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qu'ils deviennent un élément du crime. Ainsi, la responsabilité du père envers les tiers, pour les sommes soustraites par son fils au moyen d'une fausse signature, ne fait pas disparaître la nocuité de l'acte. Ainsi, la falsification des registres domestiques. faite en vue d'une production préjudiciable à d'autres, lorsque ces registres sont ensuite produits en vue de ce préjudice, peut devenir la base d'un faux.

Quelle doit être l'influence de la nullité des actes sur le caractère des altérations dont ils sont entachés? « De ce qu'un acte, a dit Merlin, est devenu nul ex post facto par le défaut d'accomplissement des formalités qui devaient suivre sa rédaction, s'ensuit-il que si, dans sa rédaction même, il a commis un faux, ce faux devra rester impuni? Un huissier qui a commis un faux dans son exploit esquivera-t-il la peine due à son crime, en omettant de faire enregistrer cet exploit dans les quatre jours suivants? Coupable en écrivant son exploit, deviendra-t-il innocent par la contravention qu'il se permettra aux règles de son état? Non; pour juger s'il y a faux dans un acte, c'est au moment de la rédaction de cet acte que l'on doit se fixer, et les éléments postérieurs ne peuvent ni créer après coup dans un acte un faux qui n'existe pas, ni en effacer

après coup le faux qui y existe. »> Il y a plus un acte pourrait être nul dans son principe, à défaut des formalités essentiellement prescrites dans sa rédaction, sans que pour cela l'oficier qui l'a rédigé et qui y a commis un faux fût à l'abri des poursuites du ministère public; c'est ainsi que pourrait et devrait être puni le notaire qui en recevant un testament hors la présence des témoins requis par la loi, omettrait d'y insérer la mention expresse, ou que le testateur le lui a dicté, ou qu'il l'a écrit lui-même, ou qu'après l'avoir écrit, il a relu toutes ses dispositions; et il en serait de même d'un acte sous seing privé qui, dans le cas où il doit être fait double, à peine de nullité, n'aurait été écrit que sur une seule feuille. C'est d'après cette doctrine qu'il a été décidé : 1o que la ratification donnée par un plaignant à l'acte qu'il avait dénoncé comme faux ne peut avoir pour effet d'anéantir l'action publique; 2° que le défaut d'affirmation d'un procès-verbal n'empêche pas que le faux commis dans cet acte ne puisse être poursuivi; 3° que la nullité d'une lettre de change signée par un mineur ne fait pas obstacle à ce que le faux commis dans cette signature ne soit incriminé; 4o que la fabrication d'un faux acte sous signature privée constitue le crime, bien que cet acte n'ait pas été fait double et ne puissè dès lors servir de preuve légale de la convention. On, a proposé néanmoins de distinguer entre les actes qui sont atteints d'un vice radical et nuls dans leur principe, et ceux qui, valides au moment de leur rédaction, ne puisent une cause de nullité que dans l'omission des formes qui doivent les revêtir. Dans la première hypothèse, il n'y aurait pas de faux, puisque l'écrit est dénué de toute force. Dans la deuxième, on distinguerait encore si la nullité provient de l'agent ou lui est étrangère. Si c'est l'agent lui-même qui a laissé l'acte tomber par l'omission de ses formes essentielles, on présumerait qu'il a renoncé à s'en servir, et par conséquent que le crime n'a pas été consommé. Ces distinctions judicieuses, posées par la théorie, ne sont point encore entrées dans la jurisprudence.

224. Vous connaissez maintenant les éléments constitutifs du crime de

faux, et vous pouvez parcourir les différentes classes de faits que la loi comprend sous cette incrimination.

La première de ces classes comprend les faux en écriture privée : c'est là ce que l'on appelle le faux simple, celui qu'aucune circonstance n'aggrave. Il est prévu par l'art. 150, qui est ainsi conçu :

ART. 150. Tout individu qui aura, de l'une des manières exprimées par l'art. 147, commis un faux en écriture privée, sera puni de la réclusion.»

