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plus d'un Philosophe. Jusques à quand la Philosophie (pour me servir des expres sions de Rousseau lui-même ) ne s'occupera-t-elle qu'à diffamer l'espèce humaine?

Dans le nombre de peu de vérités qui circulent parmi les hommes, il en est qu'une douce persuasion, une conscience presque générale, un sentiment intime et difficile à vaincre ont établies et qu'il est cruel de vouloir nous enlever; parce qu'indépendamment de leur certitude, elles font, ou notre consolation, ou notre espérance.

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Inutilement l'Auteur du fameux Traité du Citoyen s'épuise-t-il à prouver que la

méchanceté est inhérente et essentielle aux hommes le plus grand nombre sait qu'il a besoin de sa propre estime pour l'encourager au bien, et M. Hume qui n'a pu s'empêcher de regarder la bienfaisance comme une des premières dispositions de notre ame en est cru sans preuves, parce qu'il n'en faut qu'aux choses de calcul matériel, et presque jamais à celles qui sont senties.

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C'est encore une entreprise téméraire et dangereuse de la part des Philosophes d'attaquer ouvertement le culte reçu et consacré par les lois, sous le bouclier desquelles on repose avec tranquillité. Ce seroit donc un service à rendre à la société d'arracher des

Livres qui lui ont été offerts, tout ce qui a élevé le scandale et le cri public, et de les réduire aux seules vérités utiles qu'ils contiennent.

Le Recueil que je donne au Public aujourd'hui en sera la preuve la plus forte. On y va voir combien Rousseau ajoute à la masse de nos idées, on y admirera cette sagacité profonde, cet amour de la vertu et ces richesses de style qui distinguent si fort le Citoyen de Genève : l'humanité, l'honneur et la sagesse ont souvent dicté les maximes précieuses qui composeront ce volume. J'ai fait disparoître autant que j'ai pu le Sophiste hardi, pour n'offrir que l'Ecrivain brillant et mâle, l'homme sensible et penseur.

Le penchant qu'un Auteur de ce mérite peut avoir pour le paradoxe le détourne quelquefois du vrat, mais alors c'est l'Alchimiste de la Littérature, qui, dans la vaine recherche du remède universel, trouve en chemin mille secrets qui, tous séparés de leurs objets, deviennent de la plus grande utilité.

Je ne finirai point cet Avertissement sans excusser, autant qu'il est possible, Rousseau d'avoir scandalisé dans quelques-uns de ses Ouvrages, et le Français Citoyen et le Catholique. Etranger à Paris, il náquit et fut élevé dans une République et dans le Schisme.

LES PENSÉES

DE

J. J. ROUSSEAU.

7

:

DIE U.

PLUS je m'efforce de contempler son essense infinie, moins je la conçois, mais elle est, cela me suffit ; moins je la conçois, plus je l'adore. Je m'hamilie et lui dis Être des Êtres, je suis parce que tu es; c'est m'élever à ma source que de te méditer sans cesse. Le plus digne usagé de ma raison est de s'anéantir devant toi : c'est mon ravissement d'esprit, c'est le charme de ma foiblesse de me sentir accablé de ta grandeur.

Voulons-nous pénétrer dans ces abîmes de Métaphysique qui n'ont ni fond ni rive, et perdre à disputer sur l'essence divine ce temps si court qui nous est

donné pour l'honorer ? Nous ignorons ce qu'elle est, mais nous savons qu'elle est que cela nous suffit; elle se fait voir dans ses œuvres elle se fait sentir au-dedans de nous. Nous pouvons bien disputer contre elle, mais non pour la méconnoître de bonne foi.

Rien n'existe que par celui qui est. C'est lui qui donne un but à la justice, une base à la vertu, un prix à cette courte vie employée à lui plaire; c'est lui qui ne cesse de crier aux coupables que leurs crimes secrets ont été vus, et qui fait dire au juste oublié, tes vertus ont un témoin; c'est lui, c'est sa substance inaltérable qui est le vrai modèle des perfections dont nous portons tous une image en nous-mêmes. Nos passions ont beau la défigurer; tous ses traits, liés à l'essence infinie, se représentent toujours à la raison, et lui servent à rétablir ce que l'imposture et l'erreur en ont altéré.

EVANGILE.

C. divin Livre, le seul nécessaire à un Chrétien, et le plus utile de tous à

quiconque même ne le seroit pas, n'a besoin que d'être médité pour porter dans l'ame l'amour de son Auteur, et la volonté d'accomplir ses préceptes. Jamais la vertu n'a parlé un si doux langage, jamais la plus profonde sagesse ne s'est exprimée avec tant d'énergie et de simplicité. On n'en quitte point la lecture sans se sentir meilleur qu'auparavant.

La majesté des Ecritures m'étonne, la sainteté de l'Evangile, parle à mon cœur. Voyez les Livres des Philosophes avec toute leur pompe : qu'ils sont petits près de celui-là! Se peut-il qu'un Livre, à la fois si sublime et si sage soit l'ouvrage des hommes ? Se peut-il que celui dont il fait l'histoire ne soit qu'un homme lui-même ! Est-ce là le ton d'un Enthousiaste ou d'un Ambitieux Sectaire ? Quelle douceur, quelle pureté dans ses mœurs ! quelle grace touchante dans ses instructions! quelle élévation dans ses maximes, quelle profonde sagesse dans ses discours quelle présence d'esprit, quelle finesse et quelle justesse dans ses réponses ? quel empire sur ses passions où est l'homme, où est le sage qui sait agir, souffrir et mourir sans foiblesse et sans ostentation? Quand

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