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commencent par se faire assister, ils finissent par se faire servir. Ainsi de leur propre foiblesse, d'où vient d'abord le sentiment de leur dépendance, naît ensuite l'idée de l'empire et de la domination mais cette idée étant moins excitée par leurs besoins que par nos services, ici commencent à se faire appercevoir les effets moraux dont la cause immédiate n'est pas dans la nature, et l'on voit déja pourquoi dès ce premier âge il importe de démêler l'intention secrette que dicte le geste ou le cri.

Quand l'enfant tend la main avec effort sans rien dire, il croit atteindre à l'objet, parce qu'il n'en estime pas la distance; il est dans l'erreur: mais quand il se plaint et crie en tendant la main, alors il ne s'abuse plus sur la distance; il commande à l'objet de s'approcher, ou à vous de le lui apporter. Dans le premier cas portez-le à l'objet lentement et à petits pas; dans le second, ne faites pas seulement semblant de l'entendre; plus il criera, moins vous devez l'écouter. Il importe de l'accoutumer de bonne heure à ne commander ni aux hommes, car il n'est pas leur maître, ni aux choses, car elles ne l'en

tendent point. Ainsi, quand un enfant desire quelque chose qu'il voit et qu'on veut lui donner, il vaut mieux porter l'enfant à l'objet, que d'apporter l'objet à l'enfant; il tire de cette pratique une conclusion qui est de son âge, et il n'y a point d'autre moyen de la lui suggérer.

Un enfant veut déranger tout ce qu'il voit ; il casse, il brise tout ce qu'il peut atteindre; il empoigne un oiseau comme il empoigneroit une pierre, et l'étouffe sans savoir ce qu'il fait. P'ourquoi cela ? D'abord, la philosophie en va rendre raison par des vices naturels ; l'orgueil, l'esprit de domination, l'amour-propre, la méchanceté de l'homme, le sentiment de sa foiblesse, pourroit-elle ajouter, rend l'enfant avide de faire des actes de force, et de se prouver à lui-même son propre pouvoir ? Mais voyez ce vieillard infirme et cassé, ramené par le cercle de la vie humaine à la foiblesse de l'enfance, non seulement il reste immobile et paisible, il veut encore que tout y reste autour de lui; le moindre changement le trouble et l'inquiete, il voudroit voir régner un calme universel. Comment la même impuissance jointe

aux mêmes passions produiroit-elle des effets si différens dans les deux âges, si la cause primitive n'étoit changée ? Et où peut-on chercher cette diversité de causes, si ce n'est dans l'état physique des deux individus ? Le principe actif commun à tous deux se développe dans l'un et s'éteint dans l'autre ; l'un se forme et l'autre se détruit, l'un tend à la vie, et l'autre à la mort. L'activité défaillante se concentre dans le cœur du vieillard, dans celui de l'enfant elle est surabondante et s'étend au-dehors; il se sent, pour ainsi dire, assez de vie pour animer tout ce qui l'environne. Qu'il fasse ou qu'il défasse, il n'impor te, il suffit qu'il change l'état des choses, et tout changement est une action. Que s'il semble avoir plus de penchant à détruire, ce n'est point par méchanceté; c'est que l'action qu'il forme est toujours lente, et que celle qu'il détruit, étant plus rapide, convient mieux à sa vivacité.

En même tems que l'Auteur de la nature donne aux enfans ce principe actif, il prend soin qu'il soit peu nuisible, en leur laissant peu de force pour s'y livrer. Mais sitôt qu'ils peuvent consi

dérer les gens qui les environnent comme des instrumens qu'il dépend d'eux de faire agir, ils s'en servent pour suivre leur penchant, et suppléer à leur propre foiblesse. Voilà comment ils deviennent incommodes, tyrans, impérieux, méchans, indomptables; progrès qui ne vient pas d'un esprit naturel de domination, mais qui le leur donne; car il ne faut pas une longue expérience pour sentir combien il est agréable d'agir par les mains d'autrui, et de n'avoir besoin que de remuer la langue pour faire mouvoir l'univers.

En grandissant, on acquiert des forces, on devient moins inquiet, moins remuant, on se renferme davantage en soi-même. L'ame et le corps se mettent, pour ainsi dire, en équilibre, et la nature nous demande plus que le mouvement nécessaire à notre conservation. Mais le desir de commander ne s'éteint pas avec le besoin qui l'a fait naître; l'empire éveille et flatte l'amourpropre, et l'habitude le fortifie : ainsi succede la fantaisie au besoin, ainsi prennent leurs' premieres racines, les préjugés et l'opinion.

Le principe une fois connu, nous

yoyons clairement le point où l'on quitte la route de la nature voyons ce qu'il faut faire pour s'y maintenir.

Loin d'avoir des forces superflues, les enfans n'en ont pas même de suffisantes pour tout ce que leur demande la nature: il faut donc leur laisser l'u sage de toutes celles qu'elle leur donne et dont ils ne sauroient abuser. Premiere maxime.

Il faut les aider, et suppléer à ce qui leur manque, soit en intelligence, soit en force, dans tout ce qui est du besoin physique. Deuxieme maxime.

Il faut dans le secours qu'on leur doune, se borner uniquement à l'utile réel, sans rien accorder à la fantaisie ou au desir sans as; car la fantaisie ne les tourmentera point quand on ne l'aura pas fait naître, attendu qu'elle n'est pas de la nature. Troisieme maxime.

Il faut étudier avec soin leur langage et leurs signes, afin que dans un âge où ils ne savent pas dissimuler, on distingue dans leurs desirs ce qui vient im médiatement de la nature, et ce qui vient de l'opinion. Quatrieme maxime.

Quand les enfans commencent à parler, ils pleurent moins. Ce progrès est

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