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qu'il était trop facile de poursuivre, réveillèrent leur animosité. Dans la crainte de travailler à l'agrandissement l'une de l'autre, elles renoncèrent à toute invasion en Amérique. Enfin la reine Anne ayant saisi le moment propice pour une paix particulière, elle se fit accorder des avantages qui laissèrent la nation rivale de la sienne, fort en arrière. Dès lors l'Angleterre fut tout, et la Hollande ne fut rien.

La guerre si longue et si sanglante de la succession d'Espagne, en réunissant les intérêts de Louis XIV à ceux de l'héritier de Charles II, procura aux établissements français de Saint-Domingue quelques années d'une paix intérieure. La cour de Versailles profita de ces moments de calme pour achever de régler les affaires de la colonie, et pour y établir les autorités nécessaires à la police et à la sûreté publique.

Ducasse avait été nommé chef d'escadre en 1703; on lui donna pour successeur l'ancien gouverneur de la Guadeloupe, Auger, créole de cette île, et qui, du rang le plus bas, s'était élevé par son mérite à la dignité qu'il occupait. Jusqu'à l'époque de cette nomination, les gouverneurs des établissements français de Saint-Domingue avaient réuni le pouvoir civil à l'autorité militaire; mais alors on créa une charge d'intendant qu'on investit de toute l'autorité judiciaire, et cette place fut confiée à Deslandes, qui ne porta pourtant que le titre de

commissaire ordonnateur. Il avait été long-temps directeur de la compagnie des Indes, et la plupart des rajas, le Grand-Mogol lui-même, les Anglais, les Hollandais, les Portugais et le roi de Danemarck lui avaient donné, à l'envi, les marques éclatantes et honorables d'une confiance parfaite et des distinctions les plus flatteuses. Il arriva à Léogane le 13 février 1705. L'inaltérable liaison qui se forma entre lui et le successeur de Ducasse, assura la tranquillité de l'administration de la colonie autant que le bien-être de ses habitants. Nous aurons à remarquer plus tard, que sous le régime arbitraire auquel les îles obéissaient, elles ne durent souvent quelques libertés qu'à la désunion des deux pouvoirs, qui se disputaient à l'envi le droit de l'oppression.

Du reste, l'existence administrative de ces deux hommes ne fut pas de longue durée pour la colonie de Saint-Domingue. Ils moururent presque en même temps. Mithon fut désigné pour succéder à Deslandes, avec le titre d'intendant que celui-ci n'avait

pas eu. En 1707, le comte de Choiseul-Beaupré fut appelé au gouvernement de l'île, qu'il conserva à peine pendant quatre ans; car un engagement ayant eu lieu, en 1711, entre la flotte qui le portait en France et des bâtiments anglais, il fut blessé dans cette rencontre, et alla mourir à la Havanne, peu de jours après le combat.

Lorsque Choiseul mourut, il venait de rassem

bler le petit nombre de flibustiers qui étaient rentrés dans l'île et qui avaient survécu à tant de chances diverses de destruction. Son plan était de faire tenir la mer à ces hommes aguerris, sur des vaisseaux armés en course, et qui devaient protéger le commerce de la France dans ces parages. La mort du gouverneur, dérangea ces projets, et dès lors on n'entendit plus parler des flibustiers, dont la plupart se firent cultivateurs; d'autres allèrent chercher fortune sur des terres moins tranquilles. Ainsi finirent ces bandes auxquelles il ne manqua que de la discipline et des chefs qui eussent plus de grandeur dans leurs vues, pour conquérir l'une et l'autre Amérique : mais qui toutes tumultueuses qu'elles furent, sans projet, sans ordre et sans subordination, ont pourtant fait l'étonnement du monde, par des exploits qui semblent incroyables aujourd'hui.

En 1713, la paix générale qui suivit le traité d'Utrecht sembla garantir aux colonies de l'Inde occidentale, une ère nouvelle de splendeur et de richesses. L'île de Saint-Domingue se flattait comme les autres de ces promesses de l'avenir; mais une de ces calamités que les hommes ne peuvent ni prévoir ni empêcher, recula de si belles espérances. Tous les cacaoyers de la colonie périrent en 1715. Dogeron avait planté les premiers en 1665. Cet arbuste s'était considérablement multiplié avec le temps, surtout dans les gorges des montagnes du

côté de l'ouest, et on en comptait jusqu'à vingt mille dans quelques grandes habitations.

Cette perte fut immense; cependant des cultures importantes semblaient la compenser avec usure, lorsque six ans plus tard la colonie se vit accablée de nouveaux désastres. Vers l'année 1720, à peu près, un assez grand nombre de ses habitants, après avoir consumé leur jeunesse sous ce ciel brûlant, pour se préparer une vieillesse heureuse, étaient repassés dans la métropole avec de riches fortunes qu'ils se préparaient à réaliser. La banque de l'écossais Law venait d'être créée, leurs denrées leur furent payées en billets qui périrent dans leurs mains. Ce coup accablant les força de retourner pauvres dans une île d'où ils étaient partis riches, et les réduisit à solliciter, dans un âge avancé, des places d'économes auprès des mêmes gens qui avaient été autrefois à leur service. La vue de tant d'infortunés fit détester et le système de Law, et la compagnie des Indes, qu'on rendait responsable de cette désastreuse opération de finances. A cette aversion, née de la compassion seule, vinrent bientôt se joindre des intérêts personnels, qui la portèrent à son comble.

La compagnie des Indes avait obtenu, depuis deux ans, le commerce exclusif des nègres à la charge d'en fournir deux mille par an, tandis qu'une importation cinq fois plus forte suffisait à peine aux besoins de la colonie: en outre la rareté même

des têtes d'esclaves en faisait hausser le prix. En 1722, le mécontentement éclata par les actes les plus violents. Des commis, dont l'insolence avait beaucoup augmenté l'horreur qu'on avait naturellement pour tout monopole, furent contraints de repasser les mers: les édifices qui servaient à leurs opérations furent réduits en cendres; les vaisseaux qui leur arrivaient d'Afrique, ou ne furent pas reçus dans les ports, ou n'eurent pas la liberté d'y faire leurs ventes. Le gouvernement voulut s'opposer à une licence excitée l'abus de l'autorité; mais on méprisa des ordres qui n'étaient pas soutenus de la force; on arrêta même celui qui les avait portés. Toutes les parties de l'île retentissaient de cris séditieux et du bruit des armes.

par

Le comte Desnos-de-Champmélin venait d'être nommé gouverneur-général des îles-sous-le-Vent, car c'est le nom qu'on donnait aux établissements réunis de Saint - Domingue, de la Tortue, de Gonaïves et de l'île à Vaches, quoique ces dernières îles fussent également incultes et inhabitées. Il essaya d'abord de comprimer la rébellion naissante, en déployant toutes les ressources de l'autorité et tout l'appareil du pouvoir; mais il sentit bientôt que cette voie lui réussirait mal, tant l'indignation excitée par le monopole de la compagnie était universelle, tant la résistance était unanime.

On ne sait où ces excès auraient été poussés, s'il

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