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tion de l'assemblée provinciale de l'Ouest; mais un incident particuliervint changer la face des choses.

Une querelle s'étant élevée entre des canonniers de Praloto et un noir libre, le nègre avait été arrêté et pendu à un réverbère, par les canonniers, après avoir été arraché par violence de l'hôtel-de-ville, où la maréchaussée l'avait conduit.

Les mulâtres, indignés, jurèrent vengeance; ils tuèrent d'un coup de feu un canonnier qui passait à cheval devant le palais du gouvernement, où les hommes de couleur étaient casernés.

Les blancs députèrent deux colons vers les mulâtres, avec invitation de remettre les coupables du dernier meurtre. Cette demande fut rejetée, et le président, comme le général des hommes de couleur, déclarèrent, « qu'entourés de préparatifs « menaçants, ils étaient incertains de l'issue d'une «<action dans laquelle la force n'était pas de leur « côté; mais que si on les attaquait, ils allaient prendre leurs mesures pour trouver des auxiliai<res dans la Providence et dans leur désespoir

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Vingt pièces de canon, braquées contre le gouvernement, répondirent à cette déclaration.

Le général Beauvais, sans s'étonner, se prépara à la défense, et contenant, par un feu de mousqueterie et de mitraille bien nourri, les troupes de ligne qui s'avançaient sur lui, il se retira en bon ordre par les jardins, et gagna la montagne par l'unique chemin qu'il avait eu soin de faire cou

vrir; il fut protégé dans sa retraite par une seconde division des hommes de sa caste, qui harcelèrent les canonniers de Praloto, et leur enlevèrent

un canon:

Une heure venait à peine de s'écouler depuis cet engagement, quand le feu éclata à la fois dans deux quartiers de la ville. L'incendie dura quarantehuit heures: on l'attribua aux hommes de couleur. Plus de deux mille femmes mulâtres périrent victimes de cette accusation bien ou mal fondée.

Les désastres qui suivent le pillage ne tardèrent pas à se joindre aux ravages de l'incendie : plus de 60 millions d'objets précieux ou de propriétés furent enlevés ou anéantis pendant les deux jours que le feu resta allumé dans la ville. Cependant les hommes de couleur, chassés du Port-au-Prince, vinrent occuper de nouveau leur position de la Croix-des-Bouquets. De là, pour renouveler leur concordat avec les communes voisines, ils envoyèrent aux habitants de Saint-Marc, à Léogane, au PetitGoave et à l'Anse-à-Veau, des députés qui furent bien accueillis, et à la demande desquels ces paroisses acquiescèrent presque sur-le-champ.

Tout était dans la confusion au Port-au-Prince; on s'attendait à voir la place assiégée d'un moment à l'autre ; on chercha à gagner du temps pour se défendre, et l'on députa vers les hommes de couleur M. de Grimouard, commandant la station maritime, avec des paroles de paix et de con

ciliation. Les mulâtres s'en tinrent à demander l'exécution littérale du traité, la punition exemplaire de Praloto, et l'embarquement de ses canonniers. On demeura deux jours à délibérer sans leur répondre; le troisième jour, les fortifications de la place étant terminées, les colons changèrent de langage. Ce qui vint surtout les enhardir, ce fut l'arrivée des commissaires de l'Assemblée nationale, chargés de faire exécuter le décret du 24 septembre.

Cependant un mulâtre espagnol, connu sous le nom de Romaine-la-prophétesse, à la tête d'une troupe de noirs et d'hommes de couleur fanatisés, occupait les environs de Leogane, où, de toutes parts, les noirs des ateliers venaient se joindre à lui. Ce nouveau Mahomet, qui prétendait avoir avec la Vierge de fréquents entretiens, avait réuni assez de forces pour que les campagnes voisines, et la ville même de Léogane craignissent de refuser à sa troupe tout ce qu'elle exigeait. Rigaud, commandant des hommes de couleur du Sud, qui eût pu lui opposer quelque résistance, avait volé au secours de ses frères du Port-au-Prince, et avait planté son camp à Bizoton, sous les murs de cette ville. Mirbeck, Roume et Saint-Léger, commissaires de l'Assemblée nationale, n'avaient pu apprendre, avant leur arrivée dans l'île, les diverses insurrections des noirs, et les derniers troubles; ils étaient loin de s'attendre au triste spectacle qui frappa d'abord leurs yeux deux roues et cinq potences

étaient en permanence au Cap, et le sang ne cessait d'y couler, sur les arrêts expéditifs d'une commission prévôtale.

Ce fut en vain que les autorités donnèrent des fêtes aux délégués de l'Assemblée nationale pour les séduire; ceux-ci comprirent ce qu'on voulut leur cacher; néanmoins ils montrèrent dans leur conduite et dans leurs actes une grande indécision, résultat nécessaire de l'insuffisance de leurs pouvoirs.

Bientôt cette indécision même les rendit suspects aux yeux des membres de l'assemblée coloniale, surtout quand ils eurent rendu public un décret en date du 28 septembre, qui accordait une amnistie générale à tous les hommes libres. Ce n'était pas là ce que demandait l'assemblée: elle ne respirait plus que vengeance. Le décret du 24 septembre lui avait promis ample pâture, et ce n'était pas une ordonnance d'amnistie qu'elle croyait avoir droit d'attendre, à la suite de ce premier acte.

Les chefs des noirs révoltés du Nord commençaient enfin à se fatiguer du ravage et de l'incendie. Le père Sulpice, curé de la paroisse du Trou, homme dévoué et d'une piété sincère, se rendit parmi eux, et leur apporta l'amnistie du 28 septembre. Ils se décidèrent alors à envoyer à l'assemblée coloniale et aux commissaires civils, deux d'entre eux chargés de demander l'oubli du passé et la liberté pour quatre cents principaux

chefs de la révolte, qui s'engageaient, à cette condition, de la faire cesser: voici la lettre que les députés, Duplessys et Raynal, gens de couleur, présentèrent de la part de leurs chefs à l'assemblée coloniale :

« La proclamation du roi, du 28 septembre, est une acceptation formelle de la Constitution française. Dans cette proclamation, on voit sa sollicitude paternelle; il désire ardemment que les lois soient en pleine vigueur, et que tous les citoyens concourent en corps à rétablir ce juste équilibre dérangé depuis si long-temps par les secousses réitérées d'une grande révolution. Son esprit de justice et de modération y est manifesté bien clairement et précisément. Ces deux lois sont pour la mère-patrie, qui exige un régime absolument distinct de celui des colonies; mais les sentiments de clémence et de bonté, qui ne sont pas des lois, mais des affections du cœur, doivent franchir lės mers, et nous devons être compris dans l'amnistie générale qu'il a prononcée pour tous indistinctement Nous passons maintenant à la loi relative aux colonies, du 28 septembre 1791. Nous voyons par cette loi, que l'Assemblée nationale et le roi vous autorisent à former vos demandes sur certains points de législation, et vous accordent de prononcer définitivement sur plusieurs autres; dans le nombre de ces derniers, est l'état des personnes non libres, et l'état politique des citoyens de cou

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