Il faut donc recourir à l'art. 147 pour connaître les manières suivant lesquelles le faux en écriture privée peut être commis. Ces modes de perpétration sont les suivants :

« Soit par contrefaçon ou altération d'écritures ou de signatures.

Soit par fabrication de conventions, dispositions, obligations ou décharges, ou par leur insertion après coup dans ces actes. Soit par addition ou altération de clauses, de déclarations ou de faits que ces actes avaient pour objet de recevoir et de constater. »

Parcourons ces différents modes de perpétration du faux.

225. Pour qu'il y ait contrefaçon ou altération d'écritures, il est nécessaire que des écritures, pouvant causer à autrui quelque préjudice, aient été imitées ou falsifiées. Ainsi, la contrefaçon d'un acte qui serait dépourvu de signatures ou qui n'aurait été signé que d'une simple croix, ne rentrerait pas dans les termes de la loi, parce que ce ne sont point là des écritures qui puissent léser les intérêts d'autrui. Ainsi, le fait d'avoir tenu passive et inerte la main d'une personne, pour la confection d'un acte, ne saurait constituer un faux, s'il est établi que la personne avait la volonté de faire l'acte.

226. Il y a contrefaçon ou altération de signatures toutes les fois que l'on souscrit un acte du nom d'une personne à laquelle on l'attribue à son insu. La fabrication d'un nom inconnu peut-elle être considérée comme une contrefaçon de signatures? Il peut sembler que l'expression de la loi n'est pas exacte, car signer d'un nom inconnu ce n'est pas, à proprement dire, contrefaire ou altérer une signature, et cette observation prend quelque consistance lorsque l'on rapproche l'art. 147, qui n'incrimine que la contrefaçon et l'altération des signatures, de l'art. 145 qui, en ce qui touche les faux commis par les fonctionnaires publics, punit en général les faux commis par fausses signatures. Cependant ce serait pousser trop loin le principe de l'interprétation restrictive que d'admettre dans ces deux locutions un sens différent : il est évident que la loi a voulu, dans les deux articles, frapper le même crime, l'altération de la vérité commise par fausses signatures. On peut dire, d'ailleurs, que celui qui signe un nom faux, mais inconnu, contrefait sa propre signature. Il'importe peu, dans tous les cas, que la signature vraie que l'on contrefait soit plus ou moins exactement imitée : ce n'est pas l'exactitude de la reproduction que la loi punit, c'est l'usurpation du nom d'un tiers. Ainsi, il y aurait faux lors même que la personne dont le nom aurait été usurpé ne saurait pas écrire. La question s'est élevée de savoir si l'on peut commettre un faux en signant son propre nom avec le dessein de faire croire à la présence d'un tiers, por

teur du même nom. La solution ne peut être douteuse. La vérité ou la fausseté d'une signature n'est pas une qualité matérielle et absolue, mais bien une qualité relative tout à la fois, à la personne qui trace cette signature et à celle dont cette signature atteste la coopération; d'où il suit qu'une signature n'est vraie qu'autant que l'individu qui l'a tracée est bien celui dont elle offre le nom, et dont elle établit la présence dans l'acte qui la renferme.

227. La fabrication de conventions, dispositions, obligations, ou décharges, a lieu soit par supposition d'écrits, soit par supposition de personnes.

Il y a supposition d'écrits toutes les fois que l'agent fabrique, dans l'intention de le faire passer pour vrai, un acte quelconque, par exemple, lorsqu'il fabrique un faux acte de décès ou de mariage, destiné à soustraire un individu au recrutement, lorsqu'il fabrique un faux diplôme, un faux certificat d'admission au grade universitaire, lorsqu'il contrefait une fausse expédition d'un acte notarié, la copie ou l'extrait d'un acte public ou privé. Il est clair qu'il faut que l'acte supposé soit complet, qu'il puisse en être fait usage, car il ne faut jamais séparer le fait matériel du préjudice qu'il peut causer : c'est la possibilité du préjudice qui rend le fait susceptible d'incrimination,

