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sociable toujours hors de lui, ne sait vivre que dans l'opinion des autres ; et c'est, pour ainsi dire, de leur seul jugement qu'il tire le sentiment de sa propre existence.

et

L'homme sauvage, quand il a dîné, est en paix, avec toute la nature, et l'ami de tous ses semblables. S'agit-il quelquefois de disputer son repas, il n'en vient jamais aux coups sans avoir auparavant comparé la difficulté de vaincre avec celle de trouver ailleurs sa subsistance, et comme l'orgueil ne se mêle pas du combat, il le termine par quelques coups de poing, le vainqueur mange, le vaincu va chercher fortune, tout est pacifié. Mais chez l'Homme en société, ce sont bien d'autres affaires, il s'agit premiérement de pourvoir au nécessaire et puis au superflu, ensuite viennent les délices, et puis les immenses richesses, et puis des sujets, et puis des esclaves; il n'y a pas un moment de relâche ce qu'il y a de plus singulier, c'est que moins les besoins sont naturels et pressans, plus les passions augmentent, et qui pis est, le pouvoir de les satisfaire, de sorte qu'après de longues prospérités, après avoir englouti bien

des trésors et désolé bien des hommes, mon héros finira par tout égorger, jusqu'à ce qu'il soit l'unique maître de l'univers. Tel est en abrégé le tableau moral, sinon de la vie humaine, au moins des prétentions secrettes du cœur de tout homme civilisé.

L'HOMME COMPARE

A L'ANIMAL.

JE ne vois dans tout Animal qu'une

machine ingénieuse, à qui la nature a donné des sens pour se remonter ellemême, et pour se garantir, jusqu'à un certain point, de tout ce qui tend à la détruire, ou à la déranger. J'apperçois précisément les mêmes choses dans la machine humaine, avec cette différence que la nature seule fait tout dans les opérations de la bête, au lieu que l'Homme concourt aux siennes, en qualité d'agent libre. L'un choisit ou rejette par instinct, et l'autre par un acte de liberté, ce qui fait que la bête ne peut s'écar ter de la regle qui lui est prescrite, même quand il lui seroit avantageux de le fai

re

et que l'Homme s'en écarte souvent à son préjudice. C'est ainsi qu'un pigeon mourroit de faim près d'un bassin rempli de viandes, et un chat sur un tas de fruit, ou de grains, quoique l'un et l'autre pût très-bien se nourrir de l'aliment qu'il dédaigne, s'il s'étoit avisé d'en essayer: c'est ainsi que les Hommes dissolus se livrent à des excès, qui leur causent la fievre et la mort, parce que l'esprit déprave les sens, et que la volonté parle encore quand la nature se tait.

Tout animal a des idées, puisqu'il a des sens; il combine même ses idées jusqu'à un certain point, et l'Homme ne differe à cet égard de la bête, que du plus au moins. Quelques philosophes ont même avancé qu'il y a plus de difference de tel Homme à tel Homme, que de tel Homme à telle bête; ce n'est donc pas tant l'entendement qui fait parmi les animaux la distinction spécifique de l'Homme, que sa qualité d'agent libre. La nature commande à tout animal, er la bête obéit. L'Homme éprouve la même impression, mais il se reconnoît libre d'acquiescer ou de résister; et c'est sur-tout dans la confiance de cette liberté que se montre la spiritualité de

son ame: car la physique explique en quelque maniere le méchanisme des sens, et la formation des idées ; mais dans la puissance de vouloir, ou plutôt de choisir, et dans le sentiment de cette puissance on ne trouve que des actes purement spirituels, dont on n'explique rien par les lois de la méchanique.

Mais, quand les difficultés qui environnent toutes ces questions, laisseroient quelque lieu de disputer sur cette différence de l'Homme et de l'Animal, il y a une autre qualité très- spécifique qui les distingue, et sur laquelle il ne peut y avoir de contestation, c'est la faculté de se perfectionner; faculté qui, à l'aide des circonstances, développe successivement toutes les autres, et réside parmi nous tant dans l'espece, que dans l'individu, au lieu qu'un animal est, au bout de quelques mois, ce qu'il sera toute sa vie, et son espece, au bout de mille ans, ce qu'elle étoit la premiere année de ces mille ans. Pourquoi l'homme seul est sujet à devenir imbécille ? N'est-ce point qu'il retourne ainsi dans son état primitif, et que, tandis que la bête, qui n'a rien acquis et qui n'a rien non plus à perdre, reste toujours avec son instinct,

l'Homme reperdant par la vieillesse ou d'autres accidens, tout ce que la perfectibilité lui avoit fait acquérir, retombe ainsi plus bas que la bête même ?

FEMME.

LA Femme est faite spécialement pour

plaire à l'homme; si l'homme doit lui plaire à son tour, c'est d'une nécessité moins directe son mérite est dans sa puissance, il plaît par cela seul qu'il est fort. Ce n'est pas ici la loi de l'amour j'en conviens mais c'est celle de la nature, antérieure à l'amour même.

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ou

La rigidité des devoirs relatifs des deux sexes n'est, ni ne peut être la même. Quand la Femme se plaint làdessus de l'injuste inégalité qu'y met l'homme, elle a tort; cette inégalité n'est point une institution humaine, du moins elle n'est point l'ouvrage du préjugé, mais de la raison: c'est à celui des deux que la nature a chargé du dépôt des enfans d'en répondre à l'autre. Sans doute, il n'est permis à personne de violer sa foi, et tout mari infidele qui prive sa Femme du seul prix des

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