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et il était temps qu'on s'en occupât, la famine s'était déjà fait sentir au milieu des premiers beaux jours de la paix.

Mais les fruits des précédents désastres n'avaient pas jeté un germe inutile; le nombre des esclaves marrons s'était accru, et leur audace avec leur nombre. A la fin de 1784, une centaine à peu près de ces fugitifs s'étaient retirés dans les mornes de Doko, où l'on assure que d'anciens naturels de l'île vinrent se joindre à eux. On voulut faire marcher des troupes contre ces ennemis, qu'on appellait des rebelles: les premières rencontres prouvèrent qu'on n'aurait pas bon marché de leur destruction; il se trouvait d'ailleurs, dans beaucoup d'autres points de la colonie, des partis nombreux d'esclaves échappés de leurs chaînes et on craignait les conséquences de l'exemple donné au Doko. Le gouverneur Bellecombe, après plus de six mois de négociations, souvent interrompues par des escarmouches dont l'issue fut presque toujours à l'avantage des noirs, fit enfin un traité avec eux et reconnut leur indépendance, comme deux cent soixante ans auparavant, Barrio-Nuevo avait reconnu celle du cacique Henri et des Indiens de Boya.

Cet événement dont on fit peu de bruit dans le temps, et auquel les feuilles publiques d'Europe ne donnèrent qu'une très médiocre importance, marque à peu près la dernière époque de l'histoire de la colonie de Saint-Domingue sous le gouverne

ment français; car depuis ce moment jusqu'en l'année 1789, où cette histoire reçoit un intérêt tout nouveau d'un nouvel ordre de choses, nous ne retrouvons dans ses annales rien qui mérite d'être consigné dans nos récits.

Le sort des établissements espagnols de l'île n'a que faiblement occupé notre attention depuis le moment où leurs colons ont cessé d'être redoutables aux envahisseurs français. Nous avons dit qu'une première ligne de démarcation avait été tracée à la fin du 18me siècle, entre les deux territoires. Trente ans ne s'écoulèrent pas sans que de fréquentes attaques et de sanglantes rencontres entre les propriétaires limitrophes de la ligne, ne remissent en question les abornements des frontières. En 1730, on établit une nouvelle délimitation; mais ce ne fut qu'en 1776 que ces dispositions reçurent enfin une forme légale, et furent réglées par un traité définitif, connu sous le nom de Traité des Limites, et qui plaçait aux Anses à pitres, pour la côte du sud, la frontière de la partie française, que les conventions de 1730 avaient portées jusqu'à la pointe de la Béate. Au nord, il les restreignait au fort Dauphin et à la baie de Mancenille, dix lieues à peu près en deçà de la fixation déterminée à la suite de la paix de Riswick, en 1697. Les positions de l'étang Saumache, des mornes du Cahos, de la montagne Noire, de Saint-Raphaël et de Vallier, bordaient les deux États dans l'intérieur de l'île,

de telle sorte que, presque sur aucun point, excepté dans la profondeur des deux langues termi°nées, l'une au cap Saint-Nicolas et l'autre aux caps Tiburon et dame Marie, les établissements français ne s'étendaient pas à plus de dix lieues des côtes; le littoral qui les embrassait en avait plus de deux cent trente, des Anses à pitres à la baie du fort Dauphin; la ligne intérieure des frontières n'avait guère qu'une longueur de quatre-vingts à quatrevingt-dix lieues.

Les dernières mines de la partie espagnole avaient été comblées en 1724, sans que cette privation du dernier appât qui pût tenter la paresse des colons, tournât leur esprit vers des industries plus nobles et vers des sources de richesses qui ne tarissent jamais. Ce fut presque vainement que le roi d'Espagne Charles III proclama, en 1765, la liberté du commerce pour les îles du Vent, et qu'à la suite du traité des limites, en 1776, on le rendit également libre entre les deux sections de l'île de SaintDomingue: les commerçants de la partie française n'y trouvèrent qu'un faible avantage, leurs voisins n'ayant d'autres richesses que quelques bestiaux, et l'argent apporté d'Espagne pour l'entretien de l'administration et des troupes.

La plus grande partie des bénéfices ecclésiastiques de la colonie était dans les mains du clergé séculier. San-Domingo possédait un siége archiépiscopal, et était placé, comme les autres posses

sions espagnoles, sous le régime d'une inquisition indépendante de la cour de Rome. On distinguait les habitants en plusieurs classes: la première était celle des Espagnols purs, appelés aussi chapetons, elle ne comprenait guère que les administrateurs et les troupes envoyées d'Europe, et réunissait à peu près tout le pouvoir dans ses mains; les créoles, descendants des Européens établis en Amérique, formaient la seconde classe ; la troisième était celle des mulâtres, c'est-à-dire des hommes nés du mélange du sang européen et du sang indien; les métis, produits par l'union des Européens et des noirs, et enfin les noirs importés d'Afrique et ceux nés dans la colonie appartenaient à la quatrième et à la cinquième division.

Le gouvernement des villes était confié à des municipalités locales, dont l'autorité se bornait le plus souvent à régler des stipulations commerciales d'un faible intérêt. San-Domingo possédait une cour de justice composée de six juges, et l'une des onze destinées à pourvoir à l'administration judiciaire dans les colonies espagnoles de l'Amérique. Les décisions de ces cours étaient soumises à un appel auprès du conseil des Indes, en Castille, excepté pour les affaires civiles, quand le sujet de la contestation n'excédait pas une valeur de trente-sept mille francs de notre monnaie. Le vice-roi de la Nouvelle-Espagne était le chef du gouvernement.

Dans la partie française l'autorité ecclésiastique

avait passé, durant le 18e siècle, dans les mains de différentes congrégations religieuses, et on avait voulu pourvoir, par de sages réglements, à prévenir les abus qui pouvaient résulter et des querelles des différents ordres entre eux, et de l'insubordination qu'il fallait craindre de la part d'hommes qui ne reconnaissaient d'autre pouvoir que l'autorité de leurs supérieurs réguliers, autorité trop faiblement exercée quand elle devait se faire sentir de si loin. Il fallait aussi craindre que l'appât d'une fortune facile, sur une terre qui promettait des richesses à tous ceux qui la foulaient, ne fît oublier à ces apôtres de la parole divine le but de leur sainte mission.

Il est bon de savoir comment ces religieux observaient leur vœu de pauvreté. Les hospices ou couvents, fondés d'abord pour l'entretien des missions, étaient devenus en peu de temps des propriétés assez considérables, pour qu'en 1703 le gouvernement crût devoir en limiter le nombre et l'étendue à la quantité de terre qu'il fallait pour occuper cent nègres; limitation expressément stipulée dans les lettres - patentes d'octobre 1704, pour l'établissement des jésuites dans la partie du nord à Saint-Domingue, que la cupidité des prêtres a obligé de renouveler en 1721 et en 1743, par des déclarations positives portant défenses d'acquérir sans permission du roi, à peine de réunion an domaine.

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