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DES PERSONNES PUNISS., EXCUS. OU RESPONS. (N° 145). l'art. 63, dont nous pouvons prendre connaissance, bien que nous n'ayons d'abord besoin que du § 2.

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« ART. 63. Néanmoins, la peine de mort, lorsqu'elle sera applicable aux auteurs des crimes, sera remplacée, à l'égard des recéleurs, par celle des travaux forcés à perpétuité. Dans tous les cas, les peines des travaux forcés à perpétuité ou de la déportation, lorsqu'il y aura lieu, ne pourront être prononcées contre les recéleurs, qu'autant qu'ils seront convaincus d'avoir eu, au temps du recélé, connaissance des circonstances auxquelles la loi attache les peines de mort, des travaux forcés à perpétuité et de la déportation; sinon ils ne subiront que la peine des travaux forcés à temps. »

Le recel, avons-nous dit, est assimilé au vol, bien entendu quand le recel a eu lieu sciemment, et l'art. 62 le déclare lui-même. Mais quelle est la portée et l'application de ce mot dans l'art. 62? D'abord, il est manifeste, par l'application même de ce mot, que celui qui cache, qui recèle chez lui des objets d'une origine inconnue, n'est nullement responsable, ni pénalement, ni civilement, du tort causé par le délit qu'il ignorait. Au contraire, il est manifeste qu'on punira comme voleur celui qui aura reçu chez lui des objets volés, sachant qu'ils provenaient d'un vol. Point de doute sur ces deux cas. Jusqu'ici, en effet, nous supposons un vol simple, un vol non qualifié, en un mot, un vol que prévoit et définit l'art. 401.

Mais supposez, maintenant, que les objets enlevés et portés par le voleur chez un tiers qui les a reçus, supposez qu'ils aient été volés à l'aide de circonstances que la loi déclare aggravantes, à l'aide de fausses clefs, d'effraction, d'escalade, toutes circonstances qui, à la peine d'une année à cinq années d'emprisonnement, font substituer la peine beaucoup plus forte de cinq à vingt ans de travaux forcés; dans ce cas, le recéleur a reçu la chose sachant qu'elle provenait d'un vol; mais il n'est pas prouvé qu'il ait connu les circonstances d'effraction, d'escalade, de fausses clefs, à l'aide desquelles le vol a été commis. L'auteur principal étant déclaré coupable de vol avec escalade, le recéleur étant déclaré coupable d'avoir caché des objets, sachant qu'ils provenaient d'un vol, mais sans connaître les circonstances du vol, quelle peine lui appliqueronsnous? sera-ce la peine de l'art. 401, c'est-à-dire le punirons-nous seulement à proportion de ce qu'il a connu ? sera-ce, au contraire, d'après l'art. 59, de la peine des travaux forcés à temps? le punirons-nous de circonstances auxquelles peut-être il n'aurait pris part, quand même il les aurait connues, mais de circonstances qu'il n'a pas même soupçonnées? Il faut le dire à regret, nous lui appliquerons la peine des travaux forcés à temps. Cela ne résulte pas seulement du texte de l'art. 62, qui ne mènerait nullement à ce résultat s'il était seul; nous dirions que la loi exigeant que le recel ait eu lieu sciemment, sciemment doit s'entendre non-seulement du fait même du vol, mais de toutes les circonstances qui l'ont accompagné, - et que la même loi exigeant la connaissance du recéleur pour constituer la pénalité, la raison comme la justice veulent aussi qu'on exige cette circonstance pour aggraver cette même pénalité; malheureusement le § 2. de l'art. 63 vient détruire complétement ce raisonnement si simple qui s'appuierait sur l'art. 62 et sur le sens commun.

Dans tous les cas, les peines des travaux forcés à perpétuité ou de la déportation, lorsqu'il y aura lieu, ne pourront être prononcées contre les recéleurs, qu'autant

qu'ils seront convaincus d'avoir eu, au temps du recélé, connaissance des circonstances auxquelles la loi attache les peines de mort, des travaux forcés à perpétuité et de la déportation; sinon, ils ne subiront que la peine des travaux forcés à temps.

