tous les agents du Gouvernement le laisserait seul dans le Sud, il soumit entièrement à son obéissance cette partie de l'île; mais, sans affecter le suprême

pouvoir, il rendit toujours à la commission un compte régulier de toutes ses actions. Cependant il confiait presque entièrement l'autorité à des hommes de sa couleur, et attachait les noirs aux habitations.

Pendant qu'il établissait ainsi à main armée son autorité, le chef des noirs, de son côté, ne négligeait rien étendre la sienne. Du moment où pour il s'était vu associé au gouvernement de SaintDomingue, il s'était écrié : Après bon Dieu, c'est de Laveaux. Mais une fois investi du commandement d'une division, et si près de la place occupée par son ami et son bienfaiteur, il travailla à le remplacer. Ce fut lui qui le désigna, tant à la commission qu'aux habitants, comme le député le plus agréable à envoyer au Corps-Législatif, se débarrassant ainsi d'un homme qu'il aimait peut-être, mais que son ambition le poussait à rejeter loin de lui.

Santhonax, qui avait renvoyé en France le général Rochambeau, et qui craignait les plaintes de cet officier - général et celles de ses collègues déportés, avait brigué pour lui-même le titre de député au Corps-Législatif, afin que cette preuve de sa popularité fit excuser quelques actes de son administration.

Il était important pour les commissaires de faire oublier, par quelque expédition importante, les événements du Sud. Ils pensèrent à faire attaquer

les Anglais sur tous les points où ces ennemis commandaient encore: tandis que d'un côté le général Rigaud les combattait sur la langue de terre qu'ils occupaient dans le Sud, de l'autre Toussaint-Louverture débouchait par les sources de l'Artibonite sur le Mirebalais, les chassait des Grands Bois, et rétablissait dans l'Ouest l'honneur des armes de la République. Ce chef avait tant d'influence sur les noirs, qu'il les organisait à sa volonté, et qu'il détachait journellement de l'armée anglaise quelquesunes des bandes qu'elle avait à sa solde, Ce fut alors que les commissaires, qui voulaient priver entièrement l'ennemi du secours des nègres, proclamèrent Louverture général en chef des armées de Saint-Domingue.

Pendant que les Anglais avaient peine à lutter contre les armes françaises dans l'Ouest et dans le Sud, le général Desfourneaux les pressait vigoureusement dans le Nord. Quatre colonnes d'attaque environnaient les hauteurs de Vallière, où l'ennemi, à l'aide de quelques détachements, entretenait ce qu'il appelait la Vendée de Saint-Domingue; Henri Christophe, alors chef de brigade, et qui depuis se fit roi d'Hayti, contribua puissamment au succès de cette expédition.

Ce fut alors que le chef de brigade du génie, Vincent, fit faire le premier essai du système ingénieux de fermage qui a soutenu la culture dans la colonie; une police de ferme fut passée avec l'ad

ministration pour des prix d'abord peu élevé, et, par ces mesures, Saint-Domingue parut devoir recouvrer bientôt son ancienne splendeur : la ville du Cap et les habitations du Nord se relevèrent comme par un subit enchantement. ToussaintLouverture contribua beaucoup, par ses opinions particulières, si influentes sur les nègres, à les ramener à l'agriculture. Il disait : « Je n'ai pas envie (( de passer pour un nègre de la Côte, et je saurai << aussi bien que les autres tirer parti des richesses «<< territoriales; la liberté des noirs ne peut se conso« lider que par la prospérité de l'agriculture ». Ces paroles, répandues parmi les chefs noirs, avaient fructifié; elles inspiraient à tous le désir d'acquérir et de

conserver.

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Le commissaire Santhonax, que les circonstances où se trouvait la colonie avaient empêché de se rendre en France à son poste, au sein du CorpsLégislatif, s'aperçut un peu tard que le crédit du chef noir, dont il avait élevé la fortune, avait insensiblement remplacé le sien. Il ne put même ignorer long-temps que Toussaint travaillait activement à la ruine de l'autorité de son bienfaiteur. Il voulut d'abord renverser son ouvrage; mais il n'était plus temps. Il apprit bientôt que le général nègre s'était concerté avec Raymond pour lui enjoindre de quitter la colonie; et il ne doutait plus de cetté nouvelle, lorsque, le 3 fructidor de l'an 5 (20 août 1797), Toussaint-Louverture vint se présenter à

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