: 1 1 conservé le détail de deux différentes révoltes des Gaulois, dont aucune ne fut occasionnée par la religion. Elles eurent pour unique prétexte les tributs imposés aux provinces, la dureté des exactions, et la hauteur avec laquelle les peuples étaient traités. La première révolte arriva vers la huitième année de Tibère; elle n'était causée que par l'état des cités dans les Gaules, qui avaient été forcées de faire de gros tude. Quintus Martius consul Gallorum gentem, sub radice Alpium sitam, bello aggressus est, qui, cùm se romanis copiis circumceptos viderent, belloque impares fore intelligerent, occisis conjugibus ac liberis, in flammas sese projecerunt. (Oros., l. 5, cap. 14, p. 272.) Aneroestus, Gallorum rex, in quemdam locum fuga se recepit, ubi mox sibi et necessariis suis manus intulit. (Polyb., 2, 118.) Quand les soldats celtes avaient le malheur de tomber entre les mains de l'ennemi, ils cherchaient à se détruire eux-mêmes par toutes sortes de moyens : Qui verò (Gallorum) præoccubantibus Romanis, peragendæ tunc mortis sue copiam non habuerant captique fuerant, alii ferro, alii suspendio, alii abnegato cibo sese consumpserunt. (Oros., liv. 5, c. 14, p. 272.) Ce qu'il y a de plus surprenant, c'est que les femmes celtes, au lieu de plier sous le joug et d'adoucir l'humeur féroce et indomptable de leurs maris, se montraient encore plus ardentes à défendre la liberté. Elles étaient les premières à encourager les hommes, non seulement par des prières et des exhortations, mais encore par leur propre exemple, à perdre plutôt la vie que la liberté. Mulieres in prælium proficiscentes milites, passis manibus, flentes implorabant ne se in servitutem Romanis traderent. (Cæsar, 1, 51. Voy. aussi Tacite, Germ., cap. 7 et 8; Hist., IV, 18; Annal., 1V, 51, XIV, 29.) emprunts pour payer les tributs. Tacite rapporte les plaintes des révoltés, et il n'y a rien qui puisse donner l'idée d'une persécution religieuse (1). La seconde révolte est de l'année 69, postérieure de près de cinquante ans à la première. Tacite nous a conservé deux discours, l'un tenu par Julius-Civilis, dans le dessein (1) «Cette année, plusieurs cités des Gaules tentèrent de << secouer le joug pour s'affranchir des dettes dont elles étaient « accablées. Les plus ardens à souffler la révolte furent Ju<< lius Florus au pays de Trèves, et Julius Sacrovir chez les « Eduens. L'un et l'autre étaient d'un sang illustre. Leurs << aïeux, pour des services signalés, avaient été faits citoyens << romains en un temps où cette distinction était rare et ré« servée au mérite. Dans des conférences secrètes où se trou<< vaient et les esprits les plus altiers et ceux à qui l'indigence << ou la crainte ne laissait de ressource que le crime, ces « deux hommes formèrent le projet d'un soulèvement. Ils se << chargèrent de faire prendre les armes, Florus aux Belges, << Sacrovir aux cités plus voisines de la sienne. Pour cet ef<< fet, ils couraient les assemblées générales et particulières << de chaque peuple, tenant partout des discours séditieux « sur la durée éternelle du tribut, sur l'intérêt énorme des sommes « empruntées pour le payer, sur la tyrannie des gens en place. Ils << ajoutaient que l'on remarquait dans les légions un esprit << de discorde depuis la mort de Germanicus. Voici, disaient<«ils, le temps de rompre nos fers, si nous considérons notre puis«sance, la faiblesse de l'Italie, l'abátardissement du peuple de « Rome. Il ne suit plus manier l'épée, et toute la force des ar«mées romaines consiste aujourd'hui dans les étrangers.» (Tacité, Annal., III, 40, de la traduction de M. l'abbé de la Bletterie.) > d'animer les Gaulois à s'unir pour recouvrer leur liberté; l'autre par Cerialis, pour excuser la conduite des Romains. Dans l'un et dans l'autre, il n'y a rien qui ait le moindre rapport à l'abolition de l'ancien culte, ou à une persécution religieuse. Cerialis ne parle que des tributs, et de la nécessité d'en imposer pour soutenir les dépenses du gouvernement (1). Il est vrai que ces deux discours sont l'ouvrage de Tacite; mais de ce qu'il ne fait aucune mention de la religion, il en faut conclure qu'elle n'entra point