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Le sage observe le désordre public qu'il ne peut arrêter; il observe et montre sur son visage attristé la douleur qu'il lui cause; mais, quant aux désordres particuliers, il s'y oppose ou détourne les yeux, de peur qu'ils ne s'autorisent de sa présence.

Les illusions de l'orgueil sont la source de nos plus grands maux; mais la contemplation de la misere humaine rend le sage toujours modéré. Il tient à la place, il ne s'agite point pour en sortir; il n'use point inutilement ses forces pour jouir de ce qu'il ne peut conserver, et les employant toutes à bien posséder ce qu'il a, il est en effet plus puissant et plus riche de tout ce qu'il desire de moins que nous. Etre mortel et périssable, irai-je me former des nœuds éternels sur cette térre, où tout change, où tout passe, et dont je disparoîtrai demain?

Travailler est un devoir indispensable à l'homme social. Riche ou pauvre, puissant ou foible, tout citoyen oisif est un fripon.

L'homme et le citoyen, quel qu'il soit, n'a d'autre bien à mettre dans la société que lui-même, tous ses autres biens y sont malgré lui; et quand un

homme est riche, ou il ne jouit pas de sa richesse, ou le public en jouit aussi. Dans le premier cas, il vole aux autres ce dont il se prive; et dans le second, il ne leur donne rien. Ainsi la dette sociale lui reste toute entiere, tant qu'il ne paie que de son bien.

La patience est amere, mais est doux.

son fruit

Il faut une ame saine pour sentir les charmes de la retraite.

Une ame saine peut donner du goût à des occupations communes, comme la santé du corps fait trouver bons les alimens les plus simples.

Quand le cœur s'ouvre aux passions, il s'ouvre à l'ennui de la vie.

L'esprit s'étrecit à mesure que l'ame se corrompt.

Quand l'imagination est une fois sale, tout devient pour elle un sujet de scandale. Quand on n'a plus rien de bon que l'extérieur, on redouble tous ses soins pour le conserver.

Ce sont nos passions qui nous irritent contre celles des autres; c'est notre intérêt qui nous fait haïr les méchans; s'ils ne nous faisoient aucun mal, nous auxions pour eux plus de pitié que de haine.

Le mal que nous font les méchans, nous fait oublier celui qu'ils se font à euxmêmes. Nous leur pardonnerions plus aisément leurs vices, si nous pouvions connoître combien leur propre cœur les en punit. Nous sentons l'offense, et nous ne voyons pas le châtiment; les avantages sont apparens, la peine est intérieure. Celui qui croit jouir du fruit de ses vices, n'est pas moins tourmenté que s'il n'eût point réussi; l'objet est changé, l'inquiétude est la même; ils ont beau montrer leur fortune et cacher leur cœur, leur conduite le montre en dépit d'eux; mais pour la voir, il n'en faut pas avoir un semblable.

Les passions que nous partageons nous séduisent; celles qui choquent nos intérêts nous révoltent, et par une inconséquence qui nous vient d'elles, nous blâmons dans les autres ce que nous voudrions imiter. L'aversion et l'illusion sont inévitables, quand on est forcé de souffrir de la part d'autrui le mal qu'on feroit si l'on étoit à sa place.

PENSÉES

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PENSÉES DIVERSES.

LEs plaisirs exclusifs sont la mort du

plaisir.

S'abstenir pour jouir, c'est l'épicuréisme de la raison."

Jamais les cœurs sensibles n'aimerent les plaisirs bruyans vain et stérile bonheur des gens qui ne sentent rien, et qui croient qu'étourdir la vie, c'est en jouir.

La variété des desirs vient de celle des connoissances, et les premiers plaisirs qu'on connoît sont long-tems les seuls qu'on recherche.

La suprême jouissance est dans le contentement de soi-même.

Les vrais amusemens sont ceux qu'on partage avec le peuple; ceux qu'on veut avoir à soï seul, on ne les a plus.

Le plaisir qu'on veut avoir aux yeux des autres, est perdu pour tout le mon de; on ne l'a ni pour eux, ni pour soi."

Le ridicule que l'opinion redoute sur toute chose, est toujours à côté d'elle pour la tyranniser et pour la punir. On p'est jamais ridicule que par des formes 11. Partie N

déterminées ; celui qui sait varier ses situations et ses plaisirs, efface aujourd'hui l'impression d'hier, il est comme nul dans l'esprit des hommes; mais il jouit, car il est tout entier à chaque heure et à chaque chose.

Changeons de goût avec les années, ne déplaçons pas plus les âges que les saisons; il faut être soi dans tous les tems, et ne point lutt lutter contre la natu re: ces vains efforts usent la vie, et nous empêchent d'en user.

On voit rarement les penseurs se plaire beaucoup au jeu, qui suspend cette habitude on la tourne sur des arides combinaisons; aussi l'un des biens, et peut être le seul qu'ait produit le goût des sciences, est d'amortir un peu cette passion sordide: on aimera mieux s'exercer à prouver l'utilité du jeu que de s'y livrer.

On n'est curieux qu'à proportion qu'on est instruit.

L'ignorance n'est un obstacle ni au bien ni au mal, elle est seulement l'état naturel de l'homme.

L'ignorance n'a jamais fait de mal, l'erreur seule est funeste, et on ne s'égare point, parce qu'on ne sait pas, mais parce qu'on croit savoir.

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