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point, l'espoir se prolonge, et le char me de l'illusion dure autant que la Passion qui le cause. Ainsi cet état se suffit à lui-même, et l'inquiétude qu'il donne ést une sorte de jouissance qui supplée à la réalité.

On étouffe de grandes Passions ; rarement on les épure.

On n'a de prise sur les Passions que par les Passions; c'est par leur empire qu'il faut combattre leur tyrannie, et c'est toujours de la Nature elle-même qu'il faut tirer les instrumens propres à la régler.

Que les Passions nous rendent crédu les! et qu'un cœur vivement touché se détache avec peine des erreurs mêmes qu'il apperçoit !

On peut vivre beaucoup en peu d'années, et acquérir une grande expérience à ses dépens; c'est alors le chemin des Passions qui conduit à la Philosophie.

La source de toutes les Passions est la sensibilité; l'imagination détermine leur pente. Tout être qui sent ses rapports, doit être affecté quand ces rapports s'altèrent, et qu'il en imagine, ou qu'il en croit imaginer de plus convenables à sa nature. Ce sont les erreurs de

l'imagination qui transforment en vices les Passions de tous les êtres bornés, même des anges s'ils en ont: car il fau droit qu'ils connussent la nature de tous les êtres, pour savoir quels rapports conviennent le mieux à la leur.

Voici le sommaire de toute la sagesse humaine dans l'usage des Passions. 1o. Sentir les vrais rapports de l'homme, tant dans l'espèce que dans l'individu. 2o. Ordonner toutes les affections de l'ame selon ces rapports.

BONHEUR.

Nous ne savons ce que c'est que Bon

heur ou Malheur absolu. Tout est mêlé dans cette vie, on n'y goûte aucun sentiment pur, on n'y reste pas deux momens dans le même état. Les affections de nos ames, ainsi que les modifications de nos corps, sont dans un flux continuel. Le bien et le mal nous sont communs en tous, mais en différentes mesures. Le plus heureux est celui qui souffre le moins de peines; le plus misérable est celui qui sent le moins de plaisirs. Toujours plus de souffrances

que de jouissances: voilà la différence commune à tous. La félicité de l'homme ici-bas n'est donc qu'un état négatif, on doit la mesurer par la moindre quantité de maux qu'il souffre.

Tout sentiment de peine est inséparable du désir de s'en délivrer toute idée de plaisir est inséparable du désir d'en jouir tout désir suppose privation, et toutes les privations qu'on sent sont pénibles; c'est donc dans la disproportion de nos désirs et de nos facultés, que consiste notre misère. Un être sensible, dont les facultés égaleroient les désirs, seroit un être absolument heureux.

En quoi donc consiste la sagesse humaine ou la route du vrai bonheur ? Ce n'est pas précisément à diminuer nos désirs; car s'ils étoient au-dessous de notre puisssance, une partie de nos facultés resteroit oisive, et nous ne jouirions pas de tout notre être. Ce n'est pas non plus à étendre nos facultés ; car si nos désirs s'étendoient à la fois en plus grand rapport, nous n'en viendrions que plus misérables mais c'est à diminuer l'excès des désirs sur les facultés, et à mettre en égalité parfaite la puissance et la volonté. C'est alors seulement que toutes

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es forces étant en action, l'ame cependant restera paisible; et que l'homme se trouvera bien ordonné.

Le monde réel a ses bornes, le monde imaginaire est infini : ne pouvant élargir l'un, rétrécissons l'autre; car c'est de leur seule différence que naissent toutes les peines qui nous rendent vraiment malheureux. Otez la force, la santé, lo bon témoignage de soi, tous les biens de cette vie sont dans l'opinion; ôtez les douleurs du corps et les remords de la conscience, tous nos maux sont imaginaires.

Tous les animaux ont exactement les facultés nécessaires pour se conserver. L'homme en a de superflues. N'est-ce pas bien étrange que ce superflu soit l'instrument de sa misère ? Dans tout pays les bras d'un homme valent plus que sa substance. S'il étoit assez sage pour compter ce superflu pour rien, il auroit toujours le nécessaire, parce qu'il n'auroit jamais rien de trop. Les grands besoins, disoit Favorin, naissent des grands biens et souvent le meilleur moyen de se donner les choses dont on manque est de s'ôter celles qu'on a¡ c'est à force de nous travailler pour

augmenter notre bonheur, que nous le changeons en misère. Tout homme qui ne voudroit que vivre, vivroit heureux; par conséquent il vivroit bon, car où seroit pour lui l'avantage d'être méchant.

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Nous jugeons trop du Bonheur sur les apparences; nous le supposons où il est le moins, nous le cherchons où il ne sauroit être ; la gaieté n'en est qu'un signe très équivoque. Un homme gai n'est souvent qu'un infortuné qui cherche à donner le change aux autres, et à s'étourdir lui-même. Ces gens si riants, si ouverts, si sérieux dans un cercle, sont presque tous tristes et grondeurs chez eux, et leurs domestiques portent la peine de l'amusement qu'ils donnent à leurs sociétés. Le vrai contentement n'est ni gai, ni folâtre, jaloux d'un senziment si doux, en le goûtant on y pen. se, on le savoure on craint de l'éva porer. Un homme vraiment heureux ne parle guère, et ne rit guère; il resserre, pour ainsi dire, le Bonheur autour de son cœur. Les jeux bruyans, la turbulente joie voilent les dégoûts et l'ennui. Mais la mélancolie est amie de la volup té; l'attendrissement et les larmes ac

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