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neurs de l'assemblée de l'Ouest furent arrêtés et déportés; et le bataillon du ci-devant régiment de Normandie embarqué pour la France, aux acclamations des hommes de couleur.

Après avoir ainsi rétabli l'autorité du gouvernement colonial dans le Port-au- Prince, le Commissaire Roume s'empressa d'instruire les chefs des hommes de couleur des projets de contre-révolution nourris par certains chefs militaires, et de leur montrer combien ces projets étaient contraires aux intérêts de la caste entière des mulâtres. Mais il lui restait quelque chose de plus à faire : il fallait ramener les noirs à l'obéissance; les esclaves de l'Ouest rentrèrnt, il est vrai, dans leurs ateliers, mais on employa, pour les y ramener, un moyen qui devint d'un exemple bien funeste. La paroisse de la Croix-des-Bouquets donna cent libertés, et celle de l'Arcahaie cent quarantequatre aux chefs des révoltés, à condition qu'ils serviraient pendant cinq ans dans la maréchaussée, et qu'ils maintiendraient pendant ce temps la discipline parmi les esclaves. Tandis que le commissaire Roume demeurait dans l'Ouest, afin de pacifier ainsi cette province, Blanchelande partait pour le Sud, où tout était en confusion. André Rigaud, que le Commissaire civil avait reconnu comme général, autant ennemi des colons que dévoué à la France, dirigeait à son gré, dans cette province, la marche des événements.

Blanchelaude n'était point l'homme convenable à la mission dont il s'était chargé; en vain, en proclamant dans le Sud le décret du 4 avril, il affecta, un vif enthousiasme pour les principes qui venaient de triompher; cet enthousiasme ne convainquit personne, et le gouverneur s'en aperçut bientôt. Les hommes de couleur ne lui pardonnaient pas d'avoir qualifié leur caste de race bâtarde et dégénérée. Ni ses paroles nouvelles, ni les caresses qu'il prodigua aux chefs des mulâtres, particulièrement à Rigaud, ne purent lui obtenir ce qu'il était venu chercher. A Jérémie, il employa ses efforts et ses caresses dans des tentatives d'un autre genre, et qui ne lui réussirent pas mieux. Les blancs de ce quartier et des quatre paroisses qui en dépendent, avaient formé entre eux une association défensive et offensive, mais offensive surtout, sous le nom de coalition de la Grande-Anse; et, après s'être isolés des autorités supérieures, dont ils ne demandèrent ni n'attendirent les ordres, ils avaient déclaré aux gens de couleur une guerre d'extermination. A la suite d'une résistance opiniâtre, dans laquelle leurs ennemis les plus cruels avaient été les esclaves noirs, qui, dans tout le reste de la colonie, combattaient pour eux, les mulâtres avaient enfin succombé. Un petit nombre de ceux qui n'avaient pu fuir après leur défaite, ou qui n'avaient pas trouvé la mort sur le champ de bataille, femmes, enfans, vieillards, étaient enchaînés sur des pontons dans la rade de

Jérémie. Blanchelande voulait que la liberté fût rendue à ces malheureux; il n'osa cependant, contre la résistance qu'il rencontrait, prendre sur lui de la leur donner: seulement il les fit transporter au Cap.

Au Port-de-Paix, les hommes de couleur n'avaient pas été plus heureux dans leurs tentatives qu'à Jérémie; seulement le sang humain n'avait point coulé dans cette ville; enveloppés par des forces supérieures, ils avaient été embarqués et conduits au Cap, où ils arrivèrent à peu près en mêmetemps que leurs frères de la Grande-Anse.

Enquittant Jérémie, Blanchelande se rendit aux Cayes, suivi du général Rigaud. Il fut reçu dans cette place avec de grands honneurs. Des noirs soulevés dans les mornes de la Hotte, faisaient craindre pour la sûreté de cette ville; on demandait que le gouverneur marchât contre eux avec toutes les forces qu'il pourrait réunir; c'était surtout sur les hommes de couleur qu'il aurait pu compter, mais la coopération de ceux-ci était incertaine, et leur zèle douteux, tant que l'exécution de la loi du 4 avril ne leur serait pas garantie, et c'était surtout aux Cayes que l'exécution de cette loi semblait devoir rencontrer plus d'obstacles de la part des colons, et principalement des petits blancs.

Le gouverneur pensant qu'une attaque à force armée ne pourrait réussir, voulut négocier; mais l'assemblée provinciale, toujours soupçonneuse,

fit peser sur lui les plus graves accusations; elle le força, par ces accusations injustes, à ne plus suivre son projet de pacification; enfin, il fut sommé de dissiper, par la force des armes, le rassemblement des noirs réunis aux Platons, défilé principal des mornes de la Hotte, au nord-ouest des Cayes.

Il se mit à la tête du peu de troupes qu'il put réunir, et qui se composaient de quelques détachements de la marine de l'État, aux ordres de MM. de Sercey et d'Esmangard, de trente-trois propriétaires des Cayes, et d'un détachement d'artillerie nationale, sous les ordres de Saint-Cyr. Le général Rigaud et quelques soldats étaient à l'avant-garde. Trois colonnes de cinq cents hommes chacune devaient suivre ce mouvement; les planteurs du Port-Salut, du Camp-de-l'Abbaye et des Anglais devaient coopérer au succès, en chassant les ennemis du bras droit des Trois Rivières. Un coup de canon tiré le 6 août à la pointe du jour, devait donner le signal de l'attaque; mais la colonne de gauche fut la seule qui se présenta au rendez-vous; elle attendait le coup de canon, lorsque les noirs fondirent sur elle, la mirent en déroute, et la détruisirent presque entièrement. La deuxième colonne, qui n'arriva que le lendemain sur le terrain, fut repoussée avec une perte de plus de cent hommes; son lieutenant-colonel Doyle fut laissé parmi les morts. La troisième colonne fut

battue à son tour, et les vainqueurs s'établirent sur le champ de bataille, aux cris perfides ou sincères de Vive le Roi! vive Blanchelande! C'en fut assez pour que les reproches les plus amers, et peutêtre les plus injustes fussent adressés au gouverneur: on ne tint nul compte de la bravoure personnelle qu'il avait montrée dans le combat; et il ne s'éleva qu'une voix contre cet administrateur.

Blanchelande retourna au Cap; la révolte régnait encore dans la province du Nord, vers la frontière espagnole, où elle était encouragée par les menées de l'ennemi, et par l'assistance occulte qu'il prêtait aux rebelles : car plus d'une fois il leur livra les blancs qui venaient lui demander un asile.

Aussitôt que Saint-Léger et Mirbeck étaient arrivés en France, leur rapport avait éclairé l'Assemblée nationale sur le véritable état de la colonie. Ils avaient surtout fait comprendre quelle était l'importance financière et commerciale pour la métropole, des établissements français de Saint-Domingue, et le décret du 4 avril avait été la conséquence des délibérations qui furent agitées à ce sujet

Des secours avaient été promis en même temps que ce décret était parvenu dans l'île. Le 19 septembre, le général Desparbès, ayant sous ses ordres les maréchaux-de-camp d'Hinisdal, pour le Nord; de Lasalle, pour l'Ouêst; et de Montesquiou Fezensac, pour le Sud, débarqua dans la colonie avec six

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