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DÉLITS DES FOURNISSEURS.

481. Le Code pénal n'a prévu, pour leur imposer une responsabilité pénale, que trois actes des fournisseurs de l'État, d'où peut résulter un préjudice: 1° les fautes des fournisseurs qui font manquer les services dont ils sont chargés; 2o les retards qu'ils apportent à leurs livraisons ou à leurs travaux ; 3° les fraudes qu'ils commettent dans les fournitures qui leur sont confiées. Dans le premier cas, les faits sont qualifiés crimes par la loi; dans les deux autres, ils ne constituent que de simples délits.

« ART. 430. Tous individus chargés, comme membres de compagnie ou individuellement, de fournitures, d'entreprises ou régies pour le compte des armées de terre et de mer, qui, sans y avoir été contraints par une force majeure, auront fait manquer le service dont ils sont chargés, seront punis de la peine de la réclusion et d'une amende qui ne pourra excéder le quart des dommages-intérêts, ni être au-dessous de 500 fr.; le tout sans préjudice de peines plus fortes en cas d'intelligence avec l'ennemi. »

« ART. 431. Lorsque la cessation du service proviendra du fait des agents des fournisseurs, les agents seront condamnés aux peines portées par le précédent article. Les fournisseurs et leurs agents seront également condamnés lorsque les uns et les autres auront participé au crime.»

« ART. 432. Sides fonctionnaires publics ou des agents préposés ou salariés du gouvernement, ont aidé les coupables à faire manquer le service, ils seront punis de la peine des travaux forcés à temps, sans préjudice de peines plus fortes en cas d'intelligence avec l'ennemi. »

Il résulte de ces articles qu'ils ne s'appliquent qu'aux fournisseurs des armées de terre et de mer. C'est leur qualité de fournisseurs qui transforme dans ce cas en crime la simple infraction au service. Le fait matériel n'est autre chose que le manquement même à ce service. Mais le sort d'une armée et la destinée de l'État peuvent en dépendre.

L'art. 433 prévoit les simples retards et les fraudes sur les choses fournies.

« ART. 433. Quoique le service n'ait pas manqué, si, par négligence, les livraisons et les travaux ont été retardés, ou s'il y a eu fraude sur la nature, la qualité ou la quantité des travaux ou main-d'œuvre ou des choses fournies, les coupables seront punis d'un emprisonnement de six mois au moins et de cinq ans au plus, et d'une amende qui ne pourra excéder le quart des dommages-intérêts, ni être moindre de 100 francs. >>

Dans les deux cas prévus par cet article, le service est mal exécuté, mais il ne manque pas; le préjudice n'est pas le même, et c'est à raison de cette différence que le fait n'est qualifié que de délit. Le deuxième fait, au surplus, est le même que celui que l'art. 423 a déjà prévu ; il me suffit d'y renvoyer. Le deuxième paragraphe de l'art. 433 porte :

« Dans les divers cas prévus par les articles composant le présent paragraphe, la poursuite ne pourra être faite que sur la dénonciation du gouvernement. »

C'est au gourvernement, c'est-à-dire au ministre de la guerre qui le représente dans cette circonstance, à apprécier la gravité du fait et le préjudice qui en est résulté les tribunaux, qui n'ont aucun élément pour faire une telle appréciation, ne pourraient se saisir sans une telle dénonciation.

VINGT-QUATRIÈME LEÇON.

DE L'INCENDIE.

