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souverain, pour une Reine qui faisoit les délices de la nation.

Les conseils du règne précédent firent place à des ministres dont le choix parut généralement approuvé; les parlemens furent rappelés; la question préparatoire, usage barbare, qui absout le coupable effronté, et qui condamne l'innocence timide, fut abolie; et les serfs furent affranchis dans les domaines particuliers du Roi. Tout annonça la détermination de travailler efficacement à la réforme des abus, dont le monstreux excès avoit, quelque temps auparavant, pronostiqué, comme prochaine, la ruine de l'état.

Mais ces abus sous lesquels toutes les classes gémissoient, étoient en même temps, la source de l'opulence, de la grandeur, et de l'impunité des courtisans. La misère des peuples étoit devenue leur patrimoine; l'humiliation de tous les ordres, les droits de leur orgueil; et le bouleversement de toutes choses, leur refuge! On dut s'attendre à des oppositions d'autant plus à redouter de leur part, que cette espèce d'hommes ne sait agir que par des voies obliques..

Heureux

Heureux ceux de nos rois, qui avoient la sagesse de se contenter de l'étendue d'autorité nécessaire pour faire le bonheur de leurs peuples, maintenir le respect qui est dû à la personne sacrée du souverain, et à la majesté du rang suprême! Ils n'étoient pas privés de la félicité la plus ineffable dont l'humanité soit susceptible, celle d'avoir des amis. Mais l'amitié est incompatible avec un pouvoir sans bornes; il semble que la Providence ait mis l'isolement du cœur, comme en opposition aux illusions attachées à sa jouissance. Plus le monarque est absolu, et plus la confiance, et par suite la vérité s'éloignent de lui: s'il lui reste un moyen de la connoître, sur les rapports de ceux qui l'entourent; c'est de ne croire que le contraire de ce qu'ils lui disent.

Le caractère du Roi étoit connu; son austérité garantissoit, en quelque façon, sa candeur: mais sa confiance et son attachement pour la Reine, furent entre ses vertus, celles que l'on crut les plus propres à être tournées avec avantage contre ses projets; tous les efforts furent bientôt dirigés vers cette princesse.

Jeune,

Jeune, aimable, belle, et Reine, souveraine presque absolue d'un grand empire, par l'amour de son époux, et par l'adoration des peuples. Qu'un ange descende du ciel; qu'il soit environné d'êtres perfides par essence, et trompeurs par profession, qui prendront auprès de lui, le masque de toutes les vertus; qui, au moindre de ses sourires ou de ses gestes, s'empresseront de former un concert d'applaudissemens, de cris d'admiration, de transports; qui seront humains, bons, compatissans, désintéressés, au premier mot qui sortira de sa bouche; qui verseront des larmes lorsqu'il s'attendrira sur l'infortune, et se montreront prodigues, lorsqu'il parlera de la soulager; qui s'enthousiasmeront au récit d'un acte de vertu, s'indigneront à celui d'une mauvaise action, ou feindront de ne pas la croire possible; dont les visages mobiles comme leur esprit, et toute l'habitude de leurs corps souple comme leur caractère, passeront, avec la rapidité de sa pensée qu'ils sauront deviner, à l'expression subite des sentimens, et des mouvemens de l'âme les plus opposés; qui n'offriront à son choix pour remplir les places, ou à sa générosité pour répandre des bienfaits,

Tome I.

I

bienfaits, que des personnes supposées en être dignes par de prétendus talens, ou par de prétendus services, qu'il ne sera pas en son pouvoir de vérifier; qui paroîtront, en écartant de lui les hommes utiles, n'avoir d'autre intérêt à cœur, que celui de son bonheur et de sa gloire; qu'il y ait enfin une telle conspiration de déceptions et d'intrigues parmi tout ce qui l'approchera, que presque jamais, un être vertueux ne puisse s'offrir à ses regards, ni sa voix frapper son oreille; et qu'il résiste, s'il le peut!

Comme sous le règne précédent, la disposition des places, des bénéfices, des pensions et des emplois d'autorité ou de profit, fût bientôt encore dans les mains des courtisans. Mais divisés en petites factions, les places des ministres leur paru rent un terrain trop glissant. Avides seulement de faveurs et d'argent, ils s'arrangèrent pour en recueillir le profit, sans en courir les hasards, et préférèrent l'avantage d'en disposer, au danger de les occuper. La seule qualité qui leur parut nécessaire pour déterminer leurs choix, fut une servile complaisance. De là cette foule de secrétaires d'état, et de contrôleurs généraux, qui

se

se sont succédés en si peu de temps: car la durée de leur gestion devoit être mesurée à l'étendue de leur déférence pour les patrons dont ils étoient les créatures; mot qui devint à la mode et qui rend parfaitement l'idée qu'elle exprime.

Il arriva de là que les hommes de mérite, qui savoient ce qui en étoit, refusèrent des places où il n'y avoit ni bien à faire, ni avantages honorables à espérer; et que ceux qui ne le savoient 'pas, se hâtèrent de les abandonner, après une courte expérience.

Un ministre de la guerre,* aimé de l'armée, avoit à force de dégoûts, été forcé de quitter son département; on lui substitua un officier général de quelque réputation militaire, qui, pour des mécontentemens particuliers, s'étoit retiré depuis long-temps en Dannemarck, où il jouissoit d'une considération jusqu'alors méritée.

M. de St. Germain à un caractère austère, joignoit, dit-on, une grande simplicité de mœurs. Cette dernière qualité le fit choisir par ceux à qui il falloit un ministre facile; l'un et l'autre le désignoient

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* Le Marquis de Monteynard.

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