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de Guinée, surtout pour le tabac du Brésil, et quatre-vingts livres de gratification par tête de noir qui serait introduite aux îles du Vent;

Une prime de cent sols par quintal de morue étrangère qu'ils introduiraient eux-mêmes, laquelle serait payée par les colonies; vingt-cinq sols, aussi par quintal, des morues qui seraient apportées directement du lieu de la pêche, et vingt-cinq sols de plus pour celles qui le seraient des ports de France; La liberté d'importer les sirops et les tafias dans ports du royaume, et de les y mettre en entrepôt, pour être ensuite portés à l'étranger.

Ies

Ces facilités, ces primes, ces gratifications demandées, l'établissement de l'entrepôt en France du tabac du Brésil, regardaient en grande partie le ministre des finances. M. de Sartines en conféra, en 1776, avec M. Turgot et ensuite avec M. de Clugny. La ferme générale, de son côté , y mettait toute opposition, et, deux ans après la convocation, le ministre n'avait encore osé rien promettre.

Cependant les choses étaient restées, quant aux colonies, dans l'état qui avait donné lieu à tant de plaintes, les deux entrepôts existaient seuls; et le maintien des lois prohibitives coûtait aux seuls établissements français de Saint-Domingue plus de trente mille nègres, précisément en 1775 et 1776, pendant les inutiles conférences de Versailles. Ce fut surtout dans la plaine du Cap que cette effrayante mortalité se fit sentir.

Depuis le mois de septembre 1775 jusqu'au mois d'août 1776, il ne tomba point de pluie dans toute cette dépendance ; le peu de vivres qu'elle produisit périt presqu'en totalité. La guerre entre l'Angleterre et les colonies était alors poussée très vivement; les Anglais avaient couvert l'Atlantique de frégates qui prirent presque tous les bâtiments anglo-américains dont Saint-Domingue eût pu espérer quelques secours. Ces peuples d'ailleurs occupés à leur guerre de terre et de mer, et forcés d'abandonner leur pêche et leur navigation marchande, ne pouvaient plus guère, à travers tant de risques, apporter dans les îles françaises les subsistances qu'ils avaient l'habitude de leur fournir.

En 1778, la guerre éclata de nouveau entre l'Angleterre et la France, qui venait de signer un traité avec les provinces insurgées de l'Amérique anglaise. On se souvint des désastres qui avaient accompagné, pour les colonies, les guerres de 1744 et de 1756, et le ministère pensa que l'admission des neutres dans les ports de l'archipel occidental devenait indispensable pour fournir à leur subsistance pendant une crise qui devait surtout se faire ressentir dans leurs parages. Les négociants des ports de France, jaloux de voir échapper un monopole qu'ils ne pouvaient plus pourtant exploiter sans péril, firent rapporter l'édit d'admission quinze jours après qu'il eut été promulgué. Ils promettaient d'alimenter, malgré la guerre, le commerce d'Oc

cident; mais tous leurs vaisseaux tombèrent au pouvoir de l'ennemi: douze mille matelots français allèrent périr dans les prisons de l'Angleterre, ou furent forcés de prendre du service sur ses flottes ; une valeur de plus de cent cinquante millions de denrées coloniales fut enlevée par les Anglais; les forces envoyées dans la mer des Antilles y ruinèrent les colonies sans pouvoir les protéger; tout y manqua et pour les flottes et pour les armées, et le gouvernement fut obligé de payer jusqu'à quatre et cinq cent pour cent de leur valeur intrinsèque les objets de première nécessité qu'il put trouver. Ce malheureux système prévalut pendant deux ans, durant lesquels ont vit se renouveler dans les colonies toutes les infortunes des guerres précédentes. Dans quelques endroits, le baril de farine fut encore vendu cinq cents livres, la barrique de vin huit cents; une houe, dont le prix en France était de vingt à vingt-deux sols, fut payée jusqu'à dix-sept livres. Le prix de tous les autres ustensiles nécessaires à l'exploitation des manufactures était dans la même proportion. Le fret monta de douze deniers à quatre-vingt-quatre, et l'on vit des propriétaires qui, pour s'acquitter en France, proposèrent vainement d'abandonner leurs denrées, après qu'elles avaient couru les risques de la mer et de l'ennemi,

Le ministère changea, et avec lui les plans de campagne. Les systèmes pour l'approvisionne

de

ment des colonies changèrent aussi: on sentit que les négociants des ports de mer s'étaient engagés témérairement, et qu'ils avaient compromis l'existence des colonies, celle des troupes et des flottes qui étaient dans les ports des Antilles. On vit enfin qu'il n'y avait point d'autre parti à prendre que se servir de vaisseaux neutres. De ce moment même, et malgré la guerre, les colonies sentirent les bienfaits de la paix. Les administrateurs eurent la faculté de pourvoir aux approvisionnements des flottes et des armées de la France, et de celles de l'Espagne, devenue, par le traité d'Aranjuez, alliée de cette puissance et des treize provinces-unies.

Le prix de tous les objets de consommation ou de première nécessité tomba de nouveau; les trésors de l'État en furent soulagés, et les généraux, qui jusque là avaient dû se borner à la défensive, purent enfin agir offensivement contre les Anglais.

La paix se fit en 1783; alors le ministre donna les ordres les plus précis pour qu'on ne reçût plus d'étrangers dans les colonies, et qu'on rétablît, à l'avenir, toute la rigueur des lois prohibitives. Les seuls Anglo-Américains conservèrent le droit d'entrer, non dans tous les ports de l'île de Saint-Domingue, mais au seul port du Môle, sous les restriction de l'édit du 29 juillet 1767.

Le gouvernement colonial exécuta ces ordres avec une sévérité qui lui valut beaucoup d'éloges de la part des négociants de France. L'exception en faveur

des Anglo-Américains fut du reste d'un effet presque nul. Les capitaines de cette nation se rappelaient le monopole dont ils avaient été victimes avant la guerre ; ils allèrent se présenter dans les ports de la Jamaïque, où malgré toutes les lois prohibitives du code commercial de la Grande-Bretagne, le gouverneur les reçut, en vertu de commissions qu'on leur envoyait à l'entrée du port de Kingstown.

L'effet qu'on devait attendre de ces nouvelles prohibitions ne tarda pas à en suivre l'exécution. En peu de semaines toutes les denrées qu'on ne pouvait attendre que de l'importation, s'élevèrent à un prix quintuple de la valeur qu'elles avaient en France ou à l'étranger. La contrebande, résultat nécessaire d'un tel ordre de choses, recommença avec plus d'activité que jamais, non pas au Cap, où elle était impossible, mais dans tous les petits hâvres de la côte, depuis le port Margot jusqu'au môle Saint-Nicolas. Telles sont les circonstances dans lesquelles parut l'arrêt du 30 août 1784, qui reconnaissant l'insuffisance du port unique d'entrepôt établi au môle Saint-Nicolas, le supprimait pour en ouvrir trois autres au Cap Français, au Port-au-Prince et au port Saint-Louis, dans lesquels il permettait la libre introduction des bois de toute espèce, des bestiaux vivants de toute nature, et du bœuf salé seulement. Il fallait pourvoir à la subsistance des habitants de ces fertiles possessions et à l'exploitation de leurs riches produits;

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