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nécessité absolue, et de tuer ou blesser même des gens qu'on répute malfaiteurs, par une mesure de justice souveraine que la vraie justice ne peut reconnaître. Il en est autrement si l'attaque a eu lieu, suivant les termes de l'art. 329, pendant la nuit, parce que, dans ce cas, le maître de la maison ne peut apprécier ni ses forces ni son but et qu'il se trouve dès lors en état de légitime défense.

362. Le flagrant délit d'adultère de la femme est aussi pour le mari une cause de provocation :

« ART. 324. Le meurtre commis par l'époux sur l'épouse, ou par celle-ci sur son époux, n'est pas excusable, si la vie de l'époux ou de l'épouse qui a commis le meurtre n'a pas été mise en péril dans le moment même où le meurtre a eu lieu. Néanmoins, dans le cas d'adultère prévu par l'art. 336, le meurtre commis par l'époux sur son épouse, ainsi que sur le complice, à l'instant où il les surprend en flagrant délit dans la maison conjugale, est excusable. »

En principe, ainsi que je l'ai déjà fait remarquer, le meurtre commis par l'un des époux sur l'autre n'est pas excusable. Le devoir des époux est de n'épargner aucun sacrifice pour maintenir entre eux une parfaite union. Cette règle atteint et l'époux qui est l'auteur du meurtre, et celui qui s'en est rendu complice. Mais la loi y a posé une double exception: 1° Si la vie de l'époux, auteur du meurtre, a été mise en péril au moment même où l'homicide a été consommé ce péril excuse le meurtre, lors même qu'il n'aurait pas été dans la nécessité de le commettre pour se défendre. 2o Si le meurtre a été commis par l'époux sur son épouse, ainsi que sur son complice, au moment où il les a surpris en flagrant délit d'adultère dans la maison conjugale. Cette dernière exception est expliquée dans l'exposé des motifs du Code en ces termes : « La loi n'excuse ce meurtre que sous deux conditions: 1° Si l'époux l'a commis au même instant où il a surpris l'adultère : plus tard il a eu le temps de la réflexion et il a dû penser qu'il n'est permis à personne de se faire justice; 2o s'il a surpris l'adultère dans sa propre maison. Cette restriction a paru nécessaire. On a craint que, si le meurtre, commis dans tout autre lieu, était également excusable, la tranquillité des familles ne fût troublée par des époux méfiants et injustes qu'aveuglerait l'espoir de se venger des prétendus égarements de leurs épouses. >>

363. Enfin, la loi a inscrit parmi les faits de provocation un violent outrage à la pudeur:

« ART. 325. Le crime de castration, s'il a été immédiatement provoqué par un outrage violent à la pudeur, sera considéré comme meurtre ou blessures excusables. »

Cette disposition peut, à la première vue, vous sembler inutile. Car l'art. 321 ne considère-t-il pas comme des faits de provocation toutes les violences graves envers les personnes ? Et comment ne pas ranger parmi ces violences les attentats et les outrages à la pudeur? Ces actes constituent donc une excuse légale du meurtre et des blessures. L'art. 325 n'a eu d'autre objet que

d'appliquer cette règle à une blessure particulière qui, si elle n'avait pas été spécialement prévue, aurait pu donner lieu à des doutes.

364. Lorsque l'excuse est admise, la peine dont le crime est passible est atténuée dans les proportions qui suivent :

« ART. 326. Lorsque le fait d'excuse sera prouvé, s'il s'agit d'un crime emportant la peine de mort, ou celle des travaux forcés à perpétuité, ou celle de la déportation, la peine sera réduite à un emprisonnement d'un an à cinq ans ; s'il s'agit de tout autre crime, elle sera réduite à un emprisonnement de six mois à deux ans. - Dans les deux premiers cas, les coupables pourront de plus être mis, par l'arrêt ou le jugement, sous la surveillance de la haute police pendant cinq ans au moins et dix ans au plus. - S'il s'agit d'un délit, la peine sera réduite à un emprisonnement de six jours à six mois. »

Cet article ne donne lieu à aucune observation.

HOMICIDE, BLESSURES ET COUPS NON QUALIFIÉS CRIMES NI DÉLITS.

365. L'homicide et les blessures volontaires sont non-seulement excusables, mais légitimes, lorsqu'ils ont été commandés soit en vertu d'un ordre légal, soit par la nécessité actuelle de la défense. L'ordre légal ou la nécessité d'une légitime défense constituent, non plus seulement des faits d'excuse, mais des faits justificatifs qui effacent toute criminalité.

