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DOUZIÈME LEÇON.

141. Nous avons examiné les divers cas de complicité détaillés dans l'art. 60, et se composant d'actes dont les uns sont antérieurs, les autres simultanés, quelques autres enfin postérieurs au crime ou au délit. Nous avons vu qu'en général, et sauf quelques exceptions indiquées, l'art. 59 déclarait applicable au complice la même peine qu'à l'auteur principal. C'est sur ce dernier point que nous devons encore nous arrêter un instant, avant de passer à la dernière espèce de complicité proprement dite, résultant du recel ou des actes analogues. Avant donc d'examiner les art. 61, 62 et 63, qui doivent terminer la matière de la complicité, fixons-nous complétement sur le sens de l'art. 59, relativement à une question importante et débattue. Nous avons déjà vu dans quel sens il fallait entendre et appliquer, au moins dans un assez grand nombre de cas, l'identité de peine entre l'auteur principal et le complice; nous avons vu que cette identité devait s'entendre de la même peine de droit, mais non pas nécessairement du même degré de pénalité de fait. Nous avons vu aussi quelle serait en cette matière l'influence d'une excuse ou de circonstances atténuantes déclarées par le jury, au profit soit de l'auteur principal, soit du complice.

Mais il est dans le droit certains cas dans lesquels la pénalité, infligée ordinairement et en général à certains crimes, s'augmente, s'aggrave, non pas à raison de circonstances qui ont accompagné le crime même, mais à raison d'une qualité tout à fait inhérente, tout à fait personnelle à l'auteur de ce crime. Ainsi nous savons déjà que, quand le crime ou le délit se trouve frappé d'une pénalité plus forte, à raison de circonstances qui sont inhérentes à l'acte lui-même, nous savons déjà que cette aggravation de peine doit retomber sur le complice, au moins lorsqu'il a connu, et sans doute aussi, avons-nous dit, bien qu'à regret, et sans doute aussi, dans l'esprit de la loi, lorsqu'il n'a pas connu l'existence de ces circonstances. Mais autre chose que des circonstances aggravantes proprement dites, par exemple, l'effraction, les fausses clefs, ou autres moyens pareils employés dans un vol; autre chose est des circonstances aggravantes qui, ne tenant en rien à l'exécution du crime en lui-même, se rattachent exclusivement à la personne de celui qui l'a commis. Des exemples assez fréquents des cas où la question s'élève vous en feront mieux sentir le sens et l'importance.

Ainsi, dans le cas de l'art. 13 de l'ancien Code pénal de 1810, la loi ajoutait le supplice de l'amputation de la main à la peine de mort dont elle frappait le parricide dans l'art. 302. Sous l'empire de cette loi s'est présentée plusieurs fois la question de savoir si le complice du parricide devait, aux termes de l'art. 59, subir, avant la peine de mort, celle de l'amputation de la main, aux termes de l'art. 13. La suppression de cette pénalité a enlevé, sous ce rapport, tout intérêt à la question. Cependant, sous une autre face, on pourrait encore trouver de l'intérêt à demander si le complice du parricide sera nécessairement puni comme lui. Mais ce cas, qui ne se présente que fort rarement, exigerait, pour être bien compris, d'assez longues explications; bornons-nous à

dire que la question s'est présentée sous l'ancien art. 13, et prenons d'autres cas très-simples ou elle pourra se présenter encore.

