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premier cas, les sens éveillent l'imagination; dans le second, l'imagination éveille les sens elle leur donne une activité précoce qui ne peut manquer d'énerver, d'affoiblir d'abord les individus, puis l'espece même à la longue.

Le premier sentiment dont un jeune homme élevé soigneusement est suscep tible, n'est pas l'amour, c'est l'amitié. Le premier acte de son imagination naissante est de lui apprendre qu'il a des semblables, et l'espece l'affecte avant le sexe.

J'ai toujours vu que les jeunes gens corrompus de bonne heure, et livrés aux femmes et à la débauche, étoient inhumains et cruels; la fougue du tempé rament les rendoit impatiens, vindicatifs, furieux; leur imagination pleine d'un seul objet se refusoit à tout le reste ils ne connoissoient ni pitié, ni miséricorde, ils auroient sacrifié pere et mere, et l'univers entier, au moindre de leurs plaisirs. Au contraire, un jeune homme élevé dans une heureuse simplicité, est porté par les premiers mouvemens de la nature vers les passions tendres et affectueuses son cœur compatissant s'émeut sur les peines de ses

semblables; il tressaille d'aise quand il revoit ses camarades; ses yeux savent verser des larmes d'attendrissement; il est sensible à la honte de déplaire, au regret d'avoir offensé. Si l'ardeur d'un sang qui s'enflamme le rend vif, emporté, colere, on voit le moment d'après toute la bonté de son cœur dans l'effusion de son repentir; il pleure, il gémit sur la blessure qu'il a faite, il voudroit au prix de son sang racheter celui qu'il a versé ; tout son emportement s'éteint, toute sa fierté s'humilie devant le sentiment de sa fureur; un mot le déil pardonne les torts d'autrui d'aussi bon cœur qu'il répare les siens. L'adolescence n'est l'âge ni de la vengeance, ni de la haine, elle est celui de la commisération, de la clémence, de la générosité. Oui, je le soutiens, et je ne crains point d'être démenti par l'expérience, un enfant qui n'est pas mal né, et qui a conservé jusqu'à vingt ans son innocence, est, à cet âge, le plus généreux, le meilleur, le plus aimant et le plus aimable des hommes.

sarme,

Introduisez un jeune homme de vingt ans dans le monde, bien conduit, il sera dans un an plus aimable et plus judicieu

sement poli, que celui qui y aura été nourri dès son enfance; car le premier étant capable de sentir les raisons de tous les procédés relatifs à l'âge, à l'état, au sexe qui constituent cet usage, les peut réduire en principes, et les étendre aux cas non prévus; au lieu que l'autre n'ayant que sa routine pour toute regle, est embarrassé sítôt qu'on l'en sort. Les jeunes demoiselles françaises sont toutes élevées dans les couvens jusqu'à ce qu'on les marie. S'apperçoit-on qu'elles aient peine alors à prendre les manieres qui leur sont si nouvelles, et accusera-t-on les femmes de Paris d'avoir l'air gauche et embarrassé, d'ignorer l'usage du monde, pour n'y avoir pas été mises dès leur enfance? Ce préjugé vient des gens du monde, qui connoissant rien de plus important que cette petite science, s'imaginent faussement qu'on ne peut s'y prendre de trop bonne heure pour l'acquérir. Il est vrai qu'il ne faut pas non plus trop attendre. Quiconque a passé toute sa jeunesse loin du grand monde, y porte le reste de sa vie un air embarrassé, contraint, un propos toujours hors de propos, des mamieres lourdes et mal-adroites, dont l'ha

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bitude d'y vivre ne le défait plus, et qui n'acquierent qu'un nouveau ridicule, par l'effort de s'en délivrer.

Que de précautions à prendre avec un jeune homme bien né, avant que de l'exposer au scandale des mœurs du siecle! Ces précautions sont pénibles, mais elles sont indispensables : c'est la négligence en ce point qui perd route sa jeunesse c'est par le désordre du premier âge que les hommes dégénerent, et qu'on les voit devenir ce qu'ils sont aujourd'hui. Vils et lâches dans leurs vices même, ils n'ont que de petites ames, parce que leurs corps usés ont été corrompus de bonne heure ; à peine leur reste-t-il assez de vie pour se mouvoir. Leurs subtiles pensées marquent des es prits sans étoffe ; ils ne savent rien sentir de grand et de noble, ils n'ont ni simplicité ni vigueur. Abjects en toutes choses et bassement méchans, ils ne sont que vains, fripons, faux ; ils n'ont pas même assez de courage pour être d'illustres scélérats.

Portrait et caractere d'EMILE, ou de l'éleve de M. ROUSSEAU, à l'âge de dix à douze ans.

SA figure, son port, sa contenance an

noncent l'assurance et le contentement; la santé brille sur son visage; ses pas affermis lui donnent un air de vigueur; son teint, délicat encore sans être fade, n'a rien d'une mollesse efféminée; l'air et le soleil y ont déja mis l'empreinte honorable de son sexe; ses muscles encore arrondis commencent à marquer quelques traits d'une physionomie naissante; ses yeux que le feu du sentiment n'anime point encore, ont au moins toute leur sérénité naïve; de longs chagrins ne les ont point obscurcis, de pleurs sans fin n'ont point sillonné ses joues. Voyez dans ses mouvemens prompts, mais sûrs, la vivacité de son âge, la fermeté de l'indépendance, l'expérience des exercices multipliés. Il a l'air ouvert et libre, mais non pas insolent ni vain; son visage qu'on n'a pas collé sur des livres ne tombe pas sur

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