Ainsi, la loi exige que le recéleur ait connu, non-seulement le fait même du délit ou du crime, mais aussi les circonstances dont il a été accompagné; elle l'exige, non pas dans tous les cas et pour toutes les peines, mais seulement quand il s'agit d'appliquer aux recéleurs, en l'assimilant au voleur, l'une des peines perpétuelles indiquées dans l'art. 63. Ainsi, c'est seulement quand il s'agira de le punir des travaux forcés à perpétuité ou de la déportation, vous verrez plus tard pourquoi je ne parle pas de la mort, c'est seulement quand il s'agira de le punir de l'une de ces deux peines qu'on exigera qu'il soit convaincu d'avoir eu, lors du recel, connaissance des circonstances qui entraînent l'application de cette peine. Que s'il s'agit au contraire d'une simple peine. temporaire, si grave qu'on la suppose, il résulte à contrario, mais il résulte évidemment du § 2 de l'art. 63, que la loi entend le punir de la même peine que le voleur lui-même, qu'elle entend faire peser sur lui tout le poids des circonstances aggravantes, sans s'inquiéter le moins du monde de savoir s'il les a connues ou ignorées. Cela est d'une monstrueuse injustice, mais cela est établi par le § 2 de notre article.

Trouve-t-on maintenant des motifs, même apparents, pour colorer les décisions de la loi ? J'avoue que je ne le puis pas; la loi semble même prendre à tâche de démontrer l'absurdité du système en y faisant une exception. Ainsi, qu'on pose la question suivante à un homme: Quelqu'un a recélé un objet volé, sachant qu'il était volé, mais dans l'ignorance complète des circonstances aggravantes dont ce vol était accompagné; faut-il appliquer au recéleur l'aggravation de peine? Cet homme ainsi consulté répondra, je crois, non; il pensera sans doute que la connaissance des circonstances aggravantes sera indispensable pour appliquer au recéleur l'aggravation de peine qui en résulte. Quelque parti qu'on prenne, on se décidera sans doute à en adopter un et à y tenir. Eh bien, pas du tout la question ainsi posée et soumise au législateur, il n'y répond ni oui ni non ; il répond oui et non. Oui, l'aggravation sera appliquée au recéleur, même à raison des circonstances qu'il a complétement ignorées, pourvu que cette aggravation n'entraîne pas l'application des peines. perpétuelles; que si, au contraire, la conséquence de cette aggravation est d'entraîner des peines perpétuelles, la conséquence n'aura pas lieu, l'aggravation ne frappera pas le recéleur.

Rien n'est plus bizarre que ce système. Si l'assimilation entre le voleur et le recéleur est raisonnable, si le recéleur, par cela seul qu'il a su recevoir, cacher un objet volé, répond par là même de toutes les aggravations qui ont pu entourer le vol, il faut être conséquent, aller jusqu'au bout et dire que celui qui a caché un objet volé est passible de la peine de mort, si le vol a été commis au moyen d'un meurtre. Ou bien, si on recule, comme le fait la loi, devant l'absurdité de cette conséquence, il faut reconnaître que le principe est faux ; il faut reconnaître que le recéleur, dans la personne de qui la connaissance est exigée, doit avoir connaissance non-seulement du vol même, mais de toutes les circonstances qui l'ont accompagné ; que la même raison qui exige

rait qu'il ait reçu sciemment, milite non-seulement pour le fait, mais pour toutes les aggravations du fait.

Ainsi l'art. 63, dans le § 2, en reculant devant son principe, pour le cas où la peine est trop dure, reconnaît lui-même manifestement l'iniquité de ce principe.

Enfin, dirait-on que le principe, bon pour le cas où la peine n'est que temporaire, deviendrait mauvais et faux pour le cas où elle est perpétuelle ? Nous l'avons déjà dit, et on ne saurait trop le dire, ce qui fait la justice ou l'injustice en matière pénale, ce n'est pas la légèreté, ou au contraire la gravité de la peine; c'est le rapport précis, parfait entre la peine qu'on applique et le fait auquel on entend l'appliquer. Or, si ce rapport manque dans les trois cas prévus par le § 2 de l'art. 63, il manque dans tous les cas; dès que l'assimilation n'est pas toujours vraie, elle est toujours fausse, et c'est ce que nous devons, je crois, déclarer. Voilà pour le cas du § 2 de l'art. 63.