Dans l'art. 147 du Code pénal, on dit que le faux en écriture publique est puni de la peine des travaux forcés à temps; on suppose dans cet article le faux commis par un coupable ordinaire; dans les art. 145 et 146, le faux commis en écriture publique, par un fonctionnaire public altérant ou dénaturant les actes de son ministère, est puni de la peine des travaux forcés à perpétuité. Ici, vous le voyez, les deux faits matériels sont identiques; que le faux dans un acte public ait été commis ou par un officier public ou par un particulier, c'est toujours au fond le même crime, le crime de faux; seulement, dans le cas des art. 145 et 146, la pénalité s'aggrave dans une proportion très-forte, à raison de la qualité du fonctionnaire public qui se rencontre dans l'auteur du fait. De là la question de savoir, et cette question s'est présentée souvent, si, en cas de faux commis par un officier public dans un acte de son ministère, la peine applicable au complice qui n'est pas officier public sera celle des art. 145 et 146, ou celle de l'art. 147; si l'immense aggravation de peine, que les deux premiers articles font dépendre d'une qualité toute personnelle à l'auteur principal, pèsera sur le complice, auquel cette qualité n'appartient pas. De même dans l'art. 317, que nous avons déjà cité, sont exposées les peines indiquées pour l'avortement; la peine, s'il s'agit d'un médecin, chirurgien, officier de santé, est celle des travaux forcés; s'il s'agit d'un particulier, la peine est celle de la réclusion. Même question dans ce cas, si l'avortement a été causé, procuré par un homme de l'art, mais aidé, assisté par un complice auquel cette qualité n'appartient point; la peine des travaux forcés doit incontestablement être appliquée au premier, mais appliquerons-nous la même peine au second, ou ne le frapperons-nous que de la peine de la réclusion? Enfin, dans les art. 332 et 333, il est question du crime de viol; dans le premier, ce crime est puni des travaux forcés à temps, et quelquefois même du maximum des travaux forcés à temps, quand le crime a été commis ou tenté sur la personne d'un enfant de moins de quinze ans. Au contraire, dans l'art. 333, on déclare que, si le coupable est un ascendant, un instituteur, un domestique de la personne sur laquelle le crime a été commis, la peine, au lieu d'être celle des travaux forcés à temps, aux termes de l'article précédent, sera celle des travaux forcés à perpétuité. L'art. 333 indique d'ailleurs d'autres qualités que celles d'ascendant, d'instituteur, de domestique. Même question sur ce dernier cas, celle de savoir si, lorsque le crime a été commis à l'aide d'un complice, la peine applicable au complice, auquel n'appartiennent point les qualités de l'art. 333, doit cependant s'aggraver, à raison d'une qualité toute personnelle à l'auteur du crime.

Vous le voyez, une haute importance s'attache à ces questions que la pratique a souvent présentées, et qui sont destinées sans doute à être soulevées bien des fois. Malheureusement la jurisprudence a plus d'une fois varié sur quelques-unes, et, à l'égard de celles sur lesquelles elle paraît fixée, elle l'est dans un sens auquel il est bien difficile de s'attacher.

Ainsi, sur la question du parricide, la Cour de cassation a décidé que l'amputation préalable, sous l'ancien art. 13, devait s'appliquer au complice aux termes de l'art. 59.

De même, dans le cas des art. 332 et 333, elle a décidé que le complice d'un viol accompli ou tenté par l'une des personnes de la qualité désignée dans l'art. 333, devait subir, quoique n'ayant pas cette qualité, la conséquence que la loi y attachait dans l'art. 333.

Dans le cas d'avortement, je ne sache pas que la question se soit présentée ; mais les solutions précédentes mèneraient au même résultat.

Au contraire, dans le cas de faux, relativement aux art. 145, 146 et 147, la jurisprudence a varié deux ou trois fois; on a d'abord décidé que le simple particulier, complice d'un faux commis en écriture publique par un officier public, serait puni de la peine des travaux forcés à perpétuité; mais quatre ou cinq arrêts postérieurs ne lui ont appliqué que l'art. 147, c'est-à-dire la peine des travaux forcés à temps. Enfin, des décisions plus récentes ont encore appliqué à ce cas le texte de l'art. 59, et appliqué au complice la même peine qu'à l'auteur principal, encore bien que l'aggravation de peine dans la personne de l'auteur principal tînt uniquement à une qualité tout individuelle. Je ne sais si ces décisions rigoureuses sont bien conformes à l'esprit de la loi; je ne sais s'il est possible de les concilier avec d'autres décisions bien constantes qu'on adopte et qu'on prononce tous les jours sur l'application de l'art. 59. L'argument unique pour appliquer au complice l'aggravation de peine, tenant à une qualité personnelle à l'auteur principal, l'argument unique est celui-ci : l'art. 59 déclare, sans distinction ni exception, qu'on doit appliquer au complice la même peine qu'à l'auteur principal; donc, si l'auteur principal est passible de la mutilation prescrite par l'art. 13, des travaux forcés à perpétuité prononcés dans les art. 146 et 333, peu importe que cette aggravation tienne à des circonstances qui lui sont propres; la même peine doit dans tous les cas être appliquée à son complice. Certainement l'art. 59 favorise assez cette opinion, certainement, pris à la lettre, il paraît autoriser ce résultat. Mais cependant est-ce bien là ce qu'a voulu, ce qu'a dû vouloir le législateur? est-ce bien dans cet esprit que l'art. 59 a été rédigé? Quelle a été sa pensée? Elle est fort simple : dans une idée que déjà il est permis de trouver très-rigoureuse, le rédacteur de l'art. 59 a établi une assimilation complète entre le complice d'un fait et l'auteur même du fait; il a voulu, par une disposition générale, s'épargner la peine de répéter, après chaque article relatif à un crime, que la peine prononcée contre l'auteur de ce crime serait applicable à son complice. L'art. 59, allant déjà bien loin selon moi, a dit en un mot que celui qui avait encouragé, aidé, facilité le crime, devait être traité comme si lui-même l'avait commis, comme si lui-même en eût été l'auteur; que dès lors la peine portée pour l'auteur d'un crime serait également appliquée à son complice. Mais déclarer que celui qui a aidé, encouragé, facilité un crime, doit être réputé l'avoir commis lui-même, doit être traité comme si lui-même l'eût commis, c'est déjà sans doute aller bien assez loin. Or, dans la question qui nous occupe, et avec la solution qu'on y donne en général, il est évident qu'on va plus loin; dans l'espèce des art. 13, 147, 317 et 333, on punit le complice, non pas comme on le punirait si lui-même eût commis ce crime, mais on le punit d'une manière infiniment plus grave. Si lui-même eût commis l'assassinat, cet assassinat n'étant pas celui de son père, il ne serait pas parricide; si lui-même eût commis le faux, n'étant pas officier public, i