dans le prétexte de ces deux révoltes; car Tacite n'était pas homme à omettre un si beau sujet de réflexions politiques. Ce qui était arrivé dans l'île britannique donne lieu à la même réflexion. Tacite et Dion, qui ont rapporté cet évènement, nous montrent que la révolte des Iceni, qui prirent alors les armes, fut causée par les seules violences et par la seule injustice des officiers du fisc. Prasutagus, roi de ce canton, qui avait toujours été fidèle allié des Romains, étant mort, et ne laissant que deux filles, avait institué l'empereur pour son héritier, espérant par-là procurer une protection à sa famille : il se trompa; l'intendant du fisc s'empara, sous ce prétexte, des Etats et des biens du prince breton; sa veuve et les princesses ses filles furent exposées aux insultes les plus cruelles et les plus honteuses: Uxor Bonduica (1) Neque quies gentium sine armis, neque arma sine stipendiis, neque stipendia sine tributis haberi queant. (Tacit., Hist., IV, 73.) verberibus affecta, et filiæ stupro violatæ sunt; les grands furent dépouillés de leurs biens, et les parens du roi réduits en esclavage; ce furent là les motifs qui firent prendre les armes aux Iceni; il n'était pas question d'une persécution religieuse. Les insulaires furent forcés, malgré leur résistance, qui fut très-grande; l'île fut ravagée par les vainqueurs, qui arrachèrent les bois sacrés, souillés par le sang des victimes humaines. Les Romains y abolirent les sacrifices humains, ainsi qu'ils l'avaient fait dans les Gaules; mais ils laissèrent subsister le reste du culte des druides. Le renom et le ministère des druides subsistèrent dans l'île britannique jusqu'à l'entière destruction de l'idolâtrie. Les mots de Tacite, sustulit druidas eorum, ne pouvant s'entendre de l'abolition de l'ordre des druides, qui a toujours subsisté depuis Claude et Tibère, il faut les expliquer par ces mots, sustulére monstra in quibus hominem occidere religiosissimum erat; et par ce qui est dit des Gaulois dans le quatrième livre de Strabon : « Les Romains ont fait quitter aux peuples de la Gaule ces coutumes féroces, aussi bien que toutes les pratiques condamnées par noslois, qu'ils employaient dans leurs sacrifices et dans leurs divinations. » Les Romains toléraient en général toutes les religions étrangères, et ne proscrivaient que celles qui leur paraissaient contraires au bon ordre ou au repos de la société; c'est-à-dire celles qui étaient exclusives, comme le judaïsme et le christianisme, ou celles dont les pratiques étaient opposées aux mœurs et à l'humanité. C'est sur ce fondement qu'ils supprimèrent les baccha 1 : nales, et qu'ils défendirent les sacrifices humains dans les, Gaules: Sustulit druidas eorum, et hoc genus vatum medicorumque (1)....... non satis æstimari potest quantùm Romanis debeatur qui SUSTULERE MONSTRA in quibus hominem occidere religiosissimum erat...... Au reste, il n'est pas facile de se persuader que les Gaulois aient renoncé tout d'un coup à leurs principes cruels d'une religion inhumaine; et s'ils n'y ont pas renoncé, ils ont dû être portés à en pratiquer les cérémonies en secret, quand ils le pouvaient faire avec sûreté. Ceux qui ne pouvant plus sacrifier d'hommes publiquement, versaient encore quelques gouttes de sang humain sur les autels à la vue des Romains, selon que nous l'apprend Pomponius Mela, ceux-là étaient sans doute très-disposés à égorger les victimes mêmes, quand on n'éclairait pas leur conduite. Qui pouvait empêcher un grand seigneur gaulois, établi dans une province écartée, de sacrifier quelqu'un de ses esclaves, sur lesquels on exerçait alors un pouvoir absolu? II n'y eut sans doute qu'une religion contraire qui put effacer ces impressions enracinées; et avant qu'elles fussent éteintes, il a dû y avoir dans les Gaules un temps où les anciens habitans du pays étaient idolâtres, à la romaine extérieurement, et à la gauloise intérieu (1) Les druides fouillaient dans les entrailles des victimes humaines pour y trouver le présage de l'avenir. Homines sacris devoti gladio tergum ferientes ex ejus palpitationė ariolabantur. (Strab., liv. 4. Voy. aussi Diodore de Sic., liv. g, ch. 9.) |