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le tempérament dont il dépend. A-t-on jamais oui dire qu'un emporté soit devenu flegmatique, et qu'un esprit méthodique et froid ait acquis de l'imagination Pour moi, je trouve qu'il seroit tout aussi aisé de faire un blond d'un brun, et d'un sot un homme d'esprit. C'est donc en vain qu'on prétendroit refondre les divers esprits sur un moindre commun. On peut empêcher les hommes de se montrer tels qu'ils sont, mais non les faire devenir autres, et s'ils se dégui sent dans le cours ordinaire de la vie, Nous les verrez dans toutes les occasions importantes reprendre leur Caractère originel • et sy livrer avec d'autant moins de règle, qu'ils n'en connoissent plus en s'y livrant. Encore une fois, il ne s'agit point de changer de Caractère t de plier le naturel; mais, au contraire, de le pousser aussi loin qu'il peut aller, de le cultiver et d'empêcher qu'il ne dégénère; car c'est ainsi qu'un homme devient tout ce qu'il peut être, et que l'ouvrage de la nature s'achève en lui par l'éducation. Or, avant de cultiver le Caractère, il faut étudier, attendre paisiblement qu'il se montre, lui fournir les occasions de se montrer, toujours

s'abstenir de rien faire, plutôt que d'agir mal-à-propos. A tel génie il faut donner des aîles, à d'autres des entraves, l'un veut être pressé, l'autre qu'on l'intimide, il faudroit tantôt éclairer, tantôt abrutir. Tel homme est fait pour porter la connoissance humaine jusqu'à son dernier termę; à tel autre, il est même funeste de savoir lire. Attendons la première étincelle de raison; c'est elle qui fait sortir le Caractère et lui donne sa véritable forme; c'est par elle aussi qu'on le cultive, et il n'y a point avant la raison de véritable éducation pour l'homme.

Tous les Caractères sont bons et sains en eux-mêmes. Il n'y a point d'erreurs dans la Nature. Tous les vices qu'on impute au naturel sont l'effet des mauvaises formes qu'il a reçues. Il n'y a point de scélérat dont les penchans mieux dirigés n'eussent produit de grandes vertus. Il n'y a point d'esprit faux dont on n'eût tiré des talens utiles en le prenant d'un certain biais, comme ces figures difformes et monstrueuses qu'on rend belles et bien proportionnées en les mettant à leur point de vue.

COQUETTERIE.

LE manege de la Coquetterie exige

un discernement plus fin que celui de la politesse: car pourvu qu'une femme polie le soit envers tout le monde, elle a toujours assez bien fait; mais la Coquette perdroit bientôt son empire par cette uniformité mal-adroite. A force de vouloir obliger' tous les amans, elle les rebuteroit tous. Dans la société, les manieres qu'on prend avec tous les hommes ne laissent pas de plaire à chacun; pourvu qu'on soit bien traité, l'on n'y regarde pas de si près sur les préférences mais en amour, une faveur qui n'est pas exclusive est une injure. Un homme sensible aimeroit cent fois mieux être seul maltraité, que caressé avec tous les autres, et ce qui peut arriver de pis, est de n'être point distingué. Il faut donc qu'une femme qui veut conserver plusieurs amans, persuade à chacun d'eux qu'elle le préfere, qu'elle le lui persuade sous les yeux de tous les autres, à qui elle en persuade autant sous les siens.

Voulez-vous voir un personnage em

barrassé? Placez un homme entre deux femmes avec chacune desquelles il aura eu des liaisons secrettes, puis observez quelle sotte figure il y fera. Placez en même cas une femme entre deux hommes, ( et sûrement l'exemple ne sera pas plus rare,) vous serez émerveillé de l'adresse avec laquelle elle donne le change à tous deux, et fera que chacun se rira de l'autre. Or, si cette femme leur témoignoit la même confiance et prenoit avec eux la même familiarité, comment setoient-ils un instant ses dupes? En les traitant également, ne montreroit-elle pas qu'ils ont le même droit sur elle? Oh! qu'elle s'y prend bien mieux que cela! Loin de les traiter de la même maniere, elle affecte de mettre entr'eux de l'inégalité; elle fait si bien, que celui qu'elle flatte, croit que c'est par tendresse, et que celui qu'elle maltraite, croit que c'est par dépit. Ainsi chacun content de son partage, la voit toujours s'occuper de lui, tandis qu'elle ne s'occupe en effet que d'elle seule.

Une certaine coquetterie maligne et railleuse désoriente encore plus les soupirans que le silence ou le mépris. Quel

plaisir de voir un beau Céladon tout déconcerté, se confondre, se troubler, se perdre à chaque repartie, de s'envi ronner contre lui de traits moins brûlans, mais plus aigus que ceux de l'amour de le cribler de pointes de glace, qui piquent à l'aide da froid!

COUPS DU SORT.

TOUT ce qu'ont fait les hommes, les

hommes peuvent le détruire il n'y a de caracteres ineffaçables que ceux qu'imprime la Nature, et la Nature ne fait ni princes, ni riches, ni grands seigneurs. Que fera donc dans la bassesse, ce Satrape que vous n'avez élevé que pour la grandeur? Que fera dans la pauvreté ce Publicain qui ne sait vivre que d'or? Que fera, dépourvu de tout, ce fastueux imbécille qui ne sait point user de luimême, et ne met son être que dans ce qui est étranger à lui? Heureux celui qui sait quitter alors l'état qui le quitte, et rester homme en dépit du sort ! qu'on loue tant qu'on voudra ce Roi vaincu, qui veut s'enterrer en furieux sous les débris de son trône: moi je le méprise;

je

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