482. L'incendie a un caractère mixte : il peut être employé comme moyen d'ôter la vie, mais le plus souvent il ne menace que les propriétés. Le Code de 1810, reproduisant une disposition du Code de 1791, avait porté la peine de mort contre toute espèce d'incendie. Cette iniquité a frappé l'attention du législateur de 1832: « On ne peut se dissimuler, a dit le rapporteur de la loi du 28 avril 1832, qu'il n'y ait entre les différents cas d'incendie, quant au préjudice, quant à l'alarme, quant à la perversité, un intervalle immense. Toutes les raisons d'équité exigent donc une différence dans les peines comme dans les crimes, et votre commission les a jugées supérieures aux raisons d'utilité qu'on allègue pour maintenir l'uniformité de peine portée par le Code pénal. Sans doute, l'incendie est un crime à part; la facilité de le commettre, la difficulté de le prouver, les ravages qu'il exerce, la terreur qu'il répand, appellent toutes les sévérités de la loi. Dans les temps de troubles, un incendie peut devenir un instrument de haine politique, une vengeance organisée de parti; les conspirations incendiaires sont le plus redoutable auxiliaire de la révolte. Mais remarquez d'abord que la peine de mort n'a pas besoin d'être maintenue pour cette dernière hypothèse; elle est écrite dans l'art. 91 du Code pénal, qui applique la peine capitale (aujourd'hui la déportation dans une forteresse) au complot lorsqu'il a pour objet de porter la désolation dans une ou plusieurs communes. Dans les temps ordinaires, il est nécessaire que la peine de mort protége la vie de l'homme lorsque l'incendie peut la mettre en danger; mais si la vie de l'homme n'a pas même été menacée, l'incendie n'est autre chose qu'une dévastation avec circonstances aggravantes; et n'y a-t-il pas une suffisante aggravation de peine à punir des travaux forcés à temps et même des travaux forcés à perpétuité une simple dévastation? »

483. L'art. 434, rédigé d'après ces motifs, se divise en six paragraphes

« ART. 434, § 1or. Quiconque aura volontairement mis le feu à des édifices, navires, bateaux, magasins, chantiers, quand ils sont habités ou servent à l'habitation, et généralement aux lieux habités ou servant à l'habitation, qu'ils appartiennent ou n'appartiennent pas à l'auteur du crime, sera puni de mort. »>

Quand la maison est habitée ou sert à l'habitation, il y a présomption que l'incendie s'attaque à la vie de l'homme et non pas seulement à la propriété; il est considéré comme un moyen d'assassinat. Cependant la loi n'exige point qu'il y ait une relation directe entre la volonté et le résultat de l'incendie; elle n'exige point, comme dans le meurtre, que l'agent ait eu la volonté de tuer; elle exige seulement qu'il ait eu l'intention d'incendier une maison habitée; elle fait peser sur lui la responsabilité des résultats possibles de l'incendie. Les deux éléments du crime sont donc d'abord la volonté de mettre le feu, ensuite

le fait de mettre le feu à l'un des objets énumérés par la loi. Mais la condition générale, qui s'applique à tous ces objets, est qu'ils consistent dans des lieux habités ou servant à l'habitation.

484. Ici s'élève une question grave. Faut-il comprendre dans les lieux servant à l'habitation, non-seulement les lieux habités, mais leurs dépendances? La jurisprudence a résolu affirmativement cette question, attendu que, lorsque la loi fixe elle-même la signification des termes qu'elle emploie, il n'est pas permis au juge de restreindre ni d'étendre cette signification; que l'art. 390 du Code pénal détermine d'une manière générale, sans limitation aux seuls cas de vol, le sens et l'étendue de l'expression maison habitée employée dans ce Code; que, d'après cet article, on doit réputer maison habitée, non-seulement tout bâtiment, logement, etc., qui est destiné à l'habitation, mais aussi tout ce qui en dépend, comme cours, basses-cours, granges, écuries, édifices qui y sont enfermés, quel qu'en soit l'usage; que le législateur, en employant dans le premier paragraphe de l'art. 434, l'expression lieux habités ou servant à l'habitation, ne leur a pas attribué un sens moins étendu qu'à celle de maison habitée dont la définition se trouve dans l'art. 390, qui fait partie du même chapitre que l'art. 434. On a répondu que l'art. 390 n'a eu en vue et n'a pu avoir en vue que le vol et le danger dont il menace l'habitation; il protége le domicile et toutes ses dépendances, parce qu'il est évident que les voleurs, introduits dans les cours, basses-cours, jardins, menacent la sûreté des habitants aussi bien que s'ils étaient entrés dans l'habitation elle-même; mais ce qui s'applique au vol peut-il s'appliquer à l'incendie? Comment comprendre l'incendie d'une cour, d'un jardin, d'un enclos? Comment comprendre que le feu mis dans cet enclos, s'il ne menace en aucune sorte la sûreté de l'habitation, doit être puni comme s'il était mis à cette habitation elle-même? Que si le feu peut se communiquer de l'écurie ou de la grange à la maison habitée, il est évident, et c'est l'objet du § 7, que l'incendie doit être puni comme s'il était mis à la maison même ; mais si le bâtiment incendié est hors de toute portée, comment la peine sera-t-elle aggravée par cela seul que le bâtiment sera placé dans un enclos au lieu d'être en dehors, parce qu'il sera réputé dépendance de maison habitée?

