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Il faut des observations plus fines qu'on ne pense , pour s'assurer du vrai génie et du vrai goût d'un enfant , qui montre bien plus ses desirs que ses dispositions, et qu'on juge toujours par les premiers , faute de savoir étudier les autres. Je voudrois qu'un homme judicieux nous donnât un traité de l'art d'observer les enfans. Cet art seroit très-important à connoître ; les peres et les maîtres n'en ont pas encore les élémens.

A douze ou treize ans les forces de l'enfant se développent bien plus rapidement que ses besoins. Le plus violent, le plus terrible ne s'est pas encore fait sentir à lui ; l'organe même en reste dans l'imperfection, et semble pour en sortir que sa volonté l'y force. Peu sensible aux injures de l'air et des saisons, sa chaleur tiaissanre lui tient lieu d'habit, son appétit lui tient lieu d'assai. songement; tout ce qui peur nourrir est bon à son âge ; s'il a sommeil, il s'étend sur la terre et dort , il se voit par-tout entouré de tout ce qui Ini est nécessaire ; aucun besoin imaginaire ne le tourmerte ; l'opinion ne peut rien sur lui ; ses desirs ne vont pas plus loin : non-seuement il peut se suffire à lui-même , II. Partie.

I

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a de la force au-delà de ce qu'il lui faut ; c'est le seul tems de sa vie où il sera dans ce cas,

Que fera-t-il donc de cet excédent de facultés et de forces qu'il a de trop à présent et qui lui manquera dans un au. tre âge ? Il tâchera de l'employer à des soins qui lui puissent profiter au besoin. Il jertera , pour ainsi dire, dans l'avenir le superflu de son être actuel : l'enfant robuste fera des provisions pour l'homme foible, mais il n'établira ses magasins ni dans des coffres qu'on peut lui voler, ni dans des granges qui lui soient étrangeres ; pour s'approprier véritablement son acquis, c'est dans ses bras, dans sa tête , c'est dans lui qu'il le logera. Voici donc le tems des travaux , des instructions, des études.

Il ne s'agit point d'enseigner les sciences à l'enfant, mais de lui donner du goût pour les aimer, et des méthodes pour les apprendre quand ce goût sera mieux développé.

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deux fois ; l'une pour exister , et l'autre pour vivre ; l'une pour l'espece , et l'autre pour le sexe. Ceux qui regardent la femme comme un homme imparfait ont tort, sans doute ; mais l'analogie extérieure est pour eux. Jusqu'à l'âge nubile, les enfans des deux sexes n'ont rien d'apparent qui les distingue ; même vi-. sage, même figure , même reint, même voix, tout est égal ; les filles sont des enfans, le même nom suffit à des êtres si semblables ; les mâles en qui l'on empêche le développement ultérieur du sexe, gardent cette conformité toute leur vie ; ils sont toujours de grands enfans ; et les femmes ne perdant point cette même conformité, semblent , à bien des égards , ne jamais être autre chose.

Mais l'homme en général n'est pas fait". pour rester toujours dans l'enfance. Il en sort au tems prescrit par la nature , et ce moment de crise, bien qu'assez court , a de longues in Auences.

Comme le mugissement de la mer précede de loin la tempêre , cetre orageuse révolution s'annonce par le murmure des passions naissantes : une fermentation sourde avertir de l'approche du danger;

un changement dans l'huineur, des emportemens fréquens , une continuelle agitation d'esprit , rendent l'enfant presque indisciplinable. Il devient sourd à la voix qui le rendoir docile : c'est un lion dans sa fievre ; il méconnoît son guide; il ne veut plus être gouverné. Aux signes moraux d'une humeur qui s'altere , se joignent des changemens sensibles dans la figure. Sa physionomie se développe , et s'empreint d'un caractere ; le coton rare et doux qui croît au bas de ses joues, brunit et prend de la consistance. Sa voix mue, ou plutôt il la perd: il n'est ni enfant ni homme, et ne peut prendre le ton d'aucun des deux. Ses yeux , ces organes de l'ame , qui n'ont rien dit jusqu'ici, trouvent un langage et de l'expression , un feu naissant les anime; leurs regards plus vifs ont encore une sai:te innocence, mais ils n'ont plus leur premiere imbécillité : il sent déja qu'ils peuvent trop dire ; il commence à savoir les baisser , et rou. gir : il devient sensible avant de savoir ce qu'il sent; il est inquiet sans raison de l'être. Tout cela peur venir lente. ment et vous laisser du tems encore ; mais si sa vivacité se rend trop impa

tiente, si son emportement se change en fureur, s'il s'irrite et s'attendrir d'un instant à l'autre ; s'il verse des pleurs sans sujet , si près des objets qui commencent à devenir dangereux pour lui, son pouls s'éleve et son cil s'enflamme; si la main d'une femme se posant sur la sienne le fait frissonner, s'il se trouble ou s'intimide auprès d'elle, Ulysse, sage Ulysse ! prends garde à toi, les ou. tres que tu fermois avec tant de soins sont ouvertes, les vents sont déchaînés; ne quitte plus un moment le gouvernail , ou tout est perdu.

La puberté et la puissance du sexe sont toujours plus hâtives chez les peuples instruits et policés, que chez les peuples ignorans er barbares. Les enfans ont une sagacité singuliere pour démêler à travers toutes les singeries de la décence , les mauvaises meurs qu'elle couvre. Le langage épuré qu'on leur dicte , les leçons d'honnêteté qu'on leur donne, le voile du mystere qu'on affecte de tendre devant leurs yeux, sont autant d'aiguillons à leur curiosité.

Les instructions de la nature sont tardives et lentes , celles des hommes sont presque toujours prématurées ; dans le

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