228. Il y a faux par supposition de personnes lorsque l'on suppose la présence d'une personne dans un acte, pour créer des engagements, soit contre cette personne, soit contre des tiers. L'art. 145 prévoit expressément cette espèce de faux, et l'art. 147, n'ayant pas répété cette incrimination, on avait cru, dans les temps qui suivirent la promulgation du Code, que cette disposition de la loi n'était applicable qu'aux faux commis par les fonctionuaires publics. C'était là une erreur évidente, puisque la supposition de personnes est un mode de fabrication des conventions, et que l'art. 147, en prévoyant en général toute fabrication d'actes, n'a point exclu ce mode. Toutes les fois qu'un individu se présente sous le nom d'un tiers devant un officier public, pour faire une déclaration, donner un consentement ou prendre un engagement que ce tiers seul a qualité pour exprimer, il y a faux, pourvu qu'il résulte de cette supposition de personnes un acte obligatoire et qui puisse devenir préjudiciable. Il faudrait, par conséquent, ranger dans cette classe l'individu qui se présenterait devant un notaire sous le nom d'un tiers, propriétaire d'une maison, pour faire la vente ou la donation de cette maison, l'individu qui se présenterait devant un conseil de révision sous le nom d'un tiers appelé par la loi du recrutement, pour y faire valoir des motifs personnels d'exemption, l'individu qui se présenterait sous le nom d'un tiers au gardien d'une prison pour subir une peine au lieu et place de ce tiers, etc.

229. Il y a faux par insertion après coup de conventions, dispositions, obligations ou décharges dans les actes, toutes les fois que, par une intercalation de dispositions faite dans les actes après leur clôture, on en altère le sens primitif. Toute modification insérée par addition dans un acte à l'insu de l'une des parties et avec l'intention de lui nuire, rentre dans cette disposition de la loi. Cependant, si l'addition ne porte que sur des mots indifférents, et qui ne peuvent produire aucun effet préjudiciable, il est évident que cette

application cesserait. Il ne faut pas d'ailleurs confondre ces intercalations frauduleuses avec les surcharges, interlignes et additions, qui ne contiennent rien de contraire à la vérité et qui sont faites au moment des actes, sans dessein de nuire et dans le seul but de compléter et de préciser toutes les énonciations qu'ils doivent contenir. Les art. 15 et 16 de la loi du 25 ventôse an XI ont déterminé le mode suivant lequel ces additions ou surcharges doivent être faites dans les actes notariés.

230. Le dernier mode de perpétration du faux est celui qui a lieu par additionou altération de clauses, de déclarations ou de faits que les actes avaient pour objet de recevoir et de constater. Je dois faire une première observation : les fausses déclarations, les usurpations d'état, les usurpations de qualités qui n'appartiennent point à la substance de l'acte et que cet acte n'a pas pour objet de consacrer, ne peuvent rentrer dans cette incrimination. En effet, si l'acte, considéré dans sa teneur et dans son but, n'éprouve aucune modification de la fausse mention, elle devient une énonciation indifférente telle serait la fausse qualité ajoutée au vrai nom de l'une des parties. Ce n'est que lorsque l'acte est vicié dans ses éléments, lorsque la fausse mention porte sur les faits qui sont nécessaires à sa vie ou dont la constatation est le but spécial de son existence que l'altération prend un caractère criminel. Ainsi, par exemple, l'enlèvement par un procédé chimique, sur un certificat de bonnes vie et mœurs, d'une note indiquant que le porteur de ce certificat a été refusé par un conseil de révision comme remplaçant, ne constitue point le crime de faux, car cette annotation ne faisait point partie du corps de l'acte qui avait pour objet de constater la bonne conduite de cet individu et non s'il était propre ou non au service militaire. Mais si l'annotation avait été apposée dans le corps d'un certificat de libération du service militaire, comme énonçant la cause de cette libération, la suppression de cette mention, qui est substantielle à cet acte, pourrait constituer un faux. Il peut aussi arriver qu'un corps d'écriture tracé soit en marge, soit à la suite d'un acte, parfait dans sa forme, puisse devenir la matière d'une falsification punissable, quoiqu'il ne s'incorpore pas à cet acte et n'ait pas pour objet d'en altérer le sens, s'il est empreint d'un caractère particulier et distinct et constitue isolément un acte obligatoire. C'est ainsi que les falsifications commises dans des notes écrites à la suite d'un congé, par l'autorité qui l'a délivré, peuvent constituer un faux punissable aussi bien que les altérations commises dans le congé lui-même.

