Page images
PDF
EPUB

forcés de faire un exemple sur un homme qui tenait à tout ce qu'il y avait de considérable dans la colonie.

Cependant vers le Nord, les noirs s'étaient ralliés, et ils ravageaient de nouveau la plaine du Cap; l'on envoya contre eux quelques troupes, qui furent battues, et qui laissèrent même leur artillerie de campagne au pouvoir de ces ennemis.

C'en eût été assez de cette insurrection pour inquiéter les commissaires; mais dans le même temps, la révolte de la Grande-Anse continuait de prendre un caractère sérieux. On envoya pour l'apaiser, Pinchinat et le général Rigaud; mais aucune négociation n'amena le résultat qu'on en attendait. L'orgueil des blancs et la jactance des hommes de couleur, chez qui cette affection si naturelle redoublait par le sentiment de la mission dont ils étaient chargés, firent tout échouer, au lieu d'amener un concordat; ces pourparlers finirent par une action, dans laquelle les blancs eurent l'avantage, malgré le nombre qui était pour leurs

ennemis.

On était alors au mois de mai 1793: les commissaires venaient d'apprendre la défaite de Rigaud, lorsque Galbaud, nommé commandant-général de la colonie, arriva à Saint-Domingue. Le pouvoir des Commissaires civils était si peu respecté, qu'il crut pouvoir le méconnaître lui-même; de nouvelles divisions et de nouveaux désastres naquirent

de ce conflit de tant d'autorités, dont aucune n'était assez établie pour planer au-dessus des

autres.

Tandis que le commandant-général frappait sur l'île des réquisitions, dont il n'avait pas le pouvoir d'exiger la levée, et qu'il s'aliénait ainsi tous les esprits, les Commissaires profitaient de ses fautes pour faire oublier les leurs. Enfin, quand ils se crurent assez forts de la haine qu'on lui portait, ils commencèrent par le frapper dans son frère, qu'ils privèrent de sa place d'adjudant-général, sous prétexte d'incivisme: bientôt ils le déclarèrent luimême déchu de son commandement, comme ayant laissé ignorer au conseil exécutif de la république qu'il possédait de grands biens dans la colonie, et surtout comme ayant méconnu leur autorité.

On l'envoya à bord d'un des bâtiments qui se trouvaient en rade. Cependant son frère, homme de cœur et de tête, était resté dans la ville et soulevait les esprits contre les Commissaires, tandis qu'à bord des vaisseaux, chargés la plupart de prisonniers que le gouvernement y avait envoyés, toutes les têtes s'exaltaient en faveur du commandant-général.

Le 20 juin, à quatre heures de relevée, tous les captifs de la rade débarquèrent au Cap, après avoir brisé leurs fers; ils étaient 1,200 quand ils prirent terre leur troupe ne tarda pas à se grossir, et se dirigea d'abord vers la maison du gouvernement,

habitée par les Commissaires civils. Des hommes de couleur en défendaient les approches. Les gardes nationales et les volontaires à cheval s'étaient réunis aux partisans de Galbaud; les troupes de ligne demeurèrent dans leur quartier, ne sachant où trouver l'autorité légitime; on combattit dans les rues, et la nuit seule suspendit l'acharnement des deux partis. Le lendemain vit recommencer le combat avec une fureur égale: les troupes de ligne s'étaient enfin déclarées pour les commissaires; cependant le parti de ceux-ci semblait faiblir. Alors ils font ouvrir les prisons et briser les chaînes des noirs ; ces captifs se répandent dans la ville, et se rendent digne de la liberté qu'on vient de leur donner, par mille coups frappés pour leurs libérateurs. On fit plus, Pierrot et Macaya, chefs noirs des révoltés des mornes du Cap, furent appelés à se mêler à ses scènes de carnage, avec leurs féroces amis: Galbaud repoussé, regagna ses vaisseaux avec un petit nombre des siens; son frère resta au pouvoir des commissaires, tandis que, d'un autre côté, le fils de Polverel était emmené captif dans la rade. Ce prisonnier ne fut point racheté par son père à qui Galbaud avait fait proposer l'échange, mais qui refusa avec un stoïcisme tout républicain.

Cependant Galbaud qui tenait sous le canon de ses vaisseaux l'arsenal et les magasins de l'État, après avoir fait enlever ou avarier toutes les munitions de guerre ou de bouche qui s'y trouvaient,

mettait à la voile pour les États-Unis, avec une flotte composée de deux vaisseaux de ligne et de trois cents bâtiments chargés de blessés, et de plus de 10,000 réfugiés de toute couleur.

Le Cap était encore en flammes et la flotte des fugitifs n'était pas hors de vue, que déjà les commissaires civils proclamaient la liberté pour tous les nègres guerriers qui combattraient contre les Espagnols ou contre les ennemis de l'État, au dedans et au dehors; déclarant égaux aux blancs tous les esclaves qui seraient émancipés par eux au nom de la république française; et, pour que cette égalité fût marquée dès ce moment, le lendemain on vit, par l'ordre des commissaires, les créoles blancs, de compagnie avec les noirs, naguère leurs esclaves, travailler au déblayement des rues et des places publiques jonchées de morts et de débris.

Des maladies pestilentielles et la famine vinrent accroître les maux des infortunés habitants du Cap, menacés encore de désastres plus grands; car les ravages des noirs et leur férocité commençaient à effrayer les commissaires eux-mêmes. Ces chefs ne savaient déjà plus quel parti prendre et comment arrêter la fougue des dangereux auxiliaires qu'ils s'étaient adjoints. Enfin ils crurent avoir trouvé un remède au mal, en publiant:

[ocr errors]

Que les nouveaux libres ne pourraient être « bon citoyens, s'ils n'étaient étroitement liés à la patrie par les nœuds touchant d'époux et de

[ocr errors]
[ocr errors]

pères; et, qu'en conséquence, on mettait chacun « d'eux en droit de transmettre la liberté à sa « femme et aux enfants qu'il en avait eus. »

Les esprits des noirs flétris par les habitudes d'un long esclavage, ne virent d'abord dans ces dispositions que celles qui leur rendaient la liberté, c'est-à-dire le droit de tout faire. Un très petit nombre répondit aux efforts qu'on faisait pour les civiliser; mais ce n'est pas à eux seuls qu'il faut attribuer leurs refus obstinés; il est demeuré constant que des partisans de la monarchie faisaient se mouvoir et agir à leur gré ces hommes encore ignorants, et la réponse de Jean-François et de Biassou, aux propositions de paix qui leur furent portés le 6 juillet 1793, par le noir Macaya, lieutenant de Pierrot, au nom des commissaires civils, rend la démonstration de ces faits encore plus authentique. « Nous ne pouvons, dirent ces chefs, dont nous rapportons textuellement les paroles; nous ne « pouvons nous conformer à la volonté de la na«<tion, parce que, depuis que le monde règne, nous <<< n'avons exécuté que celle d'un roi : nous avons perdu celui de France, mais nous sommes chéris de celui d'Espagne, qui nous témoigne des récom<< penses et ne cesse de nous secourir: comme cela, «< nous ne pouvons vous reconnaître commissaires « que lorsque vous aurez trouvé un roi. », ».

[ocr errors]

Dans ce temps, en effet, les Espagnols de SaintDomingue, chez qui un grand nombre des parti

« PreviousContinue »