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En conséquence de ce traité, il fit partir le 9 septembre, le 7o régiment, sept compagnies du 49° et deux compagnies d'artillerie, sous les ordres du colonel Whitelocke. Ces forces débarquèrent à Jérémie, le 9 septembre; le 22 du même mois, le môle Saint-Nicolas, dont les commissaires venaient de déclarer la garnison traître à la patrie, fut livré aux Anglais par le 87° régiment, et par 100 gardes nationaux.

On vit alors éclater la division parmi les hommes de couleur: Rigaud, Pinchinat et Beauvais demeurèrent fidèles au parti de la mère-patrie; mais ceux des mulâtres qui n'étaient point militaires, se jetèrent dans les bras des Anglais; Saint-Marc l'Arcahaie, Léogane, le Grand-Goave et plusieurs villes du Sud adoptèrent les conditions de la Grande-Anse.

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Cependant les Espagnols avaient réduit les commissaires à n'avoir plus à défendre dans le Nord, que le Cap et le Port-de-Paix. Dans la position critique où ils se trouvaient, ils jetèrent les yeux autour d'eux, et ne se virent d'appui que dans l'effrayante assistance des nouveaux affranchis. Mais ce qu'ils craignaient surtout, c'était la trahison. Pour jeter l'effroi, ils avaient élévé sur la place du Port-au-Prince une guillotine, instrument de mort inventé par un ami de l'humanité, mais qui, en rendant le supplice si doux et si prompt pour celui qui le subit, en a aussi diminué l'hor

reur aux yeux de celui qui l'ordonne, et qui ne frémit plus de le multiplier. Un blanc perdit la tête dans une première exécution; mais un cri d'horreur s'était élevé, surtout de la part des noirs, et la fatale machine avait disparu. Mais les soupçons et toutes les rigueurs d'une inquisition militaire duraient encore: tous les blancs avaient été désarmés, et ils n'avaient pas vu sans effroi et sans colère que leurs armes fussent passées dans les mains de noirs.

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Cependant le commodore anglais John Ford entra, le 2 février, en rade du Port-au-Prince, avec deux vaisseaux de ligne, quatre frégates et plusieurs bâtiments légers : il détacha en parlementaires un officier de terre et deux officiers de mer, qui demandèrent à parler en particulier au commissaire Santhonax. « Des Anglais, reprit celui-ci, ne peuvent avoir rien de secret à me dire, parlez en public, ou retirez-vous. » L'un des officiers de marine lui dit alors: « Je viens vous sommer de la part du roi d'Angleterre de lui rendre cette ville, qu'il prend sous sa protection. Oui, dit Santho«< nax, nous ne remettrons pas plus à sa protection le « Port-au-Prince que les cinquante-deux bâtiments qui sont dans le port: et si jamais vous pénétrez « dans la place, de toute cette flotte vous n'en au« rez que la fumée; car les cendres en appartien« dront à la mer. »

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Cette réponse fut accueillie par la multitude aux cris de vive Santhonax! vive la république! et les

parlementaires retournèrent à bord. Une nouvelle sommation n'obtint pas un succès plus grand: la bonne contenance du commissaire en imposa aux assiégeants, qui se retirèrent.

Mais des divisions intestines devaient bientôt leur rendre cette conquête moins chère qu'elle ne l'eût été alors; le commandant de l'Ouest, Montbrun, homme de couleur ambitieux, mécontent de la faveur que le lieutenant-colonel Desfourneaux s'était acquise auprès de Santhonax, et plus peutêtre des recrues de noirs que faisait le Commissaire, avait gagné les chefs d'un bataillon de la légion Égalité, composé de quelques hommes de couleur et des premiers noirs affranchis dans la colonie. Dans la nuit du 17 mars 1794, Montbrun attaqua avec ces forces le bataillon du 48° régiment, composé de noirs en grande partie.

Le bataillon attaqué avait pu se retirer en bon ordre; mais le lendemain, Montbrun toujours en armes et entouré des noirs auxquels les événements de la nuit avaient donné le goût du pillage, écrivit au commissaire qu'il ne répondrait de la vie d'aucun blanc, tant que le bataillon du 48° régiment ne serait pas embarqué. Le commissaire sentit la faiblesse de sa position et céda; mais dès lors il comprit bien que son autorité était perdue. Au premier bruit de ces événements, Polverel était accouru au Port-au-Prince, afin d'user de son influence sur le commandant Montbrun, qui était

sa créature, et sur le président Pinchinat; mais le crédit de ce dernier était considérablement déchu, et Montbrun en avait trop fait pour pour s'arrêter.

Peu de temps après, vers le 30 mai, une escadre anglaise, forte de quatre vaisseaux de guerre et d'un nombre considérable de bâtiments plus légers, vint jeter l'ancre dans la rade du Port-auPrince; les forces de mer étaient sous les ordre du Commodore John Ford: celles de terre au commandement du général Whyte, se composaient surtout d'émigrés français des colonies, des débris des bataillons coloniaux, qui n'avaient point suivi la fortune de la révolution, ou enfin des légions venues d'Angleterre et qui n'avaient pu faire partie de l'armée de Condé.

Des troupes fraîches, venues de l'Arcahaie et de Léogane, vinrent renforcer du côté de terre le parti assiégeant, tandis que les forces de l'escadre débarquaient sur la côte du Lamentin.

Au milieu de la nuit, une trahison livra aux Anglais la barrière du fort Bizoton: la confusion se répandit parmi les soldats de la garnison commandée par Montbrun; elle évacua l'importante position qu'elle occupait, et regagna le Port-auPrince, qu'elle ne pouvait plus défendre. Les commissaires reconnurent bientôt eux-mêmes que toute résistance était inutile, ils autorisèrent secrètement une capitulation, et se retirèrent à Jacmel auprès du général Rigaud, sous l'escorte d'un faible

détachement noir, et de Beauvais qui le comman dait; mais ils étaient à peine arrivés dans cette place, qu'on y vit débarquer le capitaine de vaisseau Chambon, chargé de leur notifier le décret d'accusation rendu contre eux par la Convention nationale.

Ils pouvaient désobéir: ils préférèrent se soumettre et se constituèrent prisonniers à bord de l'Espérance. Cependant le Port-au-Prince était le théâtre d'horreurs nouvelles : la légion Montalembert y avait fait son entrée, le 5 juin à 5 heures du soir. Un officier de cette légion, nommé Bérenger, se détacha sur le fort Saint-Joseph, où s'étaient réfugiés le reste des blancs qui n'avaient pas trouvé place sur les bâtiments du commerce laissés en rade. Ce féroce émigré les fit sortir du fort un à un, et, leur cassant la tête à mesure qu'ils se présentaient à la porte; il les précipitait de la rampe du fort dans le fossé, en disant: « Républicain, fais le saut de << la roche Tarpéienne». Ils périrent au nombre de trente-deux, et Bérenger n'en eût épargné aucun, sans les ordres du général anglais, qui fit enfin cesser cet affreux carnage.

L'Angleterre n'avait pasenvahi la partie française de Saint-Domingue sans se la partager d'avance avec l'Espagne. La convention passée entre les deux gouvernements, portait que l'Angleterre étendrait sa protection sur les parties de l'Ouest et du Sud, y compris le môle Saint-Nicolas, et que celle de

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