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déconcerte, ou d'un ton froid auquel on ne s'attend point. Qu'un beau Phébus lui débite ses gentillesses, la loue avec esprit sur le sien, sur sa beauté, sur ses graces, sur le prix du bonheur de lui plaire, elle est fille à l'interrompre, en lui disant poliment: » Mon

sieur, j'ai grand'peur de savoir ces » choses-là mieux que vous; si nous » n'avons rien de plus curieux à dire, » je crois que nous pouvons finir ici » l'entretien. « Accompagner ces mots d'une grande révérence, et puis se trouver à vingt pas de lui, n'est pour elle que l'affaire d'un instant. Demandez à vos agréables, s'il est aisé d'étaler son caquer avec un esprit aussi rebours que celui-là.

Ce n'est pas pourtant qu'elle n'aime fort à être louée, pourvu que ce soit tout de bon, et qu'elle puisse croire qu'on pense en effet le bien qu'on lui dit d'elle. Pour paroître touché de son mérite, il faut commencer par en montrer. Un hommage fondé sur l'estime peut flatter son cœur altier; mais tout galant persilage est toujours rebuté; Sophie n'est pas faite pour exercer les petits talens d'un baladin.

PENSÉES

ON

PENSÉES MORALES.

N ne peut réfléchir sur les mœurs, qu'on ne se plaise à se rappeler l'image de la simplicité des premiers tems. C'est un beau rivage paré des seules mains de la nature, vers lequel on tourne incessamment les yeux, et dont on se sent éloigner à regret.

La seule leçon de morale qui convienne à l'enfance, et la plus importante à tout âge, est de ne jamais faire du mal à personne. Le précepte même de faire du bien, s'il n'est subordonné à celui-là, est dangereux, faux, contradictoire. Qui est-ce qui ne fait pas du bien? Tout le monde en fait, le méchant comme les autres : il fait un heureux aux dépens de cent misérables, et de-là viennent toutes nos calamités. Les plus sublimes vertus sont négatives; elles sont aussi les plus difficiles, parce qu'elles sont sans ostentation, et audessus même de ce plaisir si doux au cœur de l'homme, d'en renvoyer un autre content de nous. O quel bien fait nécessairement à ses semblables celui d'enII. Partie. M

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tre eux, s'il en est un, qui ne leur fait jamais du mal, de quelle intrépidité d'ame, de quelle vigueur de caractere il a besoin pour cela! Ce n'est pas en raisonnant sur cette maxime, c'est en tâchant de la pratiquer, qu'on sent combien il est grand et pénible d'y réussir.

Le précepte de ne jamais nuire à autrui emporte celui de tenir à la société humaine le moins qu'il est possible; car dans l'état social le bien de l'un fait nécessairement le mal de l'autre. Ce rapport est dans l'essence de la chose et rien ne sauroit le changer; qu'on cherche sur ce principe lequel est le meilleur de l'homme social ou du solitaire. Un auteur illustre dit qu'il n'y a que le méchant qui soit seul; moi je dis qu'il n'y a que le bon qui soit seul; si cette proposition est moins sententieuse, elle est plus vraie et moins raisonnée que la précédente. Si le méchant étoit seul, quel mal feroit-il ? -C'est dans la société qu'il dresse ses machines pour nuire aux autres.

Il faut étudier la société par les hommes, et les hommes par la société : ceux qui voudront traiter séparément la politique et la morale, n'entendront jamais rien à aucune des deux. En s'attachant

d'abord aux relations primitives, on voit comment les hommes en doivent être affectés, et quelles passions en doivent naître. On voit que c'est réciproquement par le progrès des passions que ces relations se multiplient et se resserrent. C'est moins la force des bras que la modération des cœurs, qui rend les hommes indépendans et libres. Quiconque desire peu de chose, tient à peu de gens; mais confondant toujours nos vains desirs avec nos besoins physiques, ceux qui ont fait de ces derniers les fondemens de la société humaine, toujours pris les effets pour les causes, et n'ont fait que s'égarer dans tous leurs raisonnemens.

ont

C'est l'abus de nos facultés qui nous rend malheureux et méchans. Nos chagrins, nos soucis, nos peines nous viennent de nous. Le mal moral est incontestablement notre ouvrage, et le mal physique ne seroit rien sans nos vices qui nous l'ont rendu sensible.

Homme, ne cherche plus l'auteur du mal, cet auteur c'est toi-même. Il n'existe point d'autre mal que celui que tu fais et que tu souffres, et l'un et l'autre vient de toi. Le mal général ne

peut être que dans le désordre, et je vois dans le systême du monde, un ordre qui ne se dément point. Le mal particulier n'est que dans le sentiment de l'être qui souffre ; et ce sentiment l'homme ne l'a pas reçu de la nature; il se l'est donné. La douleur a peu de prise sur quiconque, ayant peu réfléchi, n'a ni souvenir, ni prévoyance. Otez nos funestes progrès, ôtez nos erreurs et nos vices, ôtez l'ouvrage de l'homme, et tout est bien.

S'il existoit un homme assez misérable pour n'avoir rien fait en toute sa vie dont le souvenir le rendît content de lui-même, et bien-aise d'avoir vécu, cet homme seroit incapable de jamais se connoître, et faute de sentir quelle bonté convient à sa nature, il resteroit méchant par force et seroit éternellement malheureux.

Il n'y a point de connoissance morale qu'on ne puisse acquérir par l'expérience d'autrui ou par la sienne. Dans le cas où cette expérience est dangereuse, au lieu de la faire soi-même, on tire sa leçon de l'histoire.

N'allons pas chercher dans les livres des principes et des regles que nous trou

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