La première de ces causes de justification est prévue par l'art. 327 :

« ART. 327. Il n'y a ni crime ni délit, lorsque l'homicide, les blessures et les coups étaient ordonnés par la loi et commandés par l'autorité légitime. >>

La loi a dû se borner à poser ce principe sans prévoir tous les cas où il peut être appliqué. Elle soumet la justification de l'agent à une double condition : il faut, d'abord, que l'homicide ait été commis dans un cas où la loi l'autorisait, il faut ensuite qu'il ait été commandé par le fonctionnaire qui avait le droit d'apprécier la nécessité. Il est clair que, sans le concours de l'une et de l'autre de ces deux conditions, la vie des citoyens serait abandonnée aux violences des agents du pouvoir sans aucune garantie. Il est nécessaire de consacrer d'abord le droit et ensuite la légitime application de ce droit. On peut citer comme exemple d'homicide légal le fait du militaire qui, sur l'ordre de ses chefs, tire sur les ennemis pendant la guerre, ou sur des rebelles, pendant les troubles civils. Nous avons déjà parlé de cette cause de justification (n° 180, p. 187).

366. La seconde cause de justification est la nécessité actuelle de la défense:

ART. 328. Il n'y a ni crime ni délit lorsque l'homicide, les blessures et les coups étaient commandés par la nécessité actuelle de la légitime défense de soi-même ou d'autrui. »

« L'homicide est légitime, dit l'exposé des motifs, lorsqu'il est commandé

par la défense de soi-même, soit qu'on ait été frappé ou qu'on se trouve dans un pressant danger de l'être, et que, ne pouvant attendre des secours de la loi, entraîné par l'instinct conservateur de son existence, on repousse la force par la force.» Toutes les législations, en effet, ont considéré ce droit de défense comme un droit naturel, que chaque membre de la société peut revendiquer, lorsque la loi ne suffit pas pour le protéger. Mais quand y a-t-il nécessité actuelle de la légitime défense de soi-même ou d'autrui ? C'est là ce que nous devons examiner. On doit, d'abord, inférer des termes de la loi qu'elle n'a voulu protéger que la défense de la personne, car elle ne parle que de la défense de soi-même ou d'autrui. Aussi, lorsque l'attaque est dirigée contre les biens, comme dans le cas prévu par le 1er § de l'art. 322, l'homicide peut être, dans certaines circonstances, excusable, il cesse d'être justifiable. On doit encore inférer du texte de la loi que la défense, pour devenir légitime, doit être nécessaire, c'est-à-dire commandée par un péril actuel il n'y a, en effet, de nécessité actuelle, que celle où la force appelle la force, où le danger est présent et provoque instantanément la défense. Enfin, cette défense ne peut être légitime qu'autant que l'agression est injuste: ainsi les rebelles contre lesquels la force légale serait employée ne pourraient évidemment invoquer cette exception, puisque, en état de flagrant délit, ils ne peuvent se présenter en état de légitime défense contre l'autorité légale.

L'art. 329 comprend dans les cas de légitime défense les deux cas suivants :

-

« ART. 329. Sont compris dans les cas de nécessité actuelle de défense les deux cas suivants : 1o Si l'homicide a été commis, si les blessures ont été faites, ou si les coups ont été portés, en repoussant pendant la nuit l'escalade ou l'effraction des clôtures, murs ou entrée d'une maison ou d'un appartement habité ou de leurs dépendances; 20 Si le fait a eu lieu en se défendant contre les auteurs de vols ou de pillages exécutés avec violence. »>

Dans les deux cas dont il s'agit, il y a lieu de craindre des viclences contre les personnes où ces violences ont été commises: il y a nécessité actuelle de la défense. Cette défense est légitimée, soit par une escalade ou effraction de nuit, parce qu'une agression de nuit menace les personnes autant que les propriétés, soit par des violences commises même de jour par des voleurs ou des pillards, parce que ces violences établissent l'état de légitime défense.

VINGT ET UNIÈME LEÇON.

367. Je vais essayer de terminer dans cette leçon l'examen des crimes et délits contre les personnes; nous n'avons examiné encore que l'homicide, les coups et les blessures; à côté de ces premiers attentats il en est plusieurs autres, qui ont des caractères particuliers et sont soumis à des règles spéciales. Il importe de déterminer nettement le caractère de chacun d'eux et de préciser les éléments distincts de leur incrimination.

ATTENTATS AUX MEURS.

Le Code comprend sous ce titre et dans la même section l'outrage public à

la pudeur, l'attentat à la pudeur et le viol, l'excitation des mineurs à la débauche, l'adultère et la bigamie Tous ces faits n'ont de commun que leur immoralité ils diffèrent par leur gravité, par les faits qui les caractérisent, par leur but même. Nous suivrons dans leur examen l'ordre même de notre Code.

368. Le premier de ces attentats est l'outrage public à la pudeur:

« ART. 330. Toute personne qui aura commis un outrage public à la pudeur sera punie d'un emprisonnement de trois mois à deux ans et d'une amende de 16 à 200 fr. »

Qu'est-ce qu'un outrage à la pudeur? La loi ne l'a pas défini. Il faut tenir pour constant, d'une part, que cette expression ne peut s'entendre de simples. injures, quelque outrageantes, quelque grossières qu'elles soient, elle ne s'applique qu'à des faits matériels, à des actes; et, d'une autre part, qu'elle renferme toutes les actions contraires aux bonnes mœurs, qui par leur licence ont dû être l'occasion de leur scandale pour l'honnêteté et la pudeur de ceux qui fortuitement ont pu en être les témoins. Ainsi, tous les actes impudiques qui, sans attenter particulièrement à la personne de qui que ce soit, sont de nature à blesser les regards et la pudeur de ceux qui en sont témoins, rentrent dans cette catégorie. Mais il faut que le délit ait été commis publiquement: c'est la publicité qui fait sa criminalité, car c'est le scandale, l'offense à l'honnêteté publique que la loi punit. Cette publicité existe toutes les fois que l'outrage est commis dans un lieu public, ou que, même commis hors d'un lieu de cette nature, il a pu frapper les regards du public.

