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quoi je fonde mon sentiment. On lit dans un ancien manuscrit de l'église de Besançon, que l'empereur Henri III a donné Gray et Choye à l'archevêque. On ne trouve, pour la très-grande partie des autres terres qu'ont possédées nos prélats, ni diplomes ni enseignemens qui puissent nous apprendre de qui ils les ont reçues. S'ils les avaient tenues de la libéralité des princes Carlovingiens, ou des rois de Bourgogne, ou des empereurs d'Allemagne, il en resterait quelque

monument.

Les archives du chapitre métropolitain, des abbayes de S. Claude et de Lure, renferment plusieurs diplomes des souverains que nous venons de nommer. Est-il croyable qu'il n'y eût eu que ceux qui auraient été donnés en faveur de l'archevêché qui se fussent perdus? n'est-il pas plus vraisemblable qu'il n'y en a jamais eu de ces souverains, et que par conséquent la plus grande partie des terres qu'a possédées l'archevêché viennent des rois Mérovingiens et des seigneurs de leur temps, dont tous les savans conviennent qu'il nous reste trèspeu de monumens?

En réduisant l'archevêché de Besançon à une partie de ses domaines sous les rois Mérovingiens, il ne perd pas pour cela le droit d'être compté parmi les riches bénéfices de ce temps-là. Il a possédé, dans le onzième siècle, un si grand nombre de terres, et des terres si considérables, que la moitié a pu suffire pour en faire un des plus opulens siéges des Gaules sous la première race de nos rois.

Je terminerai cette description par un trait qui seul aurait pu en tenir lieu. La puissance et les richesses des évêques étaient déjà si considérables sous les petitfils de Clovis, que Chilpéric, l'un d'eux, leur portait envie. Ce prince, au rapport de Grégoire de Tours, disait souvent: Notre fisc a été appauvri, nos richesses ont passé aux églises, il n'y a plus que les évêques qui règnent; notre autorité est anéantie, et elle a été transportée aux évêques (1).

Qu'on ne pense donc plus que le clergé n'est devenu le premier ordre de l'Etat que par la faveur de Pepin et de Charlemagne. Qu'on ne regarde plus les droits régaliens, les principautés des évêques comme des usurpations faites dans le temps de la décadence de la maison Carlovingienne. On a vu que les prélats, dès la conversion de Clovis, ont formé le premier ordre de l'Etat; qu'ils ont toujours occupé la première place dans les assemblées nationales; qu'ils ont eu sous les rois Mérovingiens la principale part dans l'administration publique; qu'ils étaient alors dans une si grande considération, que ces souverains accordaient la liberté aux captifs à leur volonté, et la grâce aux criminels qui se réfugiaient dans le parvis de leur église; que ces princes, dans leur absence, leur confiaient leur suprême autorité; que dès lors les évêques jouissaient

(1) Aiebat enim (Chilpericus) plerumque : Ecce pauper remansit fiscus noster; ecce diviticæ nostræ ad ecclesias sunt translatæ. Nulli penitùs nisi soli episcopi regnant. Periit honos noster et translatus est ad episcopos civitatum.

de tous les droits régaliens; que ces monarques leur ont donné des principautés, des villes, d'immenses domaines, qu'ils les ont comblés de richesses; qu'ils ont, pour ainsi dire, partagé avec eux leur puissance, leur grandeur et leurs terres; qu'ils ne se sont réservé que ce qui ne peut se communiquer sans se détruire, la haute souveraineté; de sorte qu'on peut dire avec vérité que jamais l'épiscopat n'a eu tant de splendeur temporelle, que jamais il n'a eu tant d'autorité, que jamais il n'a été en si grande considération, que jamais il n'a possédé tant de biens que sous la première race de nos rois.

Mais, dira-t-on, cette grandeur temporelle et cette opulence n'étaient-elles pas dangereuses pour le clergé, à qui elles pouvaient si aisément faire perdre l'esprit de son état? N'étaient-elles pas préjudiciables au royaume, qu'elles affaiblissaient en le privant d'une si grande partie de ses fonds et de ses richesses? Je réponds à ces deux questions par des faits. L'Eglise de France n'a jamais eu tant de saints évêques et de saints religieux que sous les rois Mérovingiens. La monarchie française s'étendait alors de l'embouchure de l'Elbe à la Méditerranée. Elle était la terreur de l'Europe. Seule elle arrêtait les immenses et rapides conquêtes des Sarrasins. Elle avait des rois tributaires : elle comp tait des princes parmi ses sujets.

DISCOURS

SUR LES LIBERTÉS DE L'ÉGLISE GALLICANE.

PAR L'ABBÉ FLEURY (CLAUDE) (1).

Avec un choix des meilleures notes extraites de divers commentaires.

L'EGLISE gallicane s'est mieux défendue que les autres du relâchement de la discipline introduit de

(1) Cette pièce, publiée en 1724, après la mort de l'auteur, a été ajoutée, avec plusieurs autres de la même nature, au Recueil de ses huit premiers Discours, dans l'édition donnée par l'abbé Goujet : Paris, 1763, in-12. On y avait joint des notes, qui sont, en général, exactes et sages. Deux ans après, le même discours a reparu imprimé séparément, avec partie des premières notes et un nouveau commentaire tellement exagéré dans les doctrines contraires aux prétentions du Saint-Siége, qu'on ne peut y méconnaître l'esprit de secte qui agita la France pendant le siècle dernier, et l'œuvre d'un écrivain dont l'expérience n'avait pas encore tempéré l'ardeur (*).

(*) Ces notes sont attribuées à Chiniac de la Bastide Duclaux, qui ayant à peine fini d'assez bonnes études en théologie et en droit, était alors dans l'effervescence de la première jeunesse. On a publié depuis un autre texte du Discours de Fleury, qu'on suppose être plus exact; mais il est permis de douter de son authenticité.

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puis quatre ou cinq cents ans, et a résisté avec plus de force aux entreprises de la cour de Rome. La théologie a été enseignée plus purement dans l'Université de Paris que partout ailleurs; les Italiens même y venaient étudier, et la principale ressource de l'Eglise contre le grand schisme d'Avignon s'est trouvée dans cette école. Les rois de France, depuis Clovis, ont été chrétiens catholiques, et plusieurs très-zélés pour la religion : leur puissance, qui est la plus ancienne et la plus ferme de la chrétienté, les a mis en état de mieux protéger l'Eglise.

Depuis que les empereurs ont perdu l'Italie, et que

En conservant de ces diverses notes toutes les explica-tions qui portent sur des faits historiques ou des droits reconnus dans l'Eglise gallicane, nous avons eu soin d'en écarter les controverses qui nous ont paru excéder également les bornes du sujet traité par Fleury, et celles de la légitime défense de nos libertés spéciales contre le chef commun de toutes les Eglises. Si Rome s'est attribué des priviléges exorbitans, et qu'on a pu lui contester sans blesser la divinité de sa mission, ce n'est pas une raison pour refuser au souverain pontife toute espèce de prédomination spirituelle, et de réduire son autorité à celle d'un simple évêque. C'est à peu près ce que font les partisans outrés de certaines doctrines. Quant à nous, qui sommes étrangers à tout esprit de parti politique ou religieux, et qui ne voulons qu'être exacts et vrais, autant que la faiblesse de nos lumières nous le permet, nous n'avons pas cru devoir nous rendre l'écho de déclamations trop passionnées pour appeler notre confiance et mériter celle de nos lecteurs.

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