Le § 1o, qui appartient à la rédaction nouvelle, donne lieu aux mêmes critiques, et vient combattre dans sa racine, non plus seulement l'extension d'assimilation dont je viens de parler, mais vient combattre dans son principe, absolument de la même manière, l'assimilation que faisait l'art. 62. Cette critique, que le législateur va faire devant vous de sa doctrine, est encore plus puissante que celle que Montesquieu en a faite. L'art. 62 a pour objet d'établir que celui qui recèle est assimilé au voleur, surtout lorsqu'il a eu pleine connaissance des circonstances qui accompagnent le vol. J'insiste sur cette dernière circonstance; car si la loi assimile le recéleur au voleur, même quand le recéleur n'a pas connu, à plus forte raison, l'assimilation doit être la même quand le recéleur a connu. La loi serait excusable, convenable, si elle punissait comme le voleur le recéleur qui a su tout ce qu'avait fait le voleur. Eh bien, le § 1er de l'art. 63 vient lui-même réfuter cette idée, vient combattre, même dans ce cas, l'assimilation que Montesquieu avait déjà repoussée. Que décide-t-il en fait ?

§ 1er. Néanmoins, la peine de mort, lorsqu'elle est applicable aux auteurs des crimes, sera remplacée, à l'égard des recéleurs par celle des travaux forcés à perpétuité.

Pour poser une hypothèse, supposez un vol commis au moyen d'un meurtre, c'est le cas de l'art. 304, c'est un des cas où la loi punit le vol de la peine de mort,ou le meurtre, si vous voulez, les deux faits sont complexes. Le meutrier, voleur en même temps, dépose le produit du vol dans les mains d'un tiers qui le reçoit, ayant pleine connaissance, non-seulement que l'objet est volé, mais que, pour voler on a tué, on a assassiné le détenteur. Quelle peine appliquerons-nous? Sous le Code de 1810, on eût appliqué la peine de mort, conséquence forcée de l'assimilation établie par les art. 59 et 62 combinés; on eût appliqué la peine de mort, parce que le principe est celui-ci : le recéleur, surtout quand il a connu toutes les circonstances du crime, est assimilé pleinement au voleur. En 1832, on recule devant la conséquence, on s'effraye à cette idée de punir de mort un homme qui n'a pas assassiné; on recule devant la conséquence, et par suite on prend un parti moyen, on déclare que le recéleur, ayant connu le vol et le meurtre, sera puni des travaux forcés à perpétuité. A tout prendre, la loi vaut certainement mieux comme elle est, le législateur a mieux fait d'être inconséquent que d'être cruel jusqu'au bout. Mais il est dif

ficile de se critiquer plus sévèrement qu'on ne le fait dans le § 1er de l'art. 63. De deux choses l'une ou celui qui recèle en pleine connaissance de cause est moins coupable que le voleur, et alors il ne doit pas être frappé aussi sévèrement; ou bien il est aussi coupable, et la même peine doit l'atteindre. Si vous reculez devant cette idée, il ne faut pas seulement reculer quand il s'agit de la peine de mort, mais devant toutes les peines, car l'assimilation est toujours bonne ou toujours mauvaise. On ne sait plus où s'arrêter quand on rapproche les deux paragrapbes de l'art. 63 l'un de l'autre. Voilà un recéleur qui a connu non-seulement le fait coupable, mais encore toutes les circonstances, et cependant, malgré cela, la loi ne veut pas l'assimiler au coupable dans le § 1er de l'art. 63. Voilà un recéleur qui n'a pas connu les circonstances, et cependant dans le § 2 on le punit comme si lui-même les avait commises. Il est impossible de concevoir un pareil résultat; l'un ayant la plus parfaite connaissance, et dans le plus grand détail, de tout ce qui s'est fait, s'étant associé, autant qu'on peut s'associer, après coup, à un acte maintenant commis; et l'autre n'ayant pas connu les circonstances aggravantes, croyant recevoir un objet provenu d'un larcin, tandis qu'il y a eu vol, vol avec escalade; l'un ne sera pas puni comme l'auteur, l'autre sera puni comme lui.

En un mot, si dans la balance pénale le lot du recéleur est aussi lourd, aussi pesant que celui du voleur, il faut que dans tous les cas la peine des deux soit la même. Si, au contraire, le lot du recéleur est plus léger, peu importe qu'il s'agisse d'appliquer la peine de mort ou une peine temporaire. Si le recéleur est moins coupable, moins dangereux, il faut le frapper moins lourdement dans tous le cas, et ne pas entrer dans les inconséquences du système de 1810 où l'on est rentré dans la rédaction de 1832.

