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C'est à cet état de confusion et de dépérissement qu'étoit parvenu l'ordre de la noblesse Françoise.

L'histoire du clergé est, à peu de choses près, la même. Observez cette différence cependant, que celui du second ordre, composé d'autres élémens que le haut clergé, et moins rédouté de la cour, a dû par son affinité avec la classe du peuple dont il étoit tiré; par la nature de ses fonctions, qui le mêloient sans cesse avec lui; par la fixation d'un revenu invariable, mais modique, qui le garantissoit du luxe, en même temps que du besoin; enfin par quelques études, la plupart bornées à la vérité, mais suffisantes pour l'exercice de son ministère; conserver plus de confiance, et par suite une influence plus réelle sur les classes inférieures.

Je ne sais s'il est utile de répèter ici, ce que j'ai déjà dit, qu'en parlant des choses, mon intention n'est point de parler des personnes; on aura, sans doute assez remarqué le soin que je prends de donner aux exceptions toute la latitude qui leur appartient. Oui, sans doute, depuis que le clergé et la noblesse avoient été privés de la réalité de leurs attributions politiques, ces deux ordres F 2

ont

ont produit un grand nombre d'hommes distingués par leurs talens et par leurs services; et c'est peut-être l'époque de notre histoire, où le clergé du premier ordre ait montré le plus de régularité, et fait éclater le plus de vertus. Mais les vertus des particuliers ne préviennent pas toujours les maux publics. Obligé de décrire des malheurs, à Dieu ne plaise que j'ose en imputer la faute à ceux qui en ont été les respectables victimes. Il est des causes générales qui se développent dans le cours des générations, et aux effets desquelles, l'homme ne peut pas résister. Telle est la nature des choses. Toutes les associations, tous les ordres, et les empires les mieux affermis, qui ont péri avant nous, ont péri par ces mêmes causes. Les hommes de toutes les classes et de tous les pays, qui liront un jour l'histoire des malheurs de la France, n'auront qu'à changer, avec les noms, quelques circonstances, que l'éloignement des lieux et des temps, et la diversité des succès, offrent toujours, sous des points de vue différens, ils liront l'histoire de leurs pères, ou celle de leurs descendans, ou peut-être la leur.

Les déplacemens de la force morale sont lents

et

et imperceptibles dans leurs progrès; et quand elle a passé d'une classe d'hommes à une autre, l'habitude et les apparences luttent encore longtemps contre la réalité. C'est un monument antique, dont les ruines restent suspendues, quoique le temps en ait miné la base, et tel fut, durant un siècle, l'état de la France.

Tandis que la cour n'étoit occupée que du soin de diminuer le pouvoir des deux premiers ordres de l'état, elle ne s'apercevoit pas que c'étoit détruire le sien; et que l'équilibre qu'elle cherchoit à rompre d'un côté, tendoit nécessairement à se replacer d'un autre.

Du sein des familles plébeiennes s'élevoit un ordre formidable, qui devoit successivement recueillir les pertes que faisoient journellement les premiers; et qui devenu maître des forces morales de la société, seroit par la nature des choses, mis tôt ou tard, à la place de ceux qui les laissoient échapper de leurs mains.

La découverte de l'Amérique avoit changé la face de l'Europe. (Il n'est donné à personne de prévoir à quel point elle la changera encore) Et l'introduction du commerce en France fut

l'époque

l'époque d'une révolution mémorable dans le sort de la classe qui portoit le nom de peuple. L'ignorance fit place à l'instruction; celle-là se réfugia chez l'ordre à qui le commerce étoit interdit; celle-ci devint le partage de ceux qui s'y livrèrent. Les avantages réels dont les premiers ordres avoient joui, s'écouloient imperceptiblement dans les mains du troisième; tandis que les autres ne se réservoient que des avantages brillans et utiles, mais conventionnels. Les besoins du luxe tiroient incessamment d'un côté, pour reverser de l'autre ; les premiers se bornoient à consommer : les derniers mettoient toute leur application à acquérir.

Bientôt à des générations riches et instruites dans la classe du peuple, succédèrent des générations plus instruites et plus riches; l'éducation des enfans se perfectionna: chaque âge déve loppa de nouveaux moyens, produisit de nouveaux établissemens: et toutes les places, tous les emplois publics, qui exigeoient de l'érudition et de l'application, furent abandonnés au tiers état, ou à la partie de l'ordre du clergé qui n'avoit pas de prétentions plus élevées. L'étude des

sciences

sciences et l'exercice des arts libéraux leur furent livrés exclusivement; ce furent eux qui remplirent les universités, les colléges, les académies, et toutes les sociétés savantes. Si les grands y occupèrent quelques places, ce fut la plupart, à titre de protecteurs. Judicature, finances, barreau, médecine, administration, fermes, et recettes générales et particulières, ministère de la religion dans les villes et dans les campagnes, manufactures, toutes les professions enfin, qui mettent en rapport avec le peuple, et en mesure d'obtenir ou de subjuguer sa confiance, furent dévolues à une classe qui, quoiqu'encore dans son sein, cessoit par le fait même, d'en faire partie, et formoit dans l'état, sans qu'on voulut s'en apercevoir, un ordre distinct qui, sans attributions politiques, en accaparoit néanmoins toute la force morale.

Avec tant de moyens de préponderance réelle sur les fictions auxquelles étoient réduits les deux premiers ordres; il étoit facile de juger, dans le cas où ils seroient placés un jour dans la balance politique, quel côté devoit l'emporter sur

l'autre.

Est

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