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Les couleurs nationales que la France avait arborées avec élan, furent reçues à Saint-Domingue avec une ivresse et une exaltation indicibles : les milices furent assimilées aux gardes nationales françaises, et de toutes parts une jeunesse ardente courut s'y enrôler. L'on donna en un mot dans Ja colonie une seconde représentation des derniers événements de la mère - patrie: c'était la même ardeur et le même zèle joints à plus de fougue et d'emportement.

Après s'être enrégimentés, les colons voulurent mettre à profit l'humeur belliqueuse qui venait de les saisir; ils inventèrent un conte absurde, une révolte de trois mille nègres secrètement encouragés par le gouvernement; et marchèrent contre ces ennemis qu'ils ne purent rencontrer.

Cette expédition ne fut que ridicule; mais les conséquences en furent incalculables: elle donna à connaître aux noirs qu'une révolte était possible.

Peu de temps après, arrivèrent à Paris les hommes de couleur envoyés en France pour y défendre leurs droits et leurs intérêts. Ils déposèrent 6,000,000 sur l'autel de la patrie, et offrirent le cinquième de leurs biens pour hypothèques de la dette nationale: ils demandaient en échange d'être assimilés en tout aux blancs, qu'ils égalaient en nombre, et avec lesquels ils partageaient toutes les richesses territoriales et commerciales de la colonie. Le président leur répondit qu'aucune

partie de la nation n'aurait réclamé vainement droits auprès de l'assemblée des représentants du peuple français.

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Dans le même temps, une discussion toute philanthropique sur l'esclavage des noirs, s'ouvrait dans le sein de l'Assemblée; la nation entière paraissait avoir fait de cette grande question la sienne propre, et, le 4 décembre, un membre distingué de la législature, prononçait ces paroles hardies et désintéressées : « Je suis un des plus grands proprié << taires de Saint-Domingue; mais je vous déclare « que dussé-je perdre tout ce que j'y possède, je le préférerais, plutôt que de méconnaître les principes que la justice et l'humanité ont consacrés : je me déclare et pour l'admission des sang-mêlés « aux assemblées administratives, et pour la li<«<berté des noirs ». Ces paroles fameuses du député Charles de Lameth, parurent intempestives aux yeux du plus grand nombre; leur effet fut terrible, elles épouvantèrent les grands planteurs, et leur inspirèrent contre les hommes de couleur une haine profonde qui ne tarda pas à éclater. Elle décida au Cap l'exécution du mulâtre Lacombe, dont tout le crime était d'avoir signé une pétition, dans laquelle il réclamait les droits de l'homme; et on lit dans le tome 3 de l'ouvrage intitulé Débats des colonies, que le plus grand crime qu'on reprocha à cet écrit, était dans la forme inusitée de sa rédaction.

Les mulâtres du petit Goave avaient adressé à

l'assemblée électorale de l'Ouest une pétition, dans laquelle ils demandaient humblement non pas l'égalité des droits, mais seulement quelques modifications à l'état où ils vivaient. Les signataires furent tous arrêtés. Ferrand de Baudière sénéchal du roi, ancien magistrat, plein de justice et de sagesse, coupable d'avoir rédigé leur placet, fut incontinent, et presque sans jugement, livré au bourreau, malgré tous les efforts tentés en sa faveur par le gouvernement colonial.

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De semblables violences, qui étaient surtout l'ouvrage des petits blancs, aigrirent au dernier point les hommes de couleur; de cet échange mutuel de haine et de colère, naquit une soif de vengeance qui ne s'arrêta plus.

On crut faire beaucoup pour les hommes de couleur, en leur accordant, dans quelques paroisses, la faculté d'assister aux assemblées primaires : mais cet état de choses ne dura pas long-temps; ceux des quartiers de l'Artibonite et des Verretes refusèrent, en prêtant le serment civique, de promettre le respect aux blancs; ils se soulevèrent, et, pour la première fois,'ils mirent les armes à la main. Cette insurrection, qui ne se rattachait à rien, fut promptement étouffée, et n'eut aucune suite sanglante. La tranquillité parut rétablie quelques instants ; mais le gouvernement ayant rendu le fameux décret du 8 mars 1790, toutes les passions s'agitèrent de nouveau et plus violemment que jamais. Les deux

partis ne voyaient point résolue, dans ce décret, la double question des concessions demandées par les uns et des prétentions élevées par les autres.

Décret du 8 mars 1790.

« Art. I Chaque colonie est autorisée à faire connaître son vœu sur la constitution, la législation et l'administration qui conviennent à sa prospérité et au bonheur de ses habitants, à la charge de se conformer aux principes généraux qui lient les colonies à la métropole, et qui assurent la conservation de leurs intérêts respectifs.

« 2. Dans les colonies où il existe des assemblées nationales, librement élues par les citoyens, et avouées par eux, ces assemblées seront admises à exprimer le vœu de la colonie : dans celles où il n'existe pas d'assemblée semblable, il en sera formé incessamment pour remplir les mêmes fonc

tions.

«< 3. Le roi sera supplié de faire parvenir dans chaque colonie une instruction de l'Assemblée nationale, renfermant: 1o Les moyens de parvenir à la formation des assemblées coloniales, dans les colonies où ils n'en existe pas; 2° les bases générales auxquelles les assemblées coloniales devront se conformer dans les plans de constitution qu'elles présenteront.

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4. Les plans préparés dans lesdites assemblés coloniales seront soumis à l'Assemblée nationale;

pour être examinés, décrétés par elle et présentés à l'acceptation et à la sanction du Roi.

« 5. Les décrets de l'Assemblée nationale sur l'organisation des municipalités et des assemblées administratives, seront envoyés auxdites assemblées coloniales, avec pouvoir de mettre à exécution la partie desdits décrets qui peut s'adapter aux convenances locales, sauf la décision définitive de l'Assemblée nationale et du Roi, sur les modifications qui auraient pu y être apportées, et la sanction provisoire du gouvernement pour l'exécution des arrêtés qui seront pris par les assemblées administratives.

«6. Les mêmes assemblées coloniales énonceront leur vœu sur les modifications qui pourront être apportées au régime prohibitif du commerce entre la colonie et la métropole, pour être, sur leurs pétitions et après avoir entendu les réprésentants du commerce français, statué par l'Assemblée nationale, ainsi qu'il appartiendra. »

Ce décret arriva à Saint-Domingue avec les instructions dont il y est parlé dans l'article 3, dans le moment où les deux cent treize représentants de la colonie, assemblés par les ordres du Roi, venaient de se constituer à Saint-Marc, sous le titre d'assemblée générale. Leur premier acte fut de déclarer que tous les blancs mourraient, plutôt que de partager les droits politiques avec une race bátarde et dégénérée. En outre ils se proclamèrent la seule représen

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