485. La peine est la même soit que les objets incendiés appartiennent ou n'appartiennent pas à l'auteur du crime, parce que la loi, dans cette première disposition, a surtout voulu protéger la vie de l'homme; or, lorsque la maison est habitée, la circonstance de la propriété de cette maison devient indifférente; l'incendie est un attentat contre les personnes et non contre les propriétés.

-486. Les paragraphes de l'art. 434 qui vont suivre ont été modifiés en quelques points par la loi du 13 mai 1863. Le deuxième paragraphe, entièrement ajouté, est ainsi conçu :

« ART. 434, § 2. Sera puni de la même peine quiconque aura volontairement mis le feu, soit à des voitures ou wagons contenant des personnes, soit à des voitures ou wagons ne contenant pas des personnes, mais faisant partie d'un convoi qui en contient. >>

On lit dans l'exposé des motifs : « l'incrimination nouvelle proposée dans

le § 2 peut se justifier en quelques mots : c'est l'extension des termes de la loi à un cas nouveau qui est manifestement dans son esprit, mais qui ne pouvait pas se trouver dans sa lettre puisqu'il est postérieur au Code. Assurément il n'était donné à personne de prévoir, en 1810, qu'un jour viendrait où des voitures, mues par la vapeur, seraient comme des lieux habités, et formées en convois, réuniraient des milliers de personnes. La parité de fait et de raison n'a pas besoin d'être démontrée, elle se voit on pourrait prétendre même qu'il y a identité. Mais en matière pénale il ne faut rien laisser à l'induction; les termes de la loi ne sauraient être trop précis ni trop explicites. On les a combinés de manière à comprendre dans la disposition : 10 les voitures particulières en même temps que les wagons; 2o les agents de l'exploitation en même temps que les voyageurs, sous le nom générique des personnes; 3° l'incendie d'une voiture ou wagon ne contenant pas de personnes, mais faisant partie d'un convoi qui en contient. »

487. L'art. 434, après avoir considéré l'incendie comme un instrument homicide, le considère comme un instrument de dévastation :

« ART. 434, § 3. Quiconque aura volontairement mis le feu à des édifices, navires, bateaux, magasins, chantiers, lorsqu'ils ne sont ni habités ni servant à l'habitation, ou à des forêts, bois taillis ou récoltes sur pied, lorsque ces objets ne lui appartiennent pas, sera puni de la peine des travaux forcés à perpétuité.

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La gravité de la peine est fondée sur la nature du crime qui peut produire d'incalculables dommages. Le feu, mis à une récolte sur pied ou à une forêt, peut se propager au loin et porter la ruine dans toute une contrée. Ce qu'il faut remarquer surtout dans ce paragraphe, outre l'élément de la volonté sans lequel il n'y a point de crime, c'est l'énumération évidemment restrictive des objets indiqués dans ce paragraphe : ce n'est qu'à ces objets que la loi a voulu assurer la garantie de la peine qu'elle prononce, à raison du dommage que leur incendie peut occasionner.

