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compagnent les plus douces jouissances, et l'excessive joie elle-même arrache plutôt des pleurs que des ris.

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Si d'abord la multitude et la variété des amusemens paroissent contribuer au Bonheur, si l'uniformité d'une vie égale paroît d'abord ennuyeuse, en y regardant mieux, on trouve, au contraire que la plus douce habitude de l'ame consiste dans une modération de jouissance, qui laisse peu de prise au désir et au dégoût. L'inquiétude des désirs produit la curiosité, l'inconstance, le vuide des turbulers plaisirs produit l'ennui.

On a du plaisir quand on en veut avoir, c'est l'opinion seule qui rend tout difficile, qui chasse le Bonheur devant nous; et il est cent fois plus aisé d'être heureux que de le paroître.

Il n'est point de route plus sûre pour aller au Bonheur, que celle de la vertu. Si l'on y parvient, il est plus pur, plus solide et plus doux, par elle; si on le manque, elle seule peut en dédommager.

Que font ces hommes sensuels qui multiplient si indiscrètement leurs douleurs par leurs voluptés ? Ils anéantissent, pour ainsi dire, leur existence à force de l'étendre sur la terre; ils aggra

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vent le poids de leurs chaînes par le nombre de leurs attachemens; ils n'ont point de jouissances qui ne leur préparent mille amères privations: plus ils sentent et plus ils souffrent plus ils s'enfoncent dans la vie, et plus ils sont -malheureux.

Tout ce qui tient aux sens et n'est pas nécessaire à la vie, change de nature aussitôt qu'il tourne en habitude. Il cesse d'être un plaisir en devenant un besoin ; c'est à la fois une chaîne qu'on se donne et une jouissance dont on se prive, et prévenis toujours les désirs, n'est pas l'art de les contenter, mais de les éteindre. Un objet plus noble qu'on doit se proposer en cela, est de rester maître de soi-même, d'accoutumer les passions à l'obéissance, et de plier tous ses désirs à la règle. C'est un nouveau moyen d'être heureux, car on ne jouit sans inquiétude que de ce qu'on peut perdre sans peine ; et si le vrai Bonheur appartient au Sage, c'est parce qu'il est de tous les hommes celui à qui la fortune peut le moins ôter.

Tous les Conquérans n'ont pas été tués tous les usurpateurs n'ont pas échoué dans leurs entreprises, plusieurs paroîtront

paroîtront heureux aux esprits prévenus des opinions vulgaires; mais celui qui, sans s'arrêter aux apparences, ne juge du Bonheur des hommes que par l'état de leurs cœurs, verra leur misère dans leurs succès mêmes, il verra leurs désirs et leurs soucis rongeans s'étendre et s'accroître avec leur fortune; il les verra perdre haleine en avançant, sans jamais parvenir à leurs termes. Il les verra semblables à ces voyageurs inexpérimentés qui, s'engageant pour la première fois. dans les Alpes, pensent les franchir à chaque montagne, et quand ils sont att sommet, trouvent avec découragement de plus hautes montagnes au-devant d'eux.

Celui qui pourroit tout sans être Dieu seroit une misérable créature : il seroit privé du plaisir de désirer; tout autre privation seroit plus supportable. D'où il suit que tout Prince qui aspire au despotisme, aspire à l'honneur de mourir d'ennui. Dans tous les royaumes du monde, cherchez-vous l'homme le plus ennuyé du pays? Allez toujours directement au Souverain, sur-tout s'il est trèsabsolu. C'est bien la peine de faire tant de misérables? Ne sauroit-il s'ennuyer à moindre frais ?

I. Partie.

D

Les gueux sont malheureux, parce qu'ils sont toujours gueux : les Rois sont malheureux parce qu'ils sont toujours Rois. Les états moyens dont on sort plus aisément, offrent des plaisirs au-dessus et au-dessous de soi, ils étendent les lumières de ceux qui les remplissent en leur donnant plus de préjugés à connoître et plus de degrés à comparer. Voilà, ce me semble, la principale raison pourquoi c'est généralement dans les conditions médiocres qu'on trouve les hommes les plus heureux et de meilleur sens.

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Le signe le plus assuré du vrai contentement d'esprit est la vie retirée et domestique, et l'on peut croire que ceux qui vont sans cesse chercher leur Bonheur chez autrui ne l'ont point chez eux-mêmes.

VERTU.

Le mot de Vertu vient de force, la force est la base de toute vertų.

L'homme vertueux est celui qui sait aincre ses affections,

La Vertu n'appartient qu'à un être foible par sa nature et fort par volonté ; c'est en cela que' consiste le mérite de l'homme juste.

L'exercice des plus sublimes Vertus élève et nourrit le génie.

Les ames d'une certaine trempe transforment, pour ainsi dire, les autres en elles-mêmes; elles ont une sphère d'activité dans laquelle rien ne leur résiste on ne peut les connoître sans les vouloir imiter, et de leur sublime élévation elles attirent à elles tout ce qui les environne..

Il n'est pas si facile qu'on pense de renoncer à la Vertu. Elle tourmente long-temps ceux qui l'abandonnent, et ses charmes qui font les délices des ames' pures, font le premier supplice du méchant, qui les aime encore et n'en sauroit plus jouir.

L'exercice des Vertus sociales porte au fond des cœurs l'amour de l'humilité;' c'est en faisant le bien qu'on devient bon.

La vertu est si nécessaire à nos cœurs, que quand on a une fois abandonné la véritable, on s'en fait ensuite une à sa mode, et l'on y tient plus for

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