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et très-coquette en effet; elle n'étale pas ses charmes, elle les couvre : mais en les couvrant elle sait les faire imaginer. En la voyant, on dit: Voilà une fille modeste et sage; mais tant qu'on reste auprès d'elle, les yeux et le cœur errent sur toute sa personne, sans qu'on puisse les en détacher, et l'on diroit que tout cet ajustement si simple n'est mis à sa place, que pour en être ôté pięce à piece par l'imagination.

Sophie a des talens naturels; elle les sent et ne les a pas négligés; mais n'ayant pas été à portée de mettre beaucoup d'art à leur culture, elle s'est contentée d'exercer sa jolie voix à chanter juste et avec goût, ses petits pieds à marcher légèrement, facilement avec grace, à faire la révérence en toutes sortes de situations, sans gêne et sans mal-adresse.

Ce que Sophie fait le mieux et qu'on lui a fait apprendre avec le plus de soin, ce sont les travaux de son sexe, même ceux dont on ne s'avise point, comme de tailler et coudre ses robes. Il n'y a pas un ouvrage à l'aiguille qu'elle ne sache faire et qu'elle ne fasse avec plaisir; mais le travail qu'elle préfere à tout autre,

est la dentelle, parce qu'il n'y en pas un qui donne une attitude plus agréable, et où les doigts s'exercent avec plus de grace et de légèreté; elle s'est appliquée aussi à tous les détails du ménage. Elle entend la cuisine et l'office; elle sait les prix des denrées, elle en connoît les qualités; elle sait fort bien tenir les comptes, elle sert de maître-d'hôtel à sa mere. Faite pour être un jour mere de famille elle-même, en gouvernant la maison paternelle, elle apprend à gouverner la sienne : elle peut suppléer aux fonctions des domestiques et le fait toujours volontiers. On ne sait jamais bien commander que ce qu'on sait exécuter soi-même c'est la raison de sa mere pour l'occuper ainsi; pour Sophie, elle ne va pas si loin. Son premier devoir est celui de fille, et c'est maintenant le seul qu'elle songe à remplir. Son unique vue est de servir sa mere et de la soulager d'une partie de ses soins.

Sophie a l'esprit agréable sans être brillant, et solide sans être profond, un esprit dont on ne dit rien, parce qu'on ne lui en trouve jamais ni plus ni moins qu'à soi. Elle a toujours celui de plaire aux gens qui lui parlent, quoiqu'il ne

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soit pas fort orné, selon l'idée que nous avons de la culture de l'esprit des femmes car le sien ne s'est pas formé par la lecture, mais seulement par les conversations de son pere et de sa mere, par ses propres réflexions, et par les observations qu'elle a faites dans le peu de monde qu'elle a vu. Sophie a naturellement de la gaieté; elle étoit même folâtre dans son enfance: mais peu-à-peu sa mere a pris soin de réprimer ses airs évaporés, de peur que bientôt un changement trop subit n'instruisît du moment qui l'avoit rendu nécessaire. Elle est donc devenue modeste et réservée même avant le tems de l'être; et maintenant que ce tems est venu il lui est

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plus aisé de garder le ton qu'elle a pris, qu'il ne lui seroit de le prendre sans indiquer la raison de ce changement; c'est une chose plaisante de la voir se livrer quelquefois par un reste d'habitude à des vivacités de l'enfance, puis tout-d'uncoup rentrer en elle-même, se taire, baisser les yeux et rougir: il faut bien que le terme intermédiaire entre les deux âges, participe un peu de chacun des deux.

Sophie est d'une sensibilité trop grande

pour conserver une parfaite égalité d'humeur; mais elle a trop de douceur pour que cettte sensibilité soit fort importune aux autres; c'est à elle seule qu'elle fait du mal. Qu'on dise un seul mot qui la blesse, elle ne boude pas, mais son cœur se gonfle: elle tâche de s'échapper pour aller pleurer. Qu'au milieu de ses pleurs son pere ou sa mere la rappelle et dise un seul mot, elle vient à l'instant jouer et rire en s'essuyant adroi-, tement les yeux, et tâchant d'étouffer ses sanglots.

Elle n'est pas, non plus, tout-à-fait exempte de caprice. Son humeur, un peu trop poussée, dégénere en mutinerie, et alors elle est sujette à s'oublier. Mais laissez-lui le tems de revenir à elle, et sa maniere d'effacer son tort lui en fera presque un mérite. Si on la punit, elle est docile et soumise, et l'on voit que sa honte ne vient pas tant du châtiment que de la faute. Si on ne lui dir rien, jamais elle ne manque de la réparer d'elle-même, mais si franchement et de si bonne grace; qu'il n'est pas possible d'en garder la rancune. Elle baiseroit la zerre devant le dernier domestique, sans que cet abaissement lui fît la moindre

peine; et sitôt qu'elle est pardonnée, sa joie et ses caresses montrent de quel poids son cœur est soulagé. En un mot, elle souffre avec patience les torts des au

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et répare avec plaisir les siens. Tel est l'aimable naturel de son sexe avant que nous l'ayions gâté. La femme est faite pour céder à l'homme et pour supporter même son injustice; vous ne réduirez jamais les jeunes garçons au même point. Le sentiment intérieur s'éleve et se révolte en eux contre l'injustice; la nature ne les fit point pour la tolérer.

Sophie a de la religion, mais une religion raisonnable et simple; peu de dogmes et moins de pratiques de dévotion; ou plutôt, ne connoissant de pratique essentielle que la morale, elle dévoue sa vie entiere à servir Dieu en faisant le bien. Dans toutes les instructions que ses parens lui ont données sur ce sujet ils l'ont accoutumée à une soumission respectueuse, en lui disant toujours: » Ma fille, ces connoissances ne sont » pas de votre âge; votre mari vous en » instruira quand il sera tems. « Du reste, au lieu de longs discours de piété, ils se contentent de la lui prêcher par

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