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mentait d'heure en heure l'attente de l'issue de ce grand procès, on fut forcé de remettre l'audience, au sortir de laquelle plusieurs pairs furent insultés par les groupes qu'ils eurent à traverser. M. de Sussy, pair de France et colonel d'une légion, y fut grièvement blessé.

21 décembre. Le lendemain, M. Madier de Montjau reprenant la réponse de l'accusation, protesta contre les éloges donnés par la defense aux ministres de Charles X, à des actes blåmables de la restauration; il repoussa, au nom de la nation, l'idée qu'elle eût conspiré quinze ans contre la dynastie déchue, et rappela sommairement les griefs résultant des débats contre les quatre ministres. M. de Martignac répliqua encore, en s'excusant, en excusantses collegues du reproche d'avoir pu offenser l'opinion nationale, et les accusés d'avoir outré la portée de l'art. 1 4 de l'ancienne Charte. Les autres défenseurs u'ajoutèrent que peu de mots à sa réplique. Les accusés renoncèrent au droit de reprendre la parole, et M. Béranger déclara, au nom des commissaires de la Chambre des députés, 6, que leur mission était finie.

• La vôtre va commencer, dit-il en s'adressant à la Cour : la résolution de la Chambre des députés est sous vos yeux, le livre de la loi y est également, il vous trace vos devoirs; le pays attend, il espère; il obtiendra bonne et sévère justice. >

Après quoi, M. le président ayant proclamé d'une voix solennelle la clôture des débats, on fit sortir les accusés, et la Cour se retira dans la grande galerie, dite de Rubens, pour en défibérer.

Il était environ deux heures de l'après-midi lorsque l'audience publique fut levée. La délibération de la Cour fut longue, moins par dissentiment d'opinions, dit-on, qu'à cause des questions à poser.

La Cour avait d'abord décidé que, sans s'arrêter au réquisito ́re des commissaires chargés de soutenir l'accusation, il ne serait pas posé d'autre question que celle de trahison, à définir dans l'absence d'une loi spéciale, question unique, qui fut posée séparément à l'égai ₫ de chaque accusé, et qui donna lien à deux tours d'opinion, où tous les pairs forent successivement appelés à émettre leur vote à haute

voix. Il ne se trouvait plus alors qu'un nombre de 156 votans. La culpabilité fut prononcée, pour les quatre accusés, à une majorité de 132 à 136, voix contre 20 à 24. La délibération suspendue pen ́dant une heure, reprise vers six heures, pour déterminer l'application de la peine, offrit plus de différence dans l'énoncé et le résultat des votes.

Une forte majorité (128) s'était prononcée, contre M. de Polignac, pour la déportation; quatre voix seulement pour l'application de la peine capitale, le reste pour une prison perpétuelle. Il y avait eu à l'égard de M. de Peyronnet 87 voix pour la prison perpétuelle, 68 pour la déportation, et une pour la détention limitée; sur M. de Chantelauze, 138 voix pour la prison perpétuelle, 14 pour la déportation, et 4 pour une détention limitée; sur M. de Guernon-Ranville, 140 voix pour la prison perpétuelle, et 16 pour la déportation.

L'arrêt, rédigé et signé séance tenante par tous les pairs, la Cour rentra en audience publique à dix heures du soir : la plupart des auditeurs du matin attendaient le résultat de cette délibération, c'est-à-dire l'arrêt qu'il faut lire en entier pour en saisir l'esprit.

Il est dit, dans le considérant, que, par ses ordonnances du 25 juillet, la Charte constitutionnelle de 1814, les lois électorales qui assuraient la liberté de la presse, avaient été manifestement violées; que le pouvoir royal avait usurpé la puissance législative, que les accusés avaient contre-signé ces actes, dont ils reconnaissaient eux* mêmes l'illégalité; qu'ils s'étaient efforcés d'en procurer l'exécution, et qu'ils avaient conseillé au Roi de déclarer la ville de Paris en état de siége, pour triompher, par l'emploi des armes, de la résistance légitime des citoyens, actes qui constituaient le crime de trahison prévu par l'art. 56 de la Charte de 1814; et d'après ces considéraus, la Cour déclarait les quatre accusés coupables du crime de trahison; mais comme aucune loi n'avait déterminé la peine de la trahison, la Cour, se voyant dans la nécessité d'y suppléer, considérant à l'égard du prince de Polignac qu'il n'existait hors du territoire continental de la France aucun lieu où les condamnés à la peine de la dé

portation puissent être transportés et retenus, le condamnait à la prison perpétuelle, le déclarait déchu de ses titres, grades et ordres, frappé de mort civile, comme de tous autres effets de la déportation. Les trois autres accusés, condamnés à la prison perpétuelle, étaient déclarés en état d'interdiction légale et pareillement déchus de leurs titres, grades et ordres, et tous quatre solidairement condamnés aux frais du procès (1). (Voy. l'Appendice.)

On avait de vives craintes sur l'impression que la connaissance de cet arrêt pouvait produire dans le public. Des masses de peuple, poussées par des agitateurs sortis des sociétés populaires, s'étaient portées dès la veille aux avenues du Luxembourg en demandant la tête des ministres. Leur exaspération n'avait été calmée ni par les proclamations des deux préfets de la capitale, ni par les ordres du jour du général Lafayette, qui annonçaient franchement l'intention de protéger le jugement et d'assurer le respect dû aux lois, ni par l'empressement de la garde nationale accourue de tous les arrondissemens, et même de la banlieue, pour maintenir l'ordre public; vingt-cinq à trente mille hommes en armes ne rassuraient pas le gouvernement contre l'effet qu'une peine trop modérée pouvait produire sur la multitude, et même sur la garde nationale. On craignait de voir souiller le seuil du temple. de la justice du sang des accusés, si on ne promettait leurs têtes à l'échafaud.

