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d'une bonne institution n'est pas d'enseignér à l'enfant beaucoup de choses, mais de ne laisser jamais entrer dans son cerveau que des idées justes et claires.

La partie la plus essentielle de l'éducation d'un enfant, celle dont il n'est jamais question dans les éducations les plus soignées, c'est de lui bien faire sentir sa misere, sa foiblesse, sa dépendance, et le pesant joug de la nécessité que la nature impose à l'homme; et cela non-seulement afin qu'il soit sensible à ce qu'on fait pour lui alléger ce joug, mais sur-tout afin qu'il connoisse de bonne heure en quel rang l'a placé la Providence; qu'il ne s'éleve point au-dessus de sa portée, et que rien d'humain ne lui semble étranger à lui.

Appropriez l'éducation de l'homme à l'homme, et non pas à ce qui n'est point lui. Ne voyez-vous pas qu'en travaillant à le former exclusivement pour un état, vous le rendez inutile à tout autre, et que, s'il plaît à la fortune, vous n'aurez travaillé qu'à le rendre malheureux.

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Mettez toutes les leçons des jeunes gens en action, plutôt qu'en discours; qu'ils n'apprennent rien dans les livres de ce que l'expérience peut enseigner.

Le pédant et l'instituteur disent àpeu-près les mêmes choses; mais le pre

mier les dit à tout propos, le second ne les dit que quand il est sûr de leur effet.

ENFANS.

DANS le commencement de la vie où

la mémoire et l'imagination sont encore inactives, l'enfant n'est attentif qu'à ce qui affecte actuellement ses sens. Ses sensations étant les premiers matériaux de ses connoissances, les lui offrir dans un ordre convenable, c'est préparer sa mémoire à les fournir un jour dans le même ordre à son entendement mais comme il n'est attentif qu'à ses sensations, il suffit d'abord de lui montrer bien distinctement la liaison de ces même's sensations avec les objets qui lescausent. Il veut tout toucher, tout ma nier. Ne vous opposez point à cette in quiétude; elle lui suggere un apprentissage très-nécessaire. C'est ainsi qu'il ap-` prend à sentir la chaleur, le froid, ·la. dûreté, la mollesse, la pesanteur, la légéreté des corps, à juger de leur gran deur, de leur figure, et de toutes leurs

qualités sensibles, en regardant, pálpant, écoutant, sur-tout en comparant la vue au toucher, en estimant à l'œil la sensation qu'ils feroient sous ses doigts.

Ce n'est que par le mouvement, que nous apprenons qu'il y a des choses qui ne sont pas à nous, et ce n'est que par notre propre mouvement, que nous acquérons l'idée de l'étendue. C'est parce que l'enfant n'a point cette idée, qu'il tend indifféremment la main pour saisir l'objet qui le touche, ou l'objet qui est: à un pas de lui. Cet effort qu'il fait vous paroît un signe d'empire, un ordre qu'il donne à l'objet de s'approcher ou à vous. de le lui apporter; et point du tout? c'est seulement que les mêmes objets qu'il voyoit d'abord dans son cerveau, puis sur ses yeux, il les voit maintenant au bout de ses bras, et n'imagine d'étendue que celle où il peut atteindre. Ayez donc soin de le promener souvent, de le transporter d'une place à l'autre, de lui faire sentir le changement de lieu, afin de lui apprendre à juger des distances. Quand il commencera de les connoî tre, alors il faut changer de méthode et ne le porter que comme il vous plaît ş

car

car sitôt qu'il n'est plus abusé par les sens, son effort change de cause.

Le mal-aise des besoins s'exprime par des signes, quand le secours d'autrui est nécessaire pour y pourvoir. De-là, les cris des enfans. Ils pleurent beaucoup; cela doit être, puisque toutes leurs sensations sont affectives; quand elles sont agréables, ils en jouissent en, silence; quand elles sont pénibles, ils le disent dans leur langage, et demandent un soulagement. Or, tant qu'ils sont éveillés, ils ne peuvent presque rester dans un état d'indifférence; ils dorment ou ils sont affectés.

Toutes nos langues sont des ouvrages de l'art. On a long-tems cherché s'il y avoit une langue naturelle et commune à tous les hommes: sans doute, il y en a une; et c'est celle que les enfans parlent avant de savoir parler. Cette langue n'est pas articulée, mais elle est accentuée, sonore, intelligible. L'usage des nôtres nous la fait négliger au point de l'oublier tout-à-fait. Etudions les enfans, et bientôt nous la rap.. prendrons auprès d'eux. Les nourrices sont nos maîtres dans cette langue; elles entendent tout ce que disent leurs II. Partie. H

nourrissons; elles leur répondent, elles ont avec eux des dialogues très-bien suivis ; et quoiqu'elles prononcent des mots, ces mots sont parfaitement inutiles; ce n'est point le sens du mot qu'ils entendent, mais l'accent dont il est accompagné.

Au langage de la voix se joint celui du geste non moins énergique. Ce geste n'est pas dans les foibles mains des enfans, il est sur leurs visages. Il est étonnant combien ces physionomies mal formées ont déja d'expressions: leurs traits changent d'un instant à l'autre avec une inconcevable rapidité. Vous voyez le sourire, le desir, l'effroi naître et passer comme autant d'éclairs; à chaque fois vous croyez voir un autre visage. Ils ont certainement les muscles de la face plus mobiles que nous. En revanche leurs yeux ternes ne disent presque rien. Tel doit être le genre de leurs signes dans un âge où l'on n'a que des besoins corporels; l'expression des sensations est dans les grimaces, l'expres sion des sentimens est dans le regard.

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Les premiers pleurs des enfans sont des prieres si on n'y prend garde, elles deviennent bientôt des ordres; ils

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