α

488. « ART. 434, § 5. Quiconque aura volontairement mis le feu, soit à des pailles ou récoltes en tas ou en meules, soit à des bois disposés en tas ou en stères, soit à des voitures ou wagons chargés ou non chargés de marchandises ou autres objets mobiliers et ne faisant point partie d'un convoi contenant des personnes, si ces objets ne lui appartiennent pas, sera puni des travaux forcés à temps. »>

Le § 5 ne diffère du précédent que par la nature des objets qui y sont énumérés. Si la peine est moindre, c'est que l'incendie mis à des récoltes en tas ou en meules ne se propage pas comme dans le cas où ces récoltes ou ces bois sont sur pied. Le dommage est moins considérable. Ce n'est néanmoins qu'à des récoltes que ce paragraphe s'applique. Ces récoltes laissées à la foi publique demandaient une protection particulière; les autres objets mobiliers ne rentrent pas dans la même disposition. Que faut-il entendre par récoltes? Tous fruits ou productions utiles de la terre qui, séparés de leurs racines ou de leurs tiges,

par le fait du propriétaire ou de celui qui le représente, sont laissés momentanément dans les champs jusqu'à ce qu'ils soient enlevés et enfermés dans un lieu où ils peuvent être particulièrement surveillés.

Deux additions ont été faites à ce paragraphe. L'une, qui correspond à celle qui a été faite au § 2, a pour objet de punir l'incendie des wagons ou voitures chargés d'objets mobiliers, et ne faisant plus partie d'un convoi de voyageurs. L'autre a eu pour objet, 1° d'introduire le mot pailles pour accorder à cette denrée la même protection qu'aux récoltes, lorsque les pailles sont en tas ou en meules dans les champs; 2° de modifier l'incrimination relative aux tas de bois, de manière que l'incendie soit aussi bien punissable au cas où les bois sont entassés dans un lieu quelconque où ils attendent d'être emmagasinés, qu'au cas où ils sont encore rangés en tas sur les lieux mêmes où ils ont été coupés. Il est évident que, dans l'une et l'autre hypothèse, les tas de bois sont également placés sous la protection de la foi publique.

489. L'un des éléments des deux crimes qui précèdent est que l'objet incendié appartienne à autrui; il était inutile de le mentionner puisque l'incendie, dans ces deux paragraphes, est un attentat à la propriété d'autrui, puisque la loi stipule formellement la condition que l'objet incendié appartienne à un tiers. Il n'en est plus ainsi dans les §§ 4 et 6: ce n'est plus la chose d'autrui que ces paragraphes ont en vue, c'est la propre chose de l'agent, lorsque d'ailleurs l'incendie de cette chose n'est pas un simple abus du droit de propriété, lorsqu'il peut en résulter un préjudice pour les tiers.

« ART. 434, § 4. Celui qui, en mettant ou en faisant mettre le feu à l'un des objets énumérés dans le paragraphe précédent et à lui-même appartenant, aura volontairement causé un préjudice quelconque à autrui, sera puni des travaux forcés à temps; sera puni de la même peine celui qui aura mis le feu sur l'ordre du propriétaire. »

« ART. 431, § 6. Celui qui, en mettant ou en faisant mettre le feu à l'un des objets énumérés dans le paragraphe précédent et à lui-même appartenant, aura volontairement causé un préjudice quelconque à autrui, sera puni de la réclusion; sera puni de la même peine celui qui aura mis le feu sur l'ordre du propriétaire. »

Les motifs de ces deux dispositions, introduites par la loi du 28 avril 1832, ont été exposés par le législateur: « Les contrats d'assurance contre l'incendie et les évaluations trop souvent exagérées dans ces contrats des immeubles qui en sont l'objet ont donné naissance à un crime d'une nature toute particulière. Le propriétaire met lui-même le feu à sa maison pour obtenir de la compagnie avec laquelle il a traité le capital de l'assurance; il importe de réprimer avec sévérité un tel attentat, dont il est si difficile de convaincre les auteurs; car, gardiens de leurs propriétés, ils choisissent le moment qui convient le mieux à leurs coupables projets. » La jurisprudence avait, avant cette loi, assimilé ce crime au crime ordinaire d'incendie, et la peine de mort devait atteindre celui qui avait incendié sa propre maison dans la pensée de dépouiller une compagnie d'assurance, comme celui qui avait incendié la maison d'autrui. Ces crimes ne sont pas les mêmes; ils ne supposent pas la même perversité dans leurs auteurs. On pourrait même soutenir non sans raison que l'incendie d'une ro riété assurée n'est en soi-même u'une simple escroque

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