369. L'art. 331 prévoit l'attentat à la pudeur sans violence :

« ART. 331. Tout attentat à la pudeur, consommé où tenté sans violence sur la personne d'un enfant de l'un ou de l'autre sexe, âgé de moins de treize ans, sera puni de la réclusion. »

Cet article a été introduit dans le Code pénal par la loi du 28 avril 1832. La lei n'avait puni jusque-là l'attentat à la pudeur que lorsqu'il avait été commis avec violence. Il en résultait que la plupart des attentats commis sur de jeunes enfants, n'étant point accompagnés de violences physiques, échappaient à toute répression. C'est là la lacune que le législateur a voulu réparer : il punit la séduction exercée sur les enfants de moins de onze ans, la corruption pratiquée sur leur volonté, l'entraînement criminel qu'ils subissent. Par les mots d'attentat à la pudeur, qui sont peut-être ici assez inexacts puisque l'attentat suppose en général la violence, il faut entendre tous les actes qui attentent à la pudeur de l'enfant, qui ont pour effet de le flétrir et de le corrompre. Mais s'il y a présomption d'une violence morale que l'âge de moins treize ans a fait établir, cette présomption cesse si l'enfant est d'un âge supérieur. Il s'ensuit que l'attentat et l'âge de la victime sont les deux conditions essentielles du crime prévu par l'art. 331.

370. Il faut ajouter que la loi du 13 mai 1863 a introduit dans cet article une modification importante en substituant l'âge de treize ans à l'âge de onze ans.

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On doit applaudir à la pensée morale qui, pour protéger l'enfance contre d'odieux attentats, en prolonge la durée. Il est bien de préserver l'enfant le plus longtemps possible, aussi longtemps qu'il demeure enfant, contre la séduction qu'on ne pratique à son égard que pour le flétrir et le corrompre. Il faut prendre garde néanmoins que, plus on approche de l'âge nubile, et plus il y a lieu de craindre que la volonté ne vienne contredire la présomption de contrainte morale qui est l'élément du délit. Le péril est de confondre l'attentat à la pudeur avec l'immoralité.

371. Un 2o § a été ajouté à l'art. 331.

ART. 331. 2 §. Sera puni de la même peine l'attentat à la pudeur commis par tout ascendant sur la personne d'un mineur, même âgé de plus de treizs ans, mais non émancipé par mariage. »>

Cette innovation rétablit en d'autres termes une incrimination que l'on trouve dans notre ancienne législation, mais que notre législation avait jusqu'ici répudiée, le crime d'inceste. La loi suppose que la contrainte morale que les ascendants peuvent exercer se prolonge au delà de l'âge de treize ans et résulte de la seule autorité personnelle. Toutefois, quand la victime a passé cet âge, n'est-il pas évident que l'attentat sans violence n'est plus qu'une séduction? Ce n'est donc pas seulement l'abus d'autorité qui est puni ici, c'est la séduction personnelle des ascendants, c'est l'inceste, fait odieux sans doute, mais dont la répression ne peut être obtenue qu'en soulevant des scandales plus redoutables peut-être que l'impunité.

372. L'attentat à la pudeur avec violence a plusieurs degrés: sa gravité dépend 1o de l'âge de la victime; 2o du caractère même de l'attentat; 3o de la qualité de l'agent.

« ART. 332. 3 §. Quiconque aura commis un attentat à la pudeur, consommé ou tenté avec violence contre des individus de l'un ou de l'autre sexe, sera puni de la réclusion.

C'est là le premier degré du crime. L'attentat n'a point de but déterminé autre que d'offenser la pudeur de la personne sur laquelle il est exercé : il suffit qu'il ait, par le moyen d'un acte violent, outragé la pudeur, sans autre intention que cet outrage même, pour qu'il rentre dans les termes de la loi. Ainsi il a été jugé que des femmes qui, après avoir dépouillé une autre femme de ses vêtements, l'avaient soumise à de mauvais traitements, étaient coupables d'attentat à la pudeur. Il a encore été reconnu que des ouvriers qui avaient de force procédé à l'examen des parties sexuelles de l'un d'eux s'étaient rendus coupables du même crime. Le Code ne fait aucune distinction entre les attentats inspirés par le désir des jouissances sensuelles et ceux commis par tous autres motifs, tels que la haine, la vengeance ou la curiosité. L'attentat résulte du fait lui-même, quelle que soit l'intention de celui qui le commet. Mais l'attentat reprend ici son caractère distinctif: c'est la violence qui le constitue. L'attentat à la pudeur, lorsqu'il est commis sans violence, n'est pas

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