Deux heures après la clôture des débats, vers quatre heures et demie, pendant que la Cour délibérait sur le sort des accusés, son président, le baron Pasquier, ayant donné l'ordre de les reconduire à Vincennes, le général Lafayette fit lire cet ordre à la garde nationale de service au petit Luxembourg, et sous les armes. Bientôt après, car on tepait à ce que la translation eût lieu en plein jour, les accusés passèrent au travers des rangs de cette troupe étonnée, mais silencieuse, et furent mis dans une voiture qu'on tenait prête

(1) Quant aux ex-ministres absens, MM. de Montbel, d'Haussez et Capelle, un arrêt rendu le 11 avril 1831, d'après l'instruction de la contumace, les a condamnés à la prison perpétuelle, etc., etc,

(c'était une calèche du ministre de l'intérieur) à la porte du guichet de la geôle; on était venu à bout d'en écarter la foule. La voiture fut immédiatement dirigée par ia rue de Vaugirard et les boulevards, sous l'escorte d'un escadron de cavalerie commandé par le général Fabvier, que le ministre de l'intérieur accompagnait, étant lui-même à cheval. On alla ainsi sans être inquiété, au travers de quelques groupes de curieux jusqu'à Vincennes, où les prisonniers furent remis à 6 heures du soir à la garde du général Daumesnil. On ne leur lut l'arrêt de la Cour (M.Cauchy, archiviste de la Chambre des pairs) que le lendemain matin; M. de Polignac (1) seul en parut particulièrement affecté, sans doute à cause de la différence de la peine qui le retranchait de la société, et semblait rompre les liens qui pouvaient lui faire supporter la vie. Huit jours après (le 30 dó cembre) tous quatre furent conduits au fort de Ham, et pendant ce voyage aussi on jugea prudent de les faire protéger par une escorte considérable, contre l'animosité populaire passée de Paris dans les provinces.

Leur départ du Luxembourg avait d'abord causé plus de surprise que d'irritation; les rassemblemens qui s'étaient formés dans les rues adjacentes au Luxembourg avaient été dissipés: la nuit avait été calme, on n'entendait que le mouvement sourd des patrouilles de troupes et de garde nationale, et des piquets nombreux qui stationnaient autour de grands feux allumés sur les places publiques; mais le lendemain, quand le prononcé de l'arrêt fut mieux et généralement connu par la lecture des journaux, il se manifesta dans plusieurs quartiers à la fois, surtout aux environs du Luxembourg et du Palais-Royal, des symptômes d'agitation, précurseurs d'une crise plus alarmante que celles des jours précédens. Le préfet de la Seine (M. Odilon-Barrot), et le général en chef des gardes nationales du royaume (le général Lafayette), avaient préparé et fait publier

(1) M. de Po'ignac, veuf d'une anglaise fort riche (miss Campbell), en avait épousé une autre. Il avait quatre enfans, et sa femme venait d'accoucher pendant le procès même.

des proclamations, dans lesquelles ils professaient et proclamajent le besoin « de défendre la capitale contre la violence et l'anarchie; de ⚫protéger la sûreté des familles et des propriétés, d'empêcher que «sa révolution ne fût souillée par des crimes.» Ces proclamations, adressées au peuple par des hommes populaires, ne calmèrent point l'irritation excitée dans plusieurs quartiers populeux; de tous côtés se répandaient les bruits les plus alarmans: ici qu'on allait reprendre les ministres à Vincennes, que des postes étaient désarmés, qu'une partie de la troupe fraternisait avec le peuple, que l'artille rie parisienne, stationnée dans le Louvre, avait livré ses pièces, que les élèves des écoles allaient se mettre, comme en juillet, à la tête des ouvriers; qu'il fallait obtenir les conséquences de la révolution, l'abolition de la Chambre des pairs, la dissolution de celle des députés, le suffrage universel, et qu'on allait enfin proclamer la république. Cependant la garde nationale, quoique harassée par un service de huit jours, se rendait encore au rappel : ses patrouilles nombreuses, ses bataillons agissant dans le plus parfait concert avec la garde municipale et les troupes de ligne, dispersèrent les masses, se saisirent de plusieurs chefs d'émeute, et le mouvement insurrectionnel se trouva tout à coup arrêté ou remis encore à d'autres temps. Les élèves des écoles, qu'on poussait à la révolte, firent une proclamation dans laquelle ils témoignaient l'intention de maintenir l'ordre, tout en réclamant aussi l'exécution des promesses de juillet, proclamations qui semblaient mettre le gouver nement dans les écoles, comme l'empire à Rome aux mains des prétoriens, que le préfet de la Seine avait jugé utile de publier, et que personne ne voulut blåmer pour ne pas priver ia tranquillité publique d'une pareille protection.

Le même jour, en effet, trois à quatre mille de ces écoliers' se réunirent sur la place du Panthéon, se présentèrent à la douzième légion, qui leur servait comme d'escorte; ceux de l'Ecole Polytechnique en uniforme, ceux des autres écoles avec leurs cartes à leurs

(1) Le proces Sambue (avril 1831), a prouvé ces complots.

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