Page images
PDF
EPUB

messes; on l'organisa en gardes nationales et le marquis de Cadusch en fut fait colonel.

Cependant le vaisseau de ligne le Léopard, se trouvait en vue du Port-au-Prince; le marquis de la Galissonnière, qui commandait ce navire, était l'ami et le partisan du comte de Peynier. C'en fut assez pour que son équipage déjà animé de l'esprit révolutionnaire, se révoltât contre lui, en faveur de l'assemblée. Celle-ci, en retour, vota des remerciements à l'équipage du Léopard, lui recommandant l'ordre, en même temps, de tenir le navire en rade et d'attendre ses ordres. Les matelots promirent obéissance, et firent placer au grand mât du vaisseau l'acte de remerciement.

Les choses étaient allées plus loin encore, puisque les partisans de l'assemblée s'étaient rendus maîtres du magasin à poudre de Léogane, quand, le 30 juillet, Peynier prononça, dans une proclamation, la dissolution de l'assemblée générale, accusant ses membres de tendre au renversement de l'état, et d'avoir traîtreusement corrompu l'équipage d'un des vaisseaux du Roi, et les troupes de terre de Sa Majesté.

Déjà, dans la nuit qui précéda la publication de ce manifeste, le chevalier de Manduit avait été envoyé avec cent soldats pour disperser le comité provincial de l'Ouest, réuni au Port-au-Prince, et zélé partisan des menées de l'assemblée générale. Au moment où il allait entourer, à minuit, le lieu de leurs

séances, il le trouva défendu par un parti nombreux de gardes nationales; il les fit sommer de se retirer en proclamant la loi martiale. Un feu vigoureux fut la seule réponse de l'ennemi : quinze des soldats de Mauduit tombèrent à ses côtés dans cette première décharge; mais la garde coloniale prit bientôt la fuite, laissant son chef et deux des siens sur le champ de bataille et quarante prisonniers à peu près. Un seul membre du comité se trouvait dans ce nombre. On leur rendit à tous la liberté, acte de modération qui s'accorde peu avec la conduite de Mauduit, qui fit porter chez lui en triomphe les drapeaux de la garde nationale du Port-au-Prince, enlevés dans la salle du comité provincial, où on les déposait d'ordinaire.

: Cependant la province du Nord, après avoir répondu par une proclamation violente au décret du 28 mai, préparait des moyens de vengeance plus puissants. Elle faisait marcher un corps d'armée assez nombreux, sous les ordres du baron de Vincent. Peynier de son côté, dirigeait le chevalier Mauduit sur le même point, avec les instructions les plus précises.

A mesure que l'instant décisif approchait, l'animosité des partis s'exhalait dans les accusations les plus amères. Le gouverneur et les siens accusaient hautement l'assemblée générale d'avoir vendu la colonie aux Anglais, pour une somme de quarante millions. On n'a jamais bien su si cette accusation était

basée sur quelques preuves; il suffisait peut-être à Peynier qu'il y eût dans l'assemblée générale des hommes qu'on pût juger capables de vendre, et qu'on sût les Anglais toujours disposés à acheter. L'assemblée générale, à son tour, accusait le gouverneur de préparer une contre-révolution. On ne peut nier que les sentiments connus de Peynier et de Mauduit n'eussent pu donner quelque créance à cette imputation; quoique les concessions des droits politiques accordés aux hommes de couleur eussent été soutenues par ceux-ci, tandis que les généreux réformateurs de l'assemblée générale s'en étaient montrés les plus intraitables adversaires.

Cependant les deux corps ennemis s'avançaient contre Saint-Marc avec célérité : l'assemblée s'effrayait du peu de forces dont elle pouvait disposer; elle comptait cependant sur les secours des grandes villes, sur ceux de la masse des planteurs, sur les comités de l'Ouest et surtout sur les petits blancs.

Dans ce moment, parut en vue de Saint-Marc le vaisseau le Léopard. Les autorités du Portau-Prince lui avaient enjoint de quitter la rade de cette ville et de faire voile pour la France; mais il n'avait franchi que le canal Saint-Marc et s'était présenté devant cette ville. Son équipage vint faire soumission à l'assemblée par l'organe du lieutenant Santo Domingo, neveu de La Galissonnière, et en même temps l'un des riches planteurs de l'île. Cet officier déclara, pour lui et les

[ocr errors]

siens, " qu'il défendrait l'assemblée jusqu'à la « dernière goutte de son sang; mais qu'il ne pou«< vait prendre sur lui d'agir offensivement en son « nom contre ses ennemis ».

Le temps pressait; les sommations des assiégeants étaient fréquemment répétées, et bientôt elles allaient ne l'être plus; il fallait vaincre ou fuir. L'assemblée générale prit alors une résolution subite, qu'on a trouvée grande et qui nous paraît l'être peu; elle s'embarqua en masse pour la France sur le Léopard, protestant contre la violence dont elle se prétendait la victime, et résolue d'aller réclamer de l'Assemblée nationale une éclatante justice. Dès ce moment la guerre se trouva suspendue comme par une trève; les deux partis convinrent de s'en rapporter à la décision de l'Assemblée nationale. Le comte de Peynier convoqua toutefois les assemblées primaires pour la nomination des nouveaux députés; mais les communes ne répondirent point à cette convocation, et celles qui s'assemblèrent protestèrent contre la conduite du gouverneur-général, en réélisant les membres absents de l'ancienne assemblée.

Ce mépris qu'on marquait à l'autorité coloniale ne manqua pas de l'affaiblir singulièrement. Peynier crut remédier au mal en usant de sévérité; un conseil de guerre condamna à mort, par contumace, cent vingt-sept soldats du régiment du Port-auPrince, qui s'étaient rangés du parti de l'assemblée;

[ocr errors]

cet arrêt, irrita au dernier point les esprits, qu'il eût fallu chercher à calmer.

Un incident nouveau vint bientôt compliquer la situation respective et des deux partis, changer la scène, et commencer un autre ordre d'événements pour l'histoire de Saint-Domingue.

Vincent Ogé, homme de couleur, fils d'un riche boucher du Cap, commissaire des mulâtres en France, et affilié à la société des Amis des Noirs, s'était dirigé d'abord de Paris sur Londres, où le fameux négrophile, Thomas Clarkson, l'avait de nouveau encouragé; parti d'Angleterre le 18 août, il aborda au Cap français le 17 octobre 1790, sous le nom de Poissac, avec le titre de lieutenant-colonel, et la décoration du Lion qu'il avait achetée du prince de Limbourg; de là il gagna le Dondon, lieu de sa naissance et où sa mère avait une riche habitation, s'aboucha avec un homme de sa caste, nommé Chavanne, et tous deux à la tête de 200 hommes, ils marchèrent sur la grande Rivière. Du camp qu'il établit en cet endroit, Ogé envoya au président de l'assemblée du Nord, la lettre suivante. Vincent Ogé aux membres composant l'assemblée provinciale du Cap.

« Messieurs, un préjugé trop long-temps soutenu va enfin tomber. Je suis chargé d'une commission bien honorable pour moi, sans doute. Je vous somme de faire promulguer dans toute la co

« PreviousContinue »