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à leur bande, qui demeura organisée, le commandant Pajeot; et cette troupe, que sa défection rendait à la fois l'ennemie irréconciliable des nègres et l'alliée suspecte des blancs, donna à ceux-ci des gages sanglants de sa sincérité; elle put massacrer un grand nombre de partis noirs qui désolaient les campagnes; cependant, au bout de quelques semaines, elle perdit un grand nombre des siens, qui retournèrent combattre pour les hommes de leur couleur, dont les cohortes, d'abord inexpérimentées, commençaient à s'accoutumer à vaincre.

Déjà Jean-François avait attaqué Ouanaminthe, et s'en était emparé à l'aide de trente mulâtres demeurés avec la garnison du fort d'où leurs frères venaient d'être écartés. Le carnage fut horrible: rien ne fut épargné. Les habitants blancs de tout âge et de tout sexe furent passés au fil de l'épée. Touzard, qui commandait le cordon de l'Est, ac courut, à la tête de soixante dragons, sur le théâtre de ce désastre ; mais il arriva trop tard. L'ennemi des cendres. s'était retiré, ne laissant après lui que

et du sang.

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Biassou triomphant, ayant tourné la nuit les hauteurs du Cap, s'était emparé du fort Belair, et de l'hôpital des Pères, où; en même-temps qu'il dé livrait sa mère, esclave des religieux, il faisait tuer tous les malades dans leurs lits. Après ce massacre, pendant lequel chacun des égorgeurs

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disait à sa victime, en la frappant, qu'il traiterait ainsi tout ce qui n'était pas des gens du Roi, le chef noir se retira sans profiter, contre la ville, de la confusion qu'il avait jetée dans tous les postes extérieurs.

Dans le même temps, un détachement de l'armée noire livrait aux flammes les riches habitations de la plaine de l'est, du Maribarou, celles des quartiers des Moustiques, de Terre-Neuve; du GrosMorne, de Jean-Rabel, de Saint-Nicolas et du Portde-Paix.

Cependant les soupçons les plus injurieux s'élevaient au Cap sur les chefs militaires : le commissaire Roume était dénoncé comme émissaire des Amis des Noirs.

Les collègues de ce délégué firent alors imprimer toute leur correspondance : toutes leurs lettres, tous leurs actes respiraient le désir de la concorde; ils invitaient tous les partis à l'oubli, à l'union, et au respect des lois établies. L'assemblée coloniale n'en publia pas moins, le 19 février, l'arrêté sui

vant :

Après mûre discussion, l'assemblée, voulant se mettre plus à même de connaître les erreurs dans lesquelles MM. les commissaires nationaux auraient pu tomber, et qu'ils auraient propagées dans la colonie ;

« Arrête, préalablement, qu'il sera nommé trois commissaires chargés de déterminer l'opinion de

l'assemblée sur les pouvoirs de MM. les commissaires civils; les motifs sur lesquels cette opinion est fondée, les cas dans lesquels MM. les commissaires nationaux se sont écartés de leurs pouvoirs, et les dangers qui résultent de ces écarts pour le salut et le bonheur de la colonie. »

La réponse des commissaires à ce violent-manifeste fut ce qu'elle devait être. Ils n'avaient reçu de pouvoirs que de l'Assemblée nationale de France et du roi; ils ne devaient compte de ces pouvoirs qu'à ceux qui les leur avaient commis.

L'assemblée coloniale répondit à son tour: « Que les commissaires nationaux civils, quelle que pût être l'étendue des pouvoirs qui leur avaient été délégués, étaient absolument sans caractère connu, sans fonction pour s'immiscer, directement ou indirectement dans aucune résolution de l'assemblée, notamment dans les actes relatifs à l'état des esclaves, et à la condition politique des hommes de couleur; et que ce droit de prononcer exclusivement, à cet égard, dépendait essentiellement de la puissance législative, conférée aux assemblées coloniales; qu'à ces assemblées coloniales seules appartenait le droit d'appliquer et faire exécuter provisoirement, avec l'approbation du gouverneur, les décrets nationaux qui pourraient s'adapter aux convenances locales, et qu'aucun corps populaire ne pouvait ni ne devait, sous quelque autorisation que ce fût, appliquer, ni faire exécuter aucun dé

cret rendu par la France, que l'assemblée coloniale ne l'eût préalablement adopté

Ces violentes déclamations intéressaient tous les insurgés de la colonie en faveur des commissaires. Quand Saint-Léger arriva au Port-au-Prince, toutes les factions firent également éclater leur contentement. La ville était en grande partie bloquée par terre par les confédérés de la Croix-desBouquets et du Sud, et les cendres l'avaient presqu'entièrement consumée; les vivres y manquaient, et nul espoir de s'en procurer ne s'offrait aux assiégés; des négociations ne tardèrent pas à s'ouvrir : l'entrevue demandée par les confédérés euxmêmes, eut lieu dans la plaine, sous le canon du fort Saint-Joseph. Saint-Léger y fut reçu avec les plus grands honneurs. Il engagea les mulâtres à se soumettre aux dispositions de l'édit du 24 septembre, et il parvint à opérer un rapprochement entre les deux partis.

Par suite des concessions faites par les mulâtres de l'Ouest, les autorités municipales furent renouvelées et entièrement composées de blancs. Cependant quelques-unes de ces municipalités ne furent point reconnues par les assemblées coloniales et provinciales, parce qu'elles déclaraient à l'unanimité : « Qu'elles ne cesseraient de provoquer, par des pétitions, les dispositions si bienfaisantes de l'Assemblée nationale, et de réclamer les bontés paternelles du Roi, pour rendre aux hommes de

couleur et aux nègres libres les droits légitimes que la paroisse leur avait assurés par des traités, illégaux par la forme, il est vrai, mais qui n'en étaient pas moins sacrés par la justice, la raison et l'humanité, qui en étaient la base ».

Le marquis de Borel, membre de l'assemblée coloniale, et riche planteur de l'Artibonite, venait de former un corps de partisans, avec lequel il prétendait forcer les blancs de son quartier et ceux des Verretes, à révoquer les concordats qui les unissaient aux hommes de couleur. On a accusé cet ardent antagoniste des mulâtres d'une foule d'actions qui caractérisent plutôt un voleur de grand chemin, qu'un chef de parti dans des temps de révolution. Sa levée de boucliers mit en feu toutes les paroisses de l'Ouest, sans que l'auteur de tant de désordres pût éteindre l'incendie qu'il avait allumé: battu en plusieurs rencontres, ainsi que les différents corps qui vinrent de tous côtés pour le soutenir, il ne trouva de refuge qu'au sein de l'assemblée coloniale, laissant après lui les hommes de couleur qui l'avaient vaincu, encore en armes, et vengeant dans le sang de la race blanche tout le mal qu'il avait voulu faire à leur

caste.

Après sa retraite, le maréchal-de-camp de Fontange, commandant le cordon de l'Ouest, se hâta de reconnaître l'ancien pacte fédératif de SaintMarc et de la Croix-des-Bouquets, et épargna par

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