ne serait puni que des travaux forcés à temps, et ainsi de suite. Pourquoi, lorsqu'il a, non pas commis le crime, mais encouragé, mais aidé, facilité la perpétration, serait-il puni plus rigoureusement que s'il y eût mis la main, et cela à raison d'une qualité qui lui est complétement étrangère? Je le répète, si la lettre de l'art. 59 paraît, on ne peut le nier, favorable au système de rigueur que la jurisprudence a généralement suivi, il est bien difficile de penser que tel ait été véritablement l'esprit de l'article; il est bien difficile de ne pas supposer que ces cas tout spéciaux, tout particuliers, ces cas fort rares des quatre ou cinq articles que nous avons cités, aient échappé à l'extrême généralité de la rédaction de l'art. 59.

Mais de plus, si l'on veut s'attacher à la lettre de l'art 59, et faire abstraction, de ce que je crois être bien certainement son but et son esprit, il faudrait s'y attacher d'un bout à l'autre, et c'est ce qu'il est impossible de faire, ce que personne n'a jamais fait. Ainsi l'art. 59 déclare que la même peine subie par l'auteur principal sera infligée au complice, et on l'applique en ce sens que l'aggravation de peine résultant d'une circonstance toute personnelle, toute spéciale au premier, est également appliquée au second. Eh bien, maintenant, supposons que des circonstances toutes spéciales, toutes individuelles à l'auteur principal, aient déterminé dans la loi, non point une aggravation, mais au contraire une diminution de peine en faveur de l'auteur principal, et voyons si l'on décidera que cette diminution profite au complice. Si l'on veut appliquer l'art. 59 dans toute la précision de sa lettre, si l'on veut l'appliquer, en quelque sorte, les yeux fermés, il faudrait que, toutes les fois que par une circonstance, même spéciale, la peine se trouverait soit aggravée, soit diminuée à l'égard de l'auteur principal, cette aggravation devrait nuire, cette diminution devrait profiter au complice. Ce sera sans doute un système assez peu raisonnable, mais ce sera du moins un système conséquent; ce sera, puisqu'on veut le faire ainsi, une application précise, littérale de l'art. 59. Supposons donc que l'auteur principal d'un crime soit dans l'un des cas d'excuse que la loi a déterminés ; qu'il s'agisse par exemple, du cas de meurtre commis par le mari dans l'hypothèse de l'art. 254, c'est-à-dire dans celle du flagrant délit d'adultère commis dans la maison conjugale, décidera-t-on que, parce que dans ce cas le meurtre est excusable, à raison d'une circonstance toute personnelle au meurtrier offensé, l'allégement, la diminution de peine qui profite à l'auteur principal profitera au complice? Personne ne l'a jamais proposé. De même, le jury a déclaré que l'auteur principal était coupable, mais il a ajouté qu'il existait en sa faveur des circonstances atténuantes; ces circonstances atténuantes, qui, aux termes de l'art. 463, diminuent la peine dans une forte proportion, au profit de celui à l'égard duquel on les a déclarées, ces circonstances atténuantes profiteront-elles au complice ? Non, certes, et la raison en est simple: ces circonstances atténuantes sont essentiellement personnelles, elles ont été déclarées à l'égard de l'auteur principal, et non point à l'égard du complice. Ces circonstances atténuantes que le jury a reconnues, ce sont peut-être les sollicitations, les provocations, les promesses qui constituent la complicité, aux termes de l'art. 60, et qui ont déterminé l'auteur principal, à l'instigation du complice; il serait par trop absurde que la diminution de peine prononcée dans ce cas au profit de l'auteur principal, lorsque

