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emporter à tous les élans d'une joie immodérée: le gouvernement et l'assemblée provinciale du Nord, qui s'était de nouveau rapprochée de lui pour quelque temps, convoquèrent une assemblée coloniale; mais cette convocation donna lieu à de grands malheurs: d'un côté, une foule d'électeurs, dans les assemblées primaires, refusèrent de méconnaître les droits abolis de celle de Saint-Marc et en réélurent les membres. De l'autre côté, rien ne pouvait vaincre l'obstination des colons blancs dans leurs préjugés, et voir voter des hommes de couleur; supposer aux hommes de cette caste des droits égaux aux siens, était une idée qu'un blanc ne pouvait supporter.

Tandis que les passions étaient ainsi en présence, les troupes annoncées par le décret du 12 octobre, vinrent débarquer au Port-au-Prince sur les vaisseaux de ligne le Fougueux et le Borée, et sur deux frégates c'étaient les seconds bataillons des régiments d'Artois et de Normandie. Le gouverneur avait vainement envoyé à leur rencontre une corvette qui devait leur donner l'ordre de se rendre de suite au môle Saint-Nicolas, et qui ne les trouva point en mer.

Dès qu'ils furent en rade, les partisans de l'assemblée de Saint-Marc vinrent implorer leur protection; ils parlèrent avec enthousiasme des bienfaits de la révolution française, et des projets de contre-révolution nourris secrètement, disaient

ils, par le gouvernement colonial. M. de Planchelande, était accouru de son côté, il monte alors successivement à bord de chaque vaisseau et veut sommer les chefs de faire débarquer les troupes à Saint-Nicolas. Il en est reçu froidement, et il a recours à des insinuations; il prétend que rien n'est disposé au Port-au-Prince pour les recevoir; il veut ́ convaincre lorsqu'il ne doit que commander; sous ses yeux mêmes, plus de 500 hommes débarquent furtivement et se répandent dans le Port-au-Prince. Ce jour décida la perte du gouverneur et le sort du colonel de Mauduit, que la garde nationale des districts avait en horreur depuis qu'il l'avait humiliée, le 30 juillet de l'année précédente, en enlevant ses drapeaux.

Pendant que les habitants du Port-au-Prince témoignaient leur allégresse par une illumination générale et par des danses, les matelots et les soldats, trompés par un faux décret de l'Assemblée nationale, en date du 17 décembre, qui semblait lui-même frapper de mensonge et de nullité celui du 12 octobre, s'enhardissaient jusqu'à députer vers M. de Blanchelande quelques-uns des leurs, pour demander à ce chef dans quel but il voulait les envoyer au môle Saint-Nicolas. Le gouverneur frappé de surprise, lorsqu'on lui remit cette pièce, fabriquée dit-on par un procureur de la ville, nommé Perusset, assura les troupes que le décret du 12 octobre était le seul véritable, et fut

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réduit à leur montrer les instructions secrètes du ministre de la marine, qui ordonnait que le débarquement eût lieu au môle Saint-Nicolas ; les soldats députés promirent alors obéissance. Le moment était favorable, de Blanchelande pouvait retrouver et ressaisir son autorité perdue. Il ne fallait plus que de la fermeté; il eut la faiblesse d'accorder un délai de trois jours; ce retard ne fut pas perdu pour le parti ennemi.

En effet, à peine les troupes furent-elles débarquées, qu'elles entrèrent en révolte ouverte par un refus formel de faire le service conjointement avec le régiment du Port-au-Prince dévoué au gouver

nement.

Les soldats de ce corps, séduits eux-mêmes par l'émission du prétendu décret du 17 décembre, se persuadèrent que leur colonel agissait secrètement en faveur de la contre-révolution : ils se joignirent aux révoltés. Forte de ces événements, l'assemblée provinciale de l'Ouest reprit le cours de ses séances, et se reconstitua sous le nom de Nouvelle Municipalité.

Rigaud des Cayes, mis en liberté après la première révolte en faveur d'Ogé, avait été depuis replongé dans les cachots par l'ordre de Mauduit; on brisa les portes des prisons, ce chef et d'autres détenus furent rendus libres. La garde nationale se réorganisa. Dès lors, Mauduit n'osant plus répondre de rien, engagea Blanchelande à aban

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donner la ville, où il resta seul chargé de faire face à l'orage.

Le prétendu décret du 17 décembre avait bouleversé toutes les têtes : les grenadiers de Mauduit eux – mêmes réunis à la populace se portèrent à sa demeure; pour les apaiser, le colonel offrit de rendreles drapeaux enlevés à la garde nationale. Au moment où il venait de se diriger sur la place d'armes pour remettre ce trophée, une voix demanda qu'il fit ses excuses à genoux; lui, sans parler, déboutonna son habit et présenta sa poitrine à la multitude. Il tomba à l'instant même percé de mille coups. D'honorables citoyens, même entre ceux qui avaient eu à se plaindre de lui, tentèrent en vain de le défendre des fureurs d'une soldatesque ingrate. Son corps fut indignement mutilé et sa tête accrochée au gibet, aux acclamations féroces de la populace et des soldats.

Mais la révolte ne devait pas s'arrêter là les meneurs déposèrent Blanchelande et les autorités; des gens dévoués furent appelés à remplir toutes les places vacantes.

Il ne fallait plus que justifier aux yeux de l'Assemblée nationale l'assassinat commis sur la personne de Mauduit; on envoya en France quelques papiers trouvés chez le colonel, un surtout où il s'exprimait avec irrévérence contre les mesures de l'Assemblée et contre le serment du Roi.

Cependant le régiment qu'il avait commandé

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ce docile instrument des fureurs d'un parti qu'il avait autrefois vaincu, fatiguait de ce souvenir même les chefs de cette faction alors triomphante. Surpris à l'improviste, et forcé de mettre bas les armes, il fut embarqué et déporté sans coup-férir.

Une ambiguité renfermée dans la lettre des instructions qui accompagnaient le décret du 8 mars 1789, avait privé jusqu'alors les hommes de couleur du droit de siéger dans les assemblées provinciales; même, dans la convocation qui suivit le décret du 12 octobre, ils n'avaient pu être appelés qu'aux assemblées primaires. Enfin, l'Assemblée nationale décida, le 15 de mai 1791, que les sangs mêlés de toutes couleurs, nés de père et de mère libres, pourraient siéger désormais dans les assemblées provinciales. Quand ce décret fut connu à Saint-Domingue, tous les esprits s'exaltèrent en sens divers.

Les mulâtres ne mirent plus de bornes à leurs espérances; les blancs indignés, se déclarèrent en révolte ouverte contre la mère-patrie, en rejettant le serment civique, en méconnaissant les droits de la France. La paroisse du Gros-Morne alla jusqu'à rendre le décret suivant :

L'Assemblée paroissiale du Gros-Morne, etc., etc.

que

« Considérant les décrets des 13 et 15 mai étant une infraction aux décrets des 8 mars et 13 octobre de l'année dernière, c'est un parjure na

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