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la Nature, plus forte que celle des Dieux, se faisoit respecter sur la terre et sembloit reléguer dans le Ciel le crime avec les coupables.

Il est donc au fond de nos ames un principe inné de justice et de vertu, sur lequel malgré nos propres maximes, nous jugeons nos actions et celles d'autrui, comme bonnes ou mauvaises.

PASSION S.

L'ENTENDEMENT humain doit beaucoup aux Passions; qui d'un commun aveu lui doivent beaucoup aussi. C'est par leur activité que notre raison se perfectionne; nous ne cherchons à connoître que parce que nous désirons de jouir: et il n'est pas possible de concevoir pourquoi celui qui n'auroit ni désirs, ni craintes, se donneroit la peine de raisonner. Les Passions, à leur tour, tirent leur origine de nos besoins, et leur progrès de nos connoissances; car on ne peut désirer ou craindre les choses, que sur les idées qu'on en peut avoir, ou par la simple impulsion de la Nature.

C'est une erreur de distinguer les Passions et permises et défendues, pour se I. Partie.

C

livrer aux premières, et se refuger auk autres. Toutes sont bonnes quand on est le maître, toutes sont mauvaises quand on s'y laisse assujettir.

Les grandes Passions usées dégoûtent des autres; la paix de l'ame qui leur succède est le seul sentiment qui s'accroît par la jouissance.

Le spectacle des Passions violentes de toute espèce est un des plus dangereux qu'on puisse offrir aux enfans. Ces Passions ont toujours dans leur excès quelque chose de puérile qui les amuse, qui les séduit, et leur fait aimer ce qu'ils devroient craindre. Voilà pourquoi nous aimons tous le Théâtre, et plusieurs d'entre nous les Romans.

Toutes les grandes Passions se forment dans la sollitude; on n'en a point de semblables dans le monde, où nul objet n'a le temps de faire une profonde impression, et où la multitude des goûts énerve la force des sentimens.

Les petites Passions ne prennent jamais le change et vont toujours à leur fin, mais on peut armer les grandes contre elles-mêmes.

Dans la retraite on a d'autres maniè res de voir et de sentir, que dans le

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commerce du monde, les Passions autrement modifiées ont aussi d'autres expressions; l'imagination toujours frappée des mêmes objets, s'en affecte plus vivement. Ce petit nombre d'images revient toujours, se mêle à toutes les idées, et leur donne ce tour bizarre et peu varié qu'on remarque dans les discours des solitaires. S'ensuit-il de-là que leur langage soit fort énergique ? point de tout; il n'est qu'extraordinaire. Ce n'est que dans le monde que l'on apprend à parler avec énergie. Premièrement parce qu'il faut toujours dire autrement et mieux, que les autres, et puis, que forcé d'affirmer à chaque instant ce qu'on ne croit pas, d'exprimer des sentimens qu'on n'a point, on cherche à donner, à ce qu'on dit, un tour persuasif qui supplée à la persuasion intérieure. Croyez-vous que les gens vraiment passionnés ayent ces manières de parler vives, fortes, coloriées que l'on admire dans les Drames et dans les Romans français ? Non la Passion pleine d'elle-même, s'exprime avec plus d'abondance que de force; elle ne songe pas même à persuader ; elle ne soupçonne pas qu'on puisse douter d'elle: quand elle dit ce qu'elle sent,

c'est moins pour l'exposer aux autres que pour se soulager. On peint plus vivement l'amour dans les grandes villes l'y sent-on mieux que dans les hameaux?

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Lisez une lettre d'amour faite par un Auteur dans son cabinet, par un bel esprit qui veut briller. Pour peu qu'il ait du feu dans la tête, sa lettre va, comme on dit, brûler le papier la chaleur n'ira pas plus loin. Vous serez enchanté, même agité peut-être, mais d'une agitation passagère et sèche qui ne vous laissera que des mots pour tout souvenir. Au contraire, une lettre que l'amour a réellement dictée une lettre d'un amant vraiment passionné, sera lâche diffuse, toute en longueurs, en désordre, en répétitions. Son cœur, plein d'un sentiment qui déborde, redit toujours la même chose, et n'a jamais achevé de dire; comme une source vive qui coule sans cesse et ne s'épuise jamais. Rien de saillant, rien de remarquable on ne retient, ni mots, ni tours, ni phrases: on n'admire rien, l'on est frappé de rien. Cependant on se sent l'ame attendrie: on se sent ému sans savoir pourquoi. Si la force du sentiment ne nous frappe pas, sa vérité

nous touche, et c'est ainsi que le cœur sait parler au cœur. Mais ceux qui ne sentent rien, ceux qui n'ont que le jargon paré des passions, ne connoissent point ces sortes de beautés, et les méprisent.

L'enthousiasme est le dernier dégré de la Passion. Quand elle est à son comble, elle voit son objet parfait, elle en fait alors son idole; elle le place dans le Ciel. En écrivant à ce qu'on aime, ce ne sont plus des lettres que l'on écrit ce sont des hymnes.

Les grandes Passions ne germent guère chez les hommes foibles.

La grande Passion, l'origine et le principe de toutes les autres, la seule qui naît avec l'homme, et ne le quitte jamais, tant qu'il vit, est l'amour de soi Passion primitive, innée, antérieure à toute autre et dont toutes les autres ne sont, en un mot, que des modifications.

Dans le règne des Passions, elles aident à supporter les tourmens qu'elles donnent, elles tiennent l'espérance à côté du désir. Tant qu'on désire peut se passer d'être heureux : on s'atrend à le devenir : si le bonheur ne vient

on

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