c'est le complice qui l'a encouragé et déterminé au crime, il serait par trop absurde que cette diminution de peine profitât au complice.

Je prends des circonstances encore plus spéciales, plus individuelles, plus personnelles à l'auteur même, et je vois quelle application la loi a pu en faire. Nous allons voir bientôt, dans les art. 66 et 67, que, lorsqu'un accusé est âgé de moins de seize ans, et que le jury le déclare coupable d'avoir agi avec discernement, alors, à raison de la faiblesse de l'âge, de l'inexpérience qu'elle peut laisser supposer, il y a lieu, non pas sans doute à acquittement, puisque le discernement a été déclaré, mais bien à une réduction très-forte, très-sensible dans la peine. Vous trouverez les proportions de cette réduction établies dans l'art. 67. Voilà bien dans ce cas une diminution de peine accordée par la loi, à raison d'une circonstance essentiellement personnelle à l'auteur principal du fait, c'est à savoir de son âge. Déclarera-t-on dans ce cas, par application de l'art. 59, que l'auteur principal d'un crime qui emportait la peine de mort, les travaux forcés à perpétuité, ou autre peine de cette gravité, n'étant à raison de son âge, condamné par la cour d'assises qu'à un emprisonnement plus ou moins long, déclarera-t-on alors, par application de l'art. 59, que la peine de l'auteur principal devant être appliquée à son complice, le bénéfice de la réduction de peine prononcée au profit du mineur de seize ans sera applicable au complice? La loi, dans l'art. 63, déclare la négative de la manière la plus précise; elle déclare en termes implicites, mais qui n'ont par là même que plus de force, elle déclare que cette réduction de peine est absolument étrangère au complice. Pourquoi cela? Évidemment parce que la circonstance spéciale, personnelle, individuelle, ne peut entrer en ligne de compte dans le calcul de la peine.

Enfin voilà un dernier exemple. Nous avons vu que, quand il s'agit de crimes contre les personnes, la relation de parenté qui unit le coupable avec la victime du crime est une cause d'aggravation dans la peine; tel est le cas du parricide dans l'art. 13; tel est encore, dans d'autres articles, le cas de violence, de voies de fait commises par un descendant envers son ascendant; dans ces cas la peine s'aggrave, à raison des liens de parenté qui unissent le coupable avec la victime. Au contraire, quand il s'agit de certains attentats contre la propriété, quand il s'agit de vol, ces mêmes liens, cette même parenté, qui, dans l'espèce de l'art. 13, motivait une aggravation de peine, viennent motiver non pas seulement une réduction, mais même une suppression de la peine. La position est donc identique, mais inverse. De même que la loi punit d'une peine beaucoup plus sévère à raison de cette qualité le fils parricide, ou le fils qui lève la main contre l'auteur de ses jours; de même elle dispense de toute pénalité, dans l'art. 380, le fils qui a dérobé au père, comme le père qui a dérobé au fils, et quelques autres personnes. En un mot, à un proche degré de parenté, dans les cas déterminés par l'art. 380, on déclare que les soustractions frauduleuses ainsi commises entre proches parents, comme mari et femme, ne donnent lieu à aucune action pénale. Est-ce à dire que le complice d'une pareille soustraction pourra invoquer le bénéfice de l'art. 380, en disant que, comme aucune peine ne peut être appliquée à l'auteur principal, que, comme l'auteur principal n'a pas volé, que, comme le complice, aux termes de l'art. 59, ne peut être puni que de la même peine quel'auteur

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