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Malgré ces défenses royales, en 1771, les dominicains avaient à la Martinique une sucrerie et cinq cents esclaves, qui leur donnait 150,000 livres de revenu, et des rentes foncières qui leur produisaient 94,000 livres; indépendamment de 40,000 livres de casuel de la cure du Mouillage à la Guadeloupe, et deux habitations qui pouvaient donner ensemble un revenu de 200,000 livres. Ils avaient vendu 500,000 livres leurs possessions à la Grenade; à Saint-Domingue, ils avaient une sucrerie et plus de deux cents noirs; une autre sucrerie attendait des forces pour devenir plus considérable que la première.

Les carmes avaient deux habitations à la Guadeloupe, dont l'une donnait 40,000 livres de revenu. A la Martinique, les capucins n'avaient point de terres, mais un grand nombre d'ouvriers et de bestiaux, dont ils vendaient le travail et les croîts. Ils perdirent, par l'ouragan de 1767, des canots passagers, conduits par des esclaves, dont ils tiraient 5 à 6,000 livres par an. Les jésuites avaient à la Martinique une sucrerie dont la régie a donné à leurs créanciers 50,000 livres, et 40,000 livres en loyers de leurs maisons. Leurs possessions à la Guadeloupe furent vendues 600,000 livres; celles à la Dominique, 800,000 livres; celles à Saint-Domingue, 800,000 livres, indépendamment des nègres, au nombre de cent, et beaucoup de bestiaux vendus à des particuliers, sur lesquels ils furent repris par des créanciers, en vertu d'arrêt du conseil d'état:

et des bâtiments considérables dans la ville du Cap, dont le gouvernement s'empara. A Cayenne et dans le continent, ils possédaient deux belles sucreries, une cacaotière considérable, une vaste ménagerie, et, sur ces diverses possessions, au moins, neuf cents noirs. La vente de tout fut faite au roi, pour une somme de 1,200,000 livres, monnaie de France. A la Louisiane, la valeur de leurs biens et effets excédait la valeur totale de ceux qu'ils avaient dans les autres colonies; mais il faut dire que dans cette contrée, ils les avaient acquises à la faveur du système de papier-monnaie qui venait de ruiner la France.

Quant aux missionnaires particuliers, on en voyait peu revenir sans un pécule plus ou moins considérable, qu'ils employaient à s'affranchir de la règle dans les maisons de leur ordre, ou à des sécularisations scandaleuses.

Ce pécule était le fruit du commerce auquel se livraient les religieux; l'esprit de propriété gagnait les plus ambitieux de ceux qui, malgré leur vœu de pauvreté, s'étaient amassé une fortune en numéraire; ces moines achetaient des terres sous des noms empruntés et s'y retiraient dans l'indépendance de tout supérieur et de toutes fonctions.

Le vœu d'obéissance de ces saints hommes n'était pas mieux gardé que leur vœu de pauvreté; l'éloignement dans lequel ils se trouvaient de leurs supérieurs rendait l'insubordination facile, et à peine obéissaient-ils au pouvoir civil pour tout ce qui re

que

gardait la desserte des paroisses qui leur étaient commises; pour tout le reste, ces hommes pieux ne reconnaissaient point de maîtres, ni séculier, ni régulier. Leurs supérieurs de France en étaient tellement convaincus, qu'en 1753, et sans attendre le refus d'obéissance le mît dans le cas de recourir à l'autorité civile, le Provincial des dominicains demanda au roi que les administrateurs politiques de Saint-Domingue fussent chargés d'intimer aux missionnaires de l'île les ordres nécessaires pour l'exécution des arrangements que ce supérieur entendait faire dans le spirituel et dans le temporel de la mission; mais la réunion même de ces deux pouvoirs était insuffisante à l'époque du dernier siècle, où les convulsionnaires mirent toute la France en rumeur.

Un missionnaire de la Martinique avait porté le fanatisme sur les affaires du temps, jusqu'à élever des convulsionnaires dans l'île; les représentations des administrateurs, les menaces qu'ils firent aux frères du fanatique, de prendre contre lui les mesures les plus sévères si on ne les chassait pas, n'aboutirent qu'à le faire envoyer sur une paroisse de Saint-Domingue.

En 1767, le syndic d'une mission dans la même île ne se contenta pas de se refuser aux recherches qu'on voulut faire des nègres marrons réfugiés sur ses domaines, il osa opposer la force et la violence à l'officier qui commandait le détachement.

Les inconvénients de cette insubordination des prêtres prenaient un caractère plus grave, quand il s'agissait de l'état civil des personnes, dont le gouvernement avait cru devoir les faire dépositaires. Cependant les abus qui résultèrent de cet état de choses durèrent jusqu'au moment de la révolution française.

L'exercice du gouvernement civil, dans la colonie, avait été réglé par les lettres-patentes du mois d'août 1685, que nous avons pu retrouver et que nous transcrivons ici :

ÉDIT DU ROI,

En forme de lettres - patentes, pour l'établissement d'un conseil souverain et de quatre siéges royaux, dans la côte de l'ile de Saint-Domingue, en l'Amérique.

Du mois d'août 1685.

« LOUIS, par la grâce de Dieu, roi de France et de Navarre, à tous présents et à venir, salut: Savoir faisons, que les peuples qui habitent l'île de Saint-Domingue, dans l'Amérique, ont témoigné pour notre service toute fidélité et obéissance, dont ils ont donné des marques en toutes les occasions à nos sujets qui ont servi à y établir une colonie très considérable; ce qui nous a porté à donner nos soins, et une application particulière afin de pourvoir à tous leurs besoins; nous leur avons envoyé plusieurs missionnaires pour les élever à la

connaissance du vrai Dieu, et les instruire dans la religion catholique, apostolique et romaine; nous avons tiré de nos troupes des officiers principaux pour les commander, les secourir et les défendre contre leurs ennemis; et ce qui nous reste à régler est l'administration de la justice, et l'établissement des tribunaux et des siéges en des lieux certains, en la même manière, et dans les mêmes termes, et sous les mêmes lois qui s'observent par nos autres sujets, afin qu'ils puissent y avoir recours dans leurs affaires civiles et criminelles, en première instance et en dernier ressort. A ces causes, de l'avis de notre conseil, et de notre certaine science, pleine puissance et autorité royale; nous avons créé et établi, créons et établissons par ces présentes, signées de notre main, dans la côte de l'île de Saint-Domingue en l'Amérique, un conseil souverain et quatre siéges royaux qui y ressortiront. Savoir : ledit conseil dans le bourg de Goave, à l'instar de ceux des îles de l'Amérique qui sont sous notre obéissance, lequel sera composé d'un gouverneur, notre lieutenant-général dans lesdites îles, de l'intendant de la justice, police et finances dudit pays; du gouverneur particulier de ladite côte, de deux lieutenants pour nous, deux majors, douze conseillers, nos amés; à savoir, les sieurs Moreau, Beauregard, de Maresuaud, de Dammartin, Boisseau, Coutard, Leblond', de la Gaupiere, Beauregard du Cap, des Chauderays, de Mérixfraude et

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