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étendre le champ de leurs entreprises et accélérer sa ruine et leurs succès.

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C'est cette foiblesse qui, sur le déclin des états, remplit les cours d'une foule d'êtres serviles et méprisables, dont la bassesse n'égale que leur avidité, la lâcheté que leur insolence, et la stupidité que leur orgueil. Ces courtisans, pour qui le mot d'honneur est un masque, celui de vertu un ridicule ; et qui ne pouvant juger la conduite des autres que par leurs propres sentimens, trouvent sans cesse dans leurs cœurs, des motifs tout prêts pour calomnier les bonnes actions, et pour en dénaturer le principe: si le malheur d'un état est parvenu à ce point, qu'un prince honnête et bon par caractère, soit environné de tels individus; les heureuses qualités de son esprit et de son cœur ne seront que des obstacles de plus à l'accès de la vérité près de lui. Réduit à penser et à agir par eux, il n'apercevra l'abime qu'ils auront creusé sous ses pas, qu'au moment de sa chute, et de leur lâche désertion.

C'est cette foiblesse qui a jeté la France dans l'anarchie sous les rois fainéans, qui l'a mise

à deux doigts de sa perte sous le roi Jean, livrée sous Charles VI., déchirée sous Henri III., ébranlée sous les dernières années de Louis XIV., dégradée sous Louis XV. et jetée sous son vertueux et infortuné successeur, dans les effroyables convulsions qui ont agité le monde, et dont il n'est encore donné à personne d'entrevoir les derniers effets.

La France depuis l'époque de l'établissement des Francs dans les Gaules, jusqu'à celle de la dernière révolution, avoit toujours été gouvernée

par

des rois. Un si long espace de temps a sans doute produit des variations dans cette forme de gouvernement: mais comme il n'est pas de mon sujet d'examiner ces variations, ni leurs causes, dont l'énumération seule m'entraîneroit trop loin il me suffit de dire que le principe fondamental de la constitution, qu'avoient apportée nos pères, avoit placé l'exercice du pouvoir législatif dans le concours nécessaire de la volonté du monarque, et du consentement des assemblées de la nation. Quelques changemens qui ayent été successivement introduits dans la composition de ces assemblées, et quelques atteintes qui ayent été portées à l'application de ce principe;

principe; il n'a

pas

cessé

cessé un instant d'être considéré par tous les François indistinctement, comme la base essentielle de la monarchie. Cette constitution leur étoit commune avec les autres peuples du nord, lorsqu'ils se partagèrent ces immenses contrées, que l'orgueil impuissant de Rome décrépite croyoit avoir condamnées à des siècles de barbarie et d'infécondité.

Heureux celui qui a su plus particulièrement conserver une forme de gouvernement, qui est encore aujourd'hui la source, comme elle est le soutien de ses prospérités; et qui n'y a apporté que les changemens commandés par le temps, et par l'intérêt de sa sûreté et de sa gloire.

Depuis long-temps la France avoit perdu cet avantage elle n'avoit conservé de sa constitution, que les mots : la distinction des ordres n'existoit plus que de nom, le clergé avoit perdu son crédit, et la noblesse son pouvoir.

Cet illustre et ancien appui des prérogatives des rois et des droits des peuples, étoit trop souvent devenu la terreur des uns, et le fléau des autres. Car il n'est pas d'institutions, quelque utiles qu'elles soient, qui ne dégénèrent en abus

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mais il faut réformer les abus, et non pas altérer, encore moins détruire les institutions. La cause du peuple fut, comme d'ordinaire, le prétexte dont les rois se servirent avec succès pour diminuer la puissance de la noblesse, et le ministère de Richelieu acheva ce que Louis XI avoit commencé. La violence et la ruse furent mises alternativement en œuvre : plusieurs de ceux qui avoient résisté à la force, ne résistèrent point à l'attrait des honneurs et des richesses, qui furent le prix du sacrifice de leur liberté ; ni aux appas d'une cour qui, dédaignant la noble simplicité des siècles précédens, avoit mis à sa place toutes les recherches d'un luxe, jusqu'alors inconnu. Aussi vît-on bientôt, des hommes accoutumés à une vie dure et frugale, auparavant livrés à tous les exercices, qui en fortifiant le corps, le rendent plus propre aux fatigues de la guerre, ayant vécu jusqu'alors, comme autant de souverains, dans leurs châteaux, qui en garantissant leur sûreté, maintenoient le respect que l'appareil du pouvoir inspire, et l'influence sur les esprits qui en est la suite; changer insensiblement leurs forces physiques contre des grâces efféminées,

leur

leur sobriété pour des tables somptueusement servies, leurs armures pour des modes, leurs forteresses pour des maisons de plaisance, et leur fière et antique indépendance contre des pensions, des titres sans pouvoir, et des grandeurs factices.

Cette révolution fut l'ouvrage de peu de temps; et quoique un très-grand nombre de familles nobles, n'eussent été ni soumises, ni séduites, l'effet n'en fut pas moins général.

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Il arrive souvent que lorsqu'un état, un ordre, une société quelconque sont attaqués par le plus puissant des moyens, qui est la division. soufflée dans leur sein, ceux qui se sont honorés par une plus longue résistance, en portent plus particulièrement la peine: la raison en est que ceux qui sont devenus les auxiliaires de l'ennemi commun, cherchent volontiers à humilier des hommes, dont la conduite est un reproche de la

leur.

Tel fut le sort de la partie de la noblesse Françoise, qui préféra sa liberté aux faveurs de la cour; et c'est de là qu'étoit venue cette distinction, non expresse, à la vérité, mais néanmoins

réelle,

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