L'altération de faits et de déclarations, dans les actes qui ont pour objet de les recevoir, peut avoir lieu, soit par l'altération même de l'écriture de ces actes, soit par de fausses déclarations faites devant les officiers qui les rédigent. On peut donner, pour exemples des altérations matérielles commises dans les actes, l'altération de la date de l'année qui serait faite dans l'expédition d'un acte de naissance, ou la fausse énonciation dans un pareil acte du nom des père et mère, l'addition dans un acte notarié, plusieurs années après sa rédaction, de la signature d'un des témoins instrumentaires, dont l'omission entraînait la nullité de l'acte, la substitution d'un nom à un autre dans un diplôme donnant le droit d'exercer une profession. On peut citer, comme exemples de fausses déclarations, toutes les déclarations faites frauduleusement

devant un conseil de révision pour obtenir une libération de service ou un remplacement.

231. Le faux en écritures revêt trois circonstances aggravantes, suivant qu'il est commis: 1° en écriture de commerce ou de banque; 2o par des particuliers en écritures publiques; 3° par des fonctionnaires ou officiers publics dans les actes qu'ils sont chargés de dresser ou de recevoir.

232. Le Code a assimilé les faux en écritures de commerce et les faux en écritures publiques.

a ART. 147. Seront punis des travaux forcés à temps, toutes autres personnes qui auront commis un faux en écriture authentique et publique ou en écriture de commerce ou de banque. »

L'exposé des motifs explique cette assimilation en ces termes : « La sûreté et la confiance sont les bases du commerce, et ses actes présentent aussi de grands points de ressemblance dans leur importance et dans leurs résultats avec les actes publics : la sûreté de leur circulation, qui doit être nécessairement rapide, demande une protection particulière de la part du gouvernement. Ces motifs, et la facilité de commettre des faux sur les effets de commerce, ont déterminé la gravité de la peine, qui a pour objet leur altération.»> Qu'est-ce qu'il faut entendre par écritures de commerce ? Il faut entendre, aux termes des art. 189 et 636 du Code de comm. : 1° les écritures qui émanent d'un commerçant; 2° celles qui ont pour objet une opération commerciale. L'art. 638 du même Code porte que « les billets souscrits par un commerçant seront censés faits pour son commerce. » Et l'art. 632 déclare que « la loi répute actes de commerce tout achat de denrées et marchandises pour les revendre, soit en nature, soit après les avoir travaillées et mises en œuvre, ou même pour en louer simplement l'usage; toute entreprise de fournitures, d'agences, bureaux d'affaires, établissements de ventes à l'encan, de spectacles publics; toute opération de change, banque et courtage; toutes les opérations des banques publiques; toutes obligations entre négociants, marchands et banquiers; entre toutes personnes, les lettres de change, ou remises d'argent faites de place en place. » Tels sont les textes que vous devez étudier pour avoir la solution de notre question.

Il en résulte d'abord que la lettre de change, quelle que soit la personne qui l'a souscrite, constitue par elle-même un acte de commerce. Il y a donc faux en écriture de commerce dès qu'une altération est commise dans une lettre de change, lors même qu'elle n'émanerait pas d'un commerçant ou n'aurait pas pour objet une opération de commerce: le caractère de l'acte résulte de sa forme indépendamment de son objet. Il n'en est pas ainsi du billet à ordre: il ne constitue une écriture commerciale qu'autant qu'il porte la signature d'un commerçant ou qu'il s'applique à une opération de commerce. Ainsi, la fausse signature appliquée au bas d'un billet à ordre ne forme qu'un faux en écriture privée, si cette signature n'est pas celle d'un commerçant et s'il ne constitue pas un acte de commerce.

On doit également considérer comme écritures commerciales tous les livres

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