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nations plus éclairées, comme de puissants préservatifs contre toutes sortes de maladies ou d'accidents.

Une circonstance de la fête mérite d'être particulièrement remarquée, quoiqu'on en retrouve de semblables dans presque tous les cultes non revélés. Chaque individu venait se présenter, en chantant, devant la principale idole, et là il s'enfonçait un bâton dans la gorge, et s'excitait au vomissement, afin de paraître devant la divinité, comme le disaient ces peuples, le cœur net et sur les lèvres.

Les prêtres du pays, qu'on nommait butios, étaient tout à la fois devins et médecins. Ils possédaient en effet quelque connaissance de la vertu des simples que l'île produit en grande abondance; mais ils n'étaient pas assez habiles pour ne point employer les prestiges dont s'entoure presque toujours l'art de guérir dans son enfance; et on les accusa plus d'une fois d'avoir abusé du double ministère qui leur était commis, soit dans l'intérêt de leur caste, soit au profit de leurs affections personnelles.

On trouve encore aujourd'hui, en plusieurs endroits de l'île, des traces de ses antiques superstitions, qui ont survécu au culte qui les fit naître, et jusqu'au peuple qu'elles gouvernaient. Ce ne serait pas du reste une des moins singulières imaginations des butios, que la prédiction prétendue, faite au nom d'un de leurs zémès, au père du cacique

Quarionex, qui s'enquérait à lui de ce qui devait advenir après sa mort. Le souverain s'était préparé, par un jeûne de cinq jours, à recevoir la sainte communication; voici ce qu'il apprit: «< Des hommes viendraient avant peu, qui auraient le menton couvert de longs poils, et le corps vêtu des pieds à la tête; à leur arrivée, les zémès, mis en pièces, verraient leur culte aboli, et les longues armes de fer que ces étrangers portaient à leur ceinture, devaient anéantir, dans un court espace de temps, la

race des anciens insulaires. S'il en fallait croire les chroniqueurs, cette prédiction aurait été rapportée à Christophe Colomb, dès le moment de sa venue, par un grand nombre d'Haytiens.

Les premiers historiens de la découverte du Nouveau-Monde, qui n'ont pas manqué de la consigner sérieusement dans leurs livres, ajoutent que les bardes haytiens composèrent alors une chanson qui se chantait à certains jours désignés par les rits religieux, pour des cérémonies lugubres; il est malheureux qu'ils aient omis de rapporter ce morceau, qui serait pour l'histoire un document d'un bizarre intérêt.

Nous avons exposé, à peu près, ce qu'était Hayti, quand, au quinzième siècle, la passion des découvertes lointaines s'empara de la plupart des navigateurs européens. On connaît l'heureuse tentative encouragée par l'infant dom Henri, comte de Viseo, grand-maître de l'ordre du Christ, et quatrième

fils de Jean I, roi de Portugal, pour trouver un passage, par mer, aux Indes-Orientales, en faisant le tour de l'Afrique. L'activité que ce prince donna aux expéditions maritimes, très imparfaitement dirigées jusqu'au temps où il vivait, avait valu à la couronne de sa maison les Açores, les îles du Cap Vert, Madère, et une partie des Canaries. Le succès de cette entreprise hardie vint réveiller ou raffermir le dessein d'un jeune pilote italien, instruit par la renommée de la gloire des Portugais dans l'Orient, et qui pensa qu'en voguant à l'occident, on pouvait prétendre encore à une fortune plus haute que celle de Gama.

Christophe Colomb, né en 1442, d'un artisan de la rivière de Gênes, avait acquis des connaissances fort étendues dans la cosmographie, l'astronomie et la navigation, et il joignit de bonne heure la pratique à la théorie; avant de songer sérieusement à la découverte d'un nouvel hémisphère, il avait eu l'occasion de parcourir toutes les mers connues de son temps.

Ces différentes courses, sans enrichir Colomb, l'avaient rendu le navigateur le plus expérimenté de son siècle, et heureusement cette expérience était soutenue, comme nous l'avons dit, par une instruction profonde, pour l'époque où il vivait. La réunion de ces moyens jointe à ses observations particulières, lui firent vivement soupçonner que, du côté du couchant, on devait trouver

des régions aussi vastes qu'inconnues. La figure et l'étendue du globe, qui semblaient démontrées par le cours des astres, auraient dû éclairer les savants sur une conjecture aussi importante. Colomb saisit seul le rayon de lumière qui s'offrait à tous les yeux, et il ne lui resta plus aucun doute, lorsqu'il apprit qu'à la chute des grands vents d'ouest, on trouvait assez souvent, sur la côte des Açores, des Canaries, et de Madère, des morceaux de bois étrangers, des cannes d'une espèce inconnue, et même quelquefois des cadavres qui, comme plusieurs indices le prouvaient, ne pouvaient appartenir ni à la race européenne, ni à celle d'Afrique.

Le navigateur vénitien Marc Paul, le premier qui publia dans le moyen âge une relation de ses courses, avait aussi parlé d'une île lointaine, riche en métaux précieux et qu'il appelait Cipango. On a su depuis que cette île est le Japon, mais c'est elle que Christophe Colomb, sur le rapport de Marc Paul, eut principalement en vue dans ses aventureuses entreprises.

Il est vrai que, plus de deux mille ans avant la naissance du navigateur génois, Platon avait dit, dans son Timée, qu'il avait existé autrefois une vaste île nommée Atlantide, submergée dans un des grands cataclysmes du globe. Au-delà de cette île, disait le disciple de Socrate, il s'en trouvait un assez grand nombre de petites, et plus loin encore un continent aussi étendu que l'Europe et l'Asie

jointes ensemble. Après Platon, un historien ancien rapportait encore que, vers l'an 336 de Rome," un navire carthaginois, qui avait osé s'enfoncer entre le sud et l'ouest, dans une mer inconnue, sans autre boussole que l'étoile du nord, avait enfin, après une longue navigation, touché une île déserte fort étendue, abondante en pâturages, arrosée de belles rivières, et couverte de vastes forêts. Tant d'avantages avaient engagé plusieurs des aventuriers qui en eurent les premiers la connaissance à demeurer sur cette terre nouvelle; les autres étaient retournés à Carthage, et avaient fait part au sénat de leur découverte. Mais les sénateurs, dit le même historien, crurent devoir ensevelir dans un éternel oubli la connaissance de cet événement; résolution grande et sage peut-être, mais dont l'exécution fut souillée par un crime, car on fit périr en secret tous ceux dont les révélations auraient pu exciter la curiosité et l'audace de quelque esprit entreprenant.

Quoi qu'il en soit des prétendues connaissances, ou si l'on veut des conjectures de l'antiquité sur l'existence d'un autre hémisphère, il paraît avéré que Colomb n'en eut aucune notion, et qu'il était uniquement inspiré par son génie, quand il conçut cette grande idée, et qu'il entreprit de la réaliser. Rebuté dans sa patrie, trahi en Portugal, d'abord très faiblement accueilli en Espagne, enfin, vivement appuyé à cette cour par les personnages plus distingués, surtout par Louis de Saint-Angel,

les

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