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mille hommes de troupes de ligne et de volontaires républicains. Les commissaires annoncés par le même décret arrivaient en même-temps que ces troupes. L'Assemblée nationale avait fait choix pour cette mission de Santhonax, de Polverel et d'Ailhaud, dont les événements qui vont se dérouler développeront le caractère. Ils étaient munis de pouvoirs sans bornes; et leur première déclaration devant l'assemblée coloniale fut qu'ils ne reconnaîtraient à Saint-Domingue que deux classes distinctes et séparées : les hommes libres, sans distinction de couleur, et les esclaves.

Cette déclaration, qui annonçait une marche décidée; l'arrivée des troupes d'Europe, et l'union qui semblait renaître parmi les propriétaires de toute couleur, pouvaient sauver la colonie; mais les commissaires, au lieu d'agir avec vigueur contre les insurgés, perdirent un temps précieux en vaines délibérations. Ils s'occupèrent à écouter les plaintes réciproques des partis; à prononcer la déportation du gouverneur Blanchelande, et la dissolution de l'assemblée coloniale, en même temps qu'ils rendaient un arrêté où les violences et les fausses mesures de ce corps étaient excusées. Ce fut alors que la nouvelle des événements du 10 août parvint à Saint - Domingue : les partisans de l'ancien régime voulurent en profiter pour opérer dans l'île une contre-révolution; mais les meneurs de ce mouvement hésitèrent, et les troupes qui pa

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raissaient disposées à le favoriser, attendirent vainement au Cap, dans le Champ-de-Mars, les ordres qui devaient diriger leur zèle. Les commissaires, qui avaient reconnu le danger, profitèrent d'un convoi de dix-huit cents hommes, que le gouverneur de la Martinique, où la contre-révolution venait de prendre le dessus, n'avait pas voulu recevoir. Ils marchèrent contre les soldats assemblés du Champ-de-Mars; mais ils n'eurent pas même la peine de combattre, les officiers du régiment du Cap ayant refusé de répandre le sang français. Ces braves gens s'embarquèrent avec le gouverneur Desparbès: non sans que cet événement, qui paraissait n'avoir pas de suite, n'eût violemment soulevé de nouveau toutes les passions.

Cependant les commissaires s'étaient enfin décidés à faire marcher des troupes contre les noirs révoltés; ils avaient nommé le général Rochambeau gouverneur, et le firent marcher sur Ouanaminthe. Mais les rebelles s'étant retirés dans les montagnes à son approche, il rentra au Cap sans les y poursuivre, et cette expédition n'eut d'autre résultat que d'accroître l'audace de l'ennemi, en mêmetemps qu'elle diminua l'élan des troupes qu'on lui opposait. Ce fut alors que les agens de l'Assemblée nationale se séparèrent pour aller administrer chacun un département de la colonie. Avant leur départ, ils avaient dressé une liste de proscription, où un grand nombre de gens recommandables, ac

cusés seulement de conserver un secret attachement pour l'ancien régime, avaient été inscrits. Polverel et Sonthonax, demeurèrent à Saint-Domingue, l'un dans le Nord, l'autre dans l'Ouest; Ailhaud ne fût pas plus tôt arrivé dans le Sud, qu'il repartit pour la France, croyant ses pouvoirs et ceux de ses collègues insuffisants pour la mission qui leur avait été confiée.

Ceux-ci embrassèrent ouvertement le parti des hommes de couleur : ils placèrent six d'entre eux dans une commission appelée intermédiaire, et composée de douze membres, qui remplaçait provisoirement l'assemblée coloniale: on leur offrit en outre, tous les emplois vacants dans les corps administratifs et militaires. Ces mesure amenèrent dans la ville du Cap, un soulèvement qui fut comprimé presque à l'instant; les chefs de l'émeute furent déportés avec une centaine de soldats du régiment du Cap. Après ce mouvement, les hommes de diverses couleurs semblèrent alors se réunir pour frapper l'ennemi commun, les noirs révoltés; tandis que dans l'Ouest, la guerre reprise avec succès par l'attaque du camp des Platons, était forcé par le général Harty, dans le premier mois de l'année 1793.

Les commissaires avaient confié le commandement des divisions du Nord au général de Laveaux, en remplacement du général Rochambeau, qui venait de partir de Saint-Domingue pour aller prendre le gouvernement de la Martinique.

Le camp de la Tannerie qui ferme l'entrée des mornes du Dondon et de la Grande-Rivière, était devenu la placé d'armes de Bcasson; ce camp, retranché avec plus d'art qu'on n'en peut supposer à des gens nourris dans l'esclavage, fut pourtant forcé par les troupes du général de Laveaux. Les noirs abandonnèrent cette position sans s'y défendre, mais aussi sans que l'ennemi pût les poursuivre ou les entamer.

Les troupes blanches victorieuses environnèrent le quartier de la Grande-Rivière où commandait Jean-François, et l'assaillirent: il fut forcé comme celui de Biassou; mais on n'atteignit guère qu'une vingtaine de fugitifs noirs et un mulâtre libre, nommé Coco-Laroche, qui fut passé par les armes ainsi que les autres prisonniers.

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Après cet acte de rigueur, la terreur se répandit parmi les rebelles; on publia alors une amnistie dont les effets furent promptement ressentis; plusieurs milliers de révoltés et plus de 14,000 vinrent demander leur grâce.

L'insurrection parut un moment anéantie: les chefs, que l'on n'avait pu atteindre, s'étaient réfugiés dans les mornes de Sainte-Suzanne et de Vallière, où on les croyait en proie à des dissensions intestines; et deux prêtres, le curé du Dondon et celui de la Grande-Rivière avaient été amenés captifs dans la ville du Cap. Tous deux étaient coupables d'avoir servi le camp des noirs, avec le titre

d'aumôniers des chefs de la révolte ; et l'un d'eux, l'abbé de la Haye, avait depuis long-temps élevé une voix courageuse en faveur des esclaves et contre leurs tyrans. Le peuple blanc demandait à grands cris leur supplice, qu'on lui promit; néanmoins, ils obtinrent leur grâce, et Santhonax essaya sans succès, d'user de leur influence sur les noirs, pour parvenir à la pacification de la colonie; car la guerre que les Anglais venaient de déclarer à la France, ayant rendu les troupes de l'île nécessaires à la défense des côtes, les insurgés, ou plutôt ceux qui les faisaient agir, pensaient mettre à profit cette cir

constance.

Borel, toujours possédé de sa manie aventureuse, s'était établi au Port-au-Prince avec des pouvoirs militaires usurpés; et, de son chef, il avait convoqué des assemblées primaires pour la réorganisation de

l'assemblée coloniale.

Cette occupation violente, fut de courte durée : le général Lassalle, que Borel avait chassé pour se mettre à sa place, revint débarquer devant le Port-au-Prince avec une troupe dévouée d'hommes de couleur, et pendant qu'il investissait la ville du côté du Nord, le général Beauvais à la tête de 500 mulâtres, arrivait du côté du Sud. La résistance ne fut pas longue: le 14 avril 1793, les commissaires civils entrèrent dans le Port-au-Prince, mais sans avoir pris Borel, dont on les soupçonna d'avoir ménagé la retraite, dans la crainte peut-être d'être

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