Ici se termine tout ce que nous avions à dire sur la matière de la complicité. Dans les articles qui précèdent, nous venons de voir des personnes étrangères à l'accomplissement, à la perpétration physique et matérielle d'un fait, punies comme si elles l'avaient commis. Dans ceux qui vont suivre, au contraire, nous verrons la culpabilité, et par suite la pénalité, appliquées à l'auteur réel du fait, se réduire, se diminuer, s'effacer même devant des distinctions dont les unes sont définies et précisées par le législateur, et dont les autres, au contraire, sont abandonnées à la défense, à la conscience des jurés et des juges.

TREIZIÈME LEÇON.

146. Nous passons aux art. 64 et 65, relatifs à un ordre d'idées qu'on peut considérer comme précisément inverse de celui dont nous venons de nous occuper. Dans les art. 59 à 63 vous avez vu, en vertu des principes de la complicité, la peine de certains crimes ou délits appliquée à des personnes qui réellement, physiquement, n'ont pas pris une part directe à la perpétration du fait pour lequel elles sont punies. Au contraire, dans l'art. 64 nous allons voir l'auteur reconnu, l'auteur déclaré du fait matériel qui a causé un dommage, mis à l'abri de toute espèce de peine. Dans l'art. 65 nous verrons, non pas l'impunité de l'auteur du fait pleinement et complétement proclamée, mais au moins la peine dont la loi frappe en général le fait qui a été commis,

réduite dans des proportions assez fortes, et selon les circonstances dont nous aurons à exposer le détail,

Quel est d'abord l'esprit, le cas de l'art. 64?

« ART. 64. Il n'y a ni crime ni délit, lorsque le prévenu était en état de demeure au temps de l'action, ou lorsqu'il a été contraint par une force à laquelle il n'a pu résister. »

Le principe est fort simple, l'application est délicate en théorie, elle est souvent très-difficile en pratique. Le principe, dis-je, est fort simple : en effet, le dommage matériel, le mal physique, causé par un homme à un autre, si grave, si terrible qu'on le suppose, n'est après tout en lui-même qu'un malheur à déplorer; pour qu'il y ait de plus un crime à punir, pour que l'intervention de la justice pénale à propos de l'acte nuisible soit légitime, il faut dans l'auteur du fait, dans l'agent qu'on veut punir, une condition essentielle, c'està-dire la volonté. Et quand je dis volonté, j'entends avec le législateur une volonté qui sait et qui peut; d'un côté, j'entends intelligence, de l'autre, liberté; intelligence de l'acte auquel on concourt, et liberté de s'en abstenir : telles sont les deux conditions dont le concours est nécessaire dans l'agent, dans l'auteur du fait pour légitimer à son égard l'application d'une peine quelconque. Ces deux conditions sont fort claires; mais les cas que peut embrasser chacune d'elles sont difficiles à déterminer, soit d'avance et en théorie, soit après coup et dans la pratique. Je n'entends pas d'ailleurs entrer ici dans les développements fort étendus que présenteraient les questions soulevées par les deux parties de cet article. J'indiquerai cependant la plupart de ces difficultés.

Ainsi, à la condition d'intelligence exigée dans l'auteur du fait par la première partie de l'art. 64 se rattachent les discussions fameuses soulevées sur la criminalité, sur la culpabilité des actes commis, soit en état d'ivresse, soit en état de somnambulisme, soit enfin dans l'état qu'on appelle généralement état de monomanie.

De même, à la question de liberté se rattachent, 1° les cas de contrainte physique; 2o les cas de contrainte morale, et, parmi ces derniers, la question fort délicate et fort débattue de l'obéissance passive, c'est-à-dire de l'imputabilité morale et pénale des actes faits par un inférieur en obéissant à son supérieur, et notamment dans le cas, dans les règles de la hiérarchie militaire.

Disons quelques mots de ces diverses questions, sans espérer les présenter avec tous les détails qu'elles demanderaient.

147. Relativement à l'acte commis dans l'état d'ivresse, il n'y a rien de plus discordant, rien de plus divergent que les opinions ou plutôt les décisions émises relativement à ces actes par les diverses législations auxquelles nous pouvons recourir.

Ainsi, vous trouvez dans les lois romaines quelques textes qui considèrent l'ivresse comme constituant une sorte d'excuse, une cause d'atténuation de la peine encourue. Ces textes ne prononcent pas, sans doute, l'impunité d'un tel fait; mais tous paraissent voir dans l'ivresse, sans entrer d'ailleurs dans des

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