Page images
PDF
EPUB

dit inconséquente; elle arrêta la formation de trois régiments de garde soldée, créa des commissions prévôtales, augmenta les droits d'octroi et mit l'embargo sur tous les bâtiments français qui se trouvaient alors dans la colonie; enfin elle consomma sa révolte en se mettant sous la protection des Anglais. Dans une lettre adressée au gouverneur de la Jamaïque, elle s'exprimait en ces termes : Au Cap français, 24 août 1791.

« Monsieur le gouverneur-général,

« L'assemblée générale de la partie française de Saint-Domingue, vivement affectée des malheurs qui désolent Saint-Domingue, a déterminé de députer vers votre Excellence, pour lui faire la peinture de tous les maux dont cette belle île est frap-pée; les flammes dévastent nos possessions, les bras de nos nègres armés sont déjà teints du sang de nos frères. Un secours très prompt nous est nécessaire pour sauver les débris de nos fortunes déjà à moitié détruites; et, renfermés dans nos villes, nous conservons les individus jusqu'à ce que les secours que nous sollicitons de vous nous parviennent.

L'assemblée générale supplie votre Excellence de prendre en considération le détail que vous fera M. Le Beugnet, l'un de ses membres, qui est le commissaire qu'elle a choisi pour vous présenter sa demande; il vous remettra notre acte de constitution. >>

Sans même attendre la réponse qu'elle demandait, l'assemblée générale adopta le chapeau rond à l'anglaise, pour l'uniforme des troupes, et substitua la cocarde noire aux couleurs nationales.

La réponse du lord Effingham, gouverneur de la Jamaïque, ne fut pas telle qu'on l'avait espérée, il se contenta d'établir en croisière sur les côtes de l'Ouest, un vaisseau de 50 canons et d'envoyer au Cap 500 fusils et quelques munitions de guerre et de bouche.

Cependant les noirs n'épargnaient pas ceux de leur race qu'ils trouvaient cachés, ou qui ne prenaient pas les armes à leur approche: cette mesure grossit leur camp et accrut leurs forces. Ils s'étaient donné le nom de gens du Roi; leur chef suprême, Jean-François, avait pris le titre de grand-amiral de France, et son, lieutenant Biassou, celui de généralissime des pays conquis.

Le gouverneur Blanchelande avait publié une proclamation où il les engageait à se soumettre; les noirs qui étaient campés alors sur l'habitation Galliffet, lui adressèrent la lettre suivante.

<< Monsieur, nous n'avons jamais prétendu nous écarter du devoir et du respect que nous devons au représentant de la personne du Roi, ni même à tout ce qui dépend de Sa Majesté: nous en avons des preuves par-devers nous; mais vous, mon général, homme juste, descendez vers nous; voyez cette terre que nous avons arrosée de notre sueur,

ou bien plutôt de notre sang; ces édifices que nous avons élevés, et ce dans l'espoir d'une juste récompense! l'avons-nous obtenue, mon général? Leroi, l'univers ont gémi sur notre sort, et ont brisé les chaînes que nous portions; et nous, humbles victimes, nous étions prêts à tout, ne voulant point abandonner nos maîtres; que dis-je ? je me trompe, ceux qui auraient dû nous servir de pères après Dieu, c'étaient des tyrans, des monstres indignes des fruits de nos travaux et vous voulez, brave général, que nous ressemblions à des brebis, que nous allions nous jeter dans la gueule du loup? Non, il est trop tard; Dieu, qui combat pour l'innocent, est notre guide, il ne nous abandonnera jamais. Ainsi voilà notre devise: Vaincre on mourir.

« Pour vous prouver, respectable général, que nous ne sommes pas aussi cruels que vous pouvez le croire, nous désirons, du meilleur de notre ame, faire la paix, mais aux clauses et conditions que tous les blancs, soit de la plaine ou des mornes, se retireront par-devers vous, pour se retirer dans leurs foyers, et par conséquent abandonner le Cap, sans en excepter un seul; qu'ils emportent leur or et leurs bijoux, nous ne courons qu'après cette chère liberté, objet si précieux.

« Voilà, mon général, notre profession de foi, que nous soutiendrons jusqu'à la dernière goutte de notre sang. Il ne nous manque point de poudre et de canons; ainsi la mort ou la liberté. Dieu

veuille nous la faire obtenir sans effusion de sang! alors tous nos vœux seront accomplis, et croyez qu'il en coûte beaucoup à nos cœurs d'avoir pris

cette voie.

[ocr errors]

Mais, hélas! je finis, en vous assurant que tout le contenu de la présente est aussi sincère que si nous étions par-devant vous. Ce respect que nous vous portons, et que nous jurons de maintenir n'allez pas vous tromper et croire que c'est faiblesse, en ce que nous n'aurons jamais d'autre devise: Vaincre ou mourir pour la liberté.

« Vos très humbles et très obéissants serviteurs,

<< Tous les généraux et chefs qui composent notre armée. »

On répondit par une attaque à cette missive singulière; une lettre trouvée, dans ce coup de main, sur l'habitation Galiffet, vint tout à coup éclairer les colons sur la nature de l'insurrection, et sur le caractère de ceux qui en avaient été les premiers instigateurs. Elle leur apprit que des blancs espagnols, et même le parti royaliste français soutenaient secrètement les noirs, dans l'espérance d'opérer une contre-révolution. Cette opinion vraisemblable s'était également accréditée parmi quelques hommes de couleur. Voici ce que portait en substance cette lettre, qui ne fut pas la seule pièce de conviction dont les esprits purent tirer des lu

mières durantcette première phase de la révolution: « Je suis faché que vous ne m'ayez pas prévenu plutôt que vous manquiez de munitions; si je l'avais su, je vous en aurais envoyé, et vous recevrez incessamment ce secours, ainsi que tout ce que vous me demanderez, quand vous défendrez les intérêtsdu roi.

Signé DON ALONZO.

L'effroi des colons en fut porté à son comble, ils ne savaient plus à qui se fier. Un parlementaire des rebelles vint se présenter devant le Port -Margot: il était porteur d'un drapeau blanc aux armes de France, et sur lequel était écrit d'un côté : Vive le roi! et de l'autre : Ancien régime ! Il donna connaissance aux habitants d'une déclaration des siens dans laquelle il était dit à peu près « Qu'ils avaient pris les armes pour la défense du roi, que les blancs retenaient prisonnier à Paris, parce qu'il avait voulu affranchir les noirs, ses fidèles sujets; Qu'ils voulaient donc cet affranchissement, et le rétablissement de l'ancien régime;

[ocr errors]
[ocr errors]

Moyennant quoi, les blancs auraient la vie sauve, et pourraient retourner tranquillement dans leurs foyers; mais qu'ils seraient préalablement désarmés. »

Les habitants du Port-Margot, se refusant à rien conclure de leur chef, promirent d'adhérer aux conditions arrêtées par la ville du Cap: les rebelles, mécontents de cette réponse, attaquèrent la

« PreviousContinue »