Page images
PDF
EPUB

ville; mais ils en furent repoussés avec une perte de 200 morts et de quatre pièces de canon. Cette défaite leur fut peut-être profitable; elle leur apprit à modérer leur fougue impétueuse et à devenir plus prudents dans leurs attaques. Ils portèrent la guerre en d'autres quartiers; en peu de temps, tous les postes qui n'avaient pas de villes pour places d'armes, tombèrent en leur pouvoir. Ils réduisirent les colons à demeurer sur la défensive. Pendant que ceux-ci pendaient aux arbres et aux haies, les cadavres des prisonniers noirs, les insurgés formaient autour de leur camp une enceinte marquée par les têtes sanglantes de ceux qui tombaient sous leur main. Une troupe de ces hommes menaçait le Cap et les ouvrages avancés de la presqu'île du môle Saint-Nicolas; ils furent battus par Touzard, abandonnèrent le Limbé et regagnèrent, pour quelque temps, les mornes les plus inaccessibles.

Quand Touzard reprit le Limbé, on apprit par quatre-vingts femmes blanches qu'il rendit à la liberté, que les plus horribles excès avaient été commis sur ces malheureuses, par les chefs de l'insurrection. Le curé de la paroisse, qui n'avait point abandonné son poste, mais qui n'y était demeuré que pour servir les projets des rebelles dans leurs tentatives sur l'honneur de ces femmes, fut arrêté et pendu juridiquement. Dans le cours de la révolution dont nous parcourons la première époque, plus d'un événement semblable eut lieu, et l'on retrouva

plus d'une fois des prêtres au milieu des rebelles superstitieux, dont ils dirigeaient au gré de leurs vues l'ignorance et le fanatisme.

La défaite que les noirs venaient d'essuyer sema la division parmi les chefs: ils s'accusaient mutuellement de trahison.

Jean-François, moins cruel que Jeannot, l'un des moteurs de l'insurrection, et détestant les atrocités commises par ce rival, moins peut-être qu'il n'était jaloux de son pouvoir, l'attaqua, le prit, le fit fusiller et l'attacha par le milieu du corps aux crochets de fer ou lui-même suspendait ses prisonniers et ses ennemis. Bouckmann, le premier chef de la révolte avait été tué dans un combat; sa tête hideuse, séparée du tronc, fut exposée pendant huit jours sur la place du Cap.

Les blancs, tout vainqueurs qu'ils étaient, ne s'accordaient guères mieux entre eux, que les noirs. Tandis qu'ils perdaient le temps à se quereller, les hommes de couleur du Sud et de l'Ouest s'étant réunis au morne de la Charbonnière, à la Croix-desBouquets et au Mirebelais, s'étaient choisi des chefs habiles et s'étaient constitués en état d'insurrection, sous la conduite d'un homme de leur caste, nommé Beauvais, et que ses talents avaient déjà fait distinguer parmi les siens.

"Les colons du Port-au-Prince firent marcher contre eux 100 matelots, formés en compagnie sous le nom de flibustiers, 200 hommes de troupes de

ligne et quelques pièces de canon: ces forces furent repoussées. Cette première déroute des blancs fut complète et presque soudaine; elle amena des pourparlers et une convention, par laquelle les paroisses du Mirebalais et de la Croix-des-Bouquets, reconnaissaient l'égalité des droits aux hommes de couleur, et promettaient de faire réhabiliter la mmoire de ceux qui, depuis la révolution, avaient été condamnés à mort pour délits politiques.

A la suite de ce traité, l'assemblée provinciale de l'Ouest qui avait d'abord cherché des secours dans l'appui de l'étranger, reconnut elle-même la nécessité d'un accommodement: elle détermina les districtsdu Port-au-Prince et les treize autres paroisses de la province, à souscrire à la convention signée par les hommes de couleur et les habitants du Mirebalais et de la Croix-des-Bouquets; il fut convenu en outre que la garnison, du Port-au-Prince serait composée à l'avenir de gens de couleur et de blancs en nombre égal, que l'assemblée coloniale serait recomposée conformément aux dispositions du 15 mai, et que, dans le cas où elle s'y refuserait, on forcerait en commun sa résistance; et dès lors elle youa à l'infamie les juges de Vincent Ogé et de ses compagnons d'infortune.

Telles furent les conditions du traité, qui fut signé de part et d'autre, le 23 octobre, sur l'habitation Damien. Le lendemain, 1500 hommes de couleur entrèrent dans le Port-au-Prince: M. de

Caradeux commandant-général des gardes nationales de l'Ouest, le général de couleur Beauvais, commandant en second, marchaient en tête du cortège se tenant par le bras, et avec tous les signes de la plus sincère affection.

L'assemblée générale apprit avec la plus grande indignation les concessions qui venaient d'être faites aux hommes de couleur; elle mit de nouveau la colonie sous la protection de l'Angleterre: mais la démarche qu'elle fit auprès de cette puissance, fut une seconde fois et honteusement rejetée.

Ce fut alors seulement que cette assemblée orgueilleuse put se déterminer à demander des secours à la mère-patrie, qu'elle avait tant offensée; Blanchelande fit partir pour la Martinique le brick l'Actif, commandée par Saint-Légier de Boisrond, qui ne put ramener qu'un renfort très peu nombreux : encore les officiers qui le commandaient et dont la plupart demandaient une contre-révolution, contribuèrent à augmenter le trouble par leur conduite inconsidérée, sans que leur bravoure ou leur nombre pussent suffire pour apaiser celui qui avait déjà éclaté; on ne tarda pas à les consigner à bord des vaisseaux qui les avaient

amenés.

Cependant l'Assemblée nationale de France, sollicitée violemment par le comité colonial de rapporter son décret du 15 mai, s'était laissé persuader, malgré l'oppposition de Rewbell et de plusieurs

autres membres. Elle avait rendu, le 24 septembre, un décret contradictoire, par lequel elle reconnaissait à l'assemblée coloniale seule le droit de décider sur le régime colonial et sur l'état des personnes; elle mettait en même temps à la disposition de cette assemblée quelques secours en hommes et en argent. Celle-ci allait succomber; elle allait. céder à la force des événements et sanctionner les concordats de l'Ouest, lorsque la nouvelle de ce décret, les secours arrivés et la promesse de forces plus imposantes, lui rendirent son opiniâtreté et son insolence. Elle décréta l'ajournement de la question relative à l'émancipation entière des hommes libres de couleur. Les efforts de Rouvray et de Touzard, pour s'opposer à cet arrêté, furent inutiles; ils n'obtinrent l'honneur d'avoir voulu épargner de grands maux à la colonie et un amendement insignifiant qui promettait l'émancipation des mulâtres dans un temps plus calme, et après qu'ils auraient concouru de tout leur pouvoir à l'extinction du brigandage.

que

Les hommes de couleur n'eurent pas plus tôt connaissance de ce décret, qu'on les vit presser l'exécution des articles du concordat de l'Ouest, par lesquels il était convenu que les paroisses rappelleraient leurs députés des assemblées coloniale et provinciale. Déjà trois sections, sur quatre, avaient voté pour l'exécution littérale du traité de la Croixdes-Bouquets; tout semblait annoncer la